Pour la Banque mondiale, le Maroc a encore du chemin à parcourir avant que le contenu de ses programmes pédagogiques soit au niveau requis pour atteindre les objectifs de la Vision 2030 pour l’éducation nationale.
La directrice des opérations de la Banque mondiale (BM) pour le Maghreb, Marie Françoise Marie-Nelly, était en visite de travail au Maroc il y a quelques jours pour participer à la table ronde organisée par la BM à Rabat autour de l’éducation. Son appel était clair: investir davantage dans le contenu pédagogique et la qualité de l’éducation, en vue d’assurer une réforme profonde du système éducatif. Et cette réforme, la représentante de la BM la qualifie de processus de longue haleine. Pour elle, il est nécessaire d’améliorer la qualité des CV des enseignants, de mobiliser les parents et de les sensibiliser aux problématiques qui entravent l’assimilation et l’apprentissage par leurs enfants, de lutter contre le démarrage tardif des études et de développer une stratégie d’éducation axée sur la qualité du contenu. Des conclusions qui rejoignent pleinement les objectifs de la Vision 2030 puisque le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, qui a dressé un bilan des principaux dysfonctionnements dont souffre le secteur national de l’éducation, en l’occurrence le rendement limité de l’école marocaine (attribuable en grand partie à la faible maîtrise des langues, des connaissances, des compétences et des valeurs), l’efficacité restreinte des performances des acteurs pédagogiques, les lacunes des formations initiale et continue, la persistance des déperditions qui affectent aussi bien le systèmes scolaire et universitaire que la formation professionnelle, l’accès limité à l’apprentissage par le biais des technologies éducatives, le faible rendement de la recherche scientifique et les hésitations dans le traitement des problématiques transversales, etc. Il s’est engagé dans une réforme globale qui commence à porter ses fruits. A fortiori lorsque la vision célébrera, dans quelques mois, le troisième anniversaire de son entrée en vigueur. Le Maroc attend beaucoup de celle-ci; idem pour les recruteurs. Ces derniers ne trouvent plus ce qu’ils cherchent dans l’offre actuelle de profils. Les lauréats ne sont pas en reste puisque eux-mêmes ne se reconnaissent pas, une fois diplômés, dans les réalités économiques du pays et du monde, et sont par conséquent déphasés. Pour Marie-Nelly, «le Maroc a réussi à assurer un accès total au primaire, aussi bien aux filles qu’aux garçons. Mais il reste encore des efforts à faire pour améliorer l’accès aux élèves à l’enseignement secondaire, qui se limite à 80% en milieu urbain contre 40% dans le rural». Une étape fondamentale dans le développement de la réforme en cours qui devrait améliorer les profils intrants. Lors de son intervention au cours de cette table ronde, l’ancienne doyenne de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Aïn Sebaâ à Casablanca, Jamila Settar, a noté que sur les 213.449 étudiants inscrits à cette faculté en 2015, 183.564 ont redoublé, faisant des universités des «usines du chômage» selon ses dires. Pour y remédier, elle recommande d’adopter des actions que l’on peut retrouver dans le détail de la Vision 2030 pour l’éducation, telles que l’accueil personnalisé de chaque étudiant en vue de l’orienter vers le cursus académique adéquat; la mise à niveau linguistique; l’introduction d’un module obligatoire sur la communication et la citoyenneté. L’ex-doyenne a finalement appelé à insérer la faculté dans un réseau de partenariat associé aux entreprises, en vue d’ouvrir les étudiants sur l’environnement extérieur et l’entreprise et les préparer au marché du travail. Et c’est exactement à cela que s’attaquent les universités et écoles supérieures aujourd’hui, en invitant de plus en plus le monde professionnel (les recruteurs) à participer activement à l’élaboration de programmes pédagogiques devant aider à définir les profils qui correspondent le mieux à leurs besoins.
