Carburants : Soupçons d’entente sur les prix
Alors que les cours du pétrole ont drastiquement baissé, les prix à la pompe sont maintenus en hausse par les distributeurs. Une situation qui fait planer le doute sur une entente entre les opérateurs qui dopent leurs marges au détriment du client.
C’est le gouverneur de la Banque centrale qui s’insurge contre la non répercussion par les distributeurs des hydrocarbures, de la baisse du prix du baril sur celui à la pompe. Abdellatif Jouahri actualise ainsi le débat