D’ailleurs, l’OFPPT, premier formateur national, et par là même premier partenaire des écosystèmes industriels marocains, affiche un taux d’insertion professionnelle de ses lauréats de 72%. Engagé depuis des années dans la fourniture des entreprises en jeunesse formée et qualifiée, capable d’opérer dans divers secteurs et apte à assurer la réussite des missions industrielles portée par les investisseurs qui font appel à leurs talents, l’OFPPT a opté pour l’accompagnement de ces écosystèmes en augmentant de 85% le nombre de ses établissements de formation, et de 700% le nombre de places pédagogiques. Les formations dispensées par l’OFFPP touchent plus de 300 métiers relatifs à divers secteurs d’activités tels que l’industrie, les services (secteur tertiaire), le transport, les BTP, l’hôtellerie et les nouvelles technologies de l’information. Ces formations sont réparties en cinq niveaux de qualification: technicien spécialisé pour les bacheliers, technicien pour le niveau bac, la qualification pour la 3e année du collège, la spécialisation pour ceux qui détiennent un niveau de certification primaire et, enfin, le Bac pro, qui sera programmé cette année. L’office s’attend à une promotion de 3.000 lauréats spécialisés dans 10 secteurs d’activité et 17 filières. En 2021, ce nombre devrait atteindre les 140.500. L’axe sur lequel cette stratégie s’adosse verse en faveur de l’accompagnement des secteurs structurants par l’augmentation du nombre de stagiaires formés de 4.700% pour le transport et logistique, 2.200% pour l’hôtellerie-tourisme, 19,59% pour les métiers des NTIC et 1.000% pour les services. Aussi, des partenariats ont été signés afin de garantir au maximum l’employabilité des lauréats, tel celui signé récemment entre l’Office et la Société internationale de travaux-Maroc (SINTRAM), visant à renforcer la formation dans le secteur du BTP. Par ailleurs, le programme vise la formation qualifiante de courte durée (3 à 9 mois) de 124.000 personnes devant satisfaire les besoins formulés par des entreprises récemment installées au Maroc (principalement des industriels), et de celles dont le cœur de métier a subi des transformations d’ensemble par voie d’actualisations technologiques qualitatives. Pour les diplômés chômeurs, principalement les titulaires d’une licence, l’office a mis à leur disposition un cursus dédié qui devrait permettre la formation de 5.000 candidats. La première promotion de lauréat a déjà été déployée pour renforcer les rangs des industriels demandeurs.
Or, force est de constater que le Maroc, désormais acteur mondial et continental incontournable sur ces secteurs porteurs, ne peut gaspiller ses ressources en développant toutes les filières simultanément, mais plutôt devrait-il privilégier ceux qui sont en plein essor actuellement, et orienter le système éducatif dans le sens d’une couverture totale des besoins de ces secteurs en compétences multiples. C’est ce qui a en effet été décidé, et ce ne sont pas les employeurs qui seront mécontents puisqu’on assiste presque tous les jours à la signature d’accords entre industriels et instituts de formation pour le développement de compétences précises selon les besoins. Le focus est mis par les universités et instituts de formation professionnelle sur la qualité de programmes pédagogiques octroyés, leur pertinence et leur osmose vis-à-vis des retours d’expérience fournis par les recruteurs. La formule fonctionne d’autant plus efficacement que toutes les écoles et universités, généralistes ou spécialisées, comptent aujourd’hui dans leurs cursus des programmes de formation utiles à ces écosystèmes industriels. Pour les spécialistes du secteur, cette posture stratégique est la réponse aux nombreux dysfonctionnements empilés depuis des décennies qui empêchent le secteur éducatif national de décoller. Une conclusion partagée par Marie Françoise Marie-Nelly, qui aurait été ravie de savoir que «si l’on intègre les résultats enregistrés des douze régions marocaines dans le classement mondial, la région de Laâyoune-Sakia El Hamra se positionnerait au premier rang au niveau national», selon les observations du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS). Cette région occuperait virtuellement la 117e place mondiale pour la moyenne d’années de scolarisation, et la 134e place mondiale selon l’indice de Gini. Les régions Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra se positionnent respectivement à la 2e et 3e place au niveau national, occupant virtuellement les 120e et 128e rangs mondiaux. Notons que l’indice de Gini – plus correctement désigné par Gini de l’éducation (GiniEdu) – ainsi que la moyenne d’années de scolarisation (MAS) sont des indicateurs qui offrent un aperçu global sur les disparités et les inégalités dans l’accès à l’éducation et permettent de repérer les zones défavorisées qui nécessiteraient d’être priorisées en termes de politiques éducatives. Le premier indicateur, la MAS, apprécie de manière synthétique le niveau du capital humain détenu par la population tandis que le second, GiniEdu, évalue le niveau d’inégalité dans la distribution de cette même population par rapport au niveau d’éducation maximum atteint. Ces indicateurs portent à la fois sur les niveaux national, régional, provincial et communal. De plus, ils sont aussi appréciés pour 175 pays afin de situer le Maroc et ses différents niveaux de territorialité par rapport au niveau mondial. La prise en considération individuelle de leurs notations ne peut donc pas traduire fidèlement les réalités sur le terrain, mais la combinaison des deux permet de s’en rapprocher. En couplant les recommandations de la Banque mondiale à celles du CSEFRS, le Maroc peut espérer un système éducatif réformé et efficace dans les années à venir, capable de produire les profils dont le pays a besoin, sans déperdition d’efforts et de moyens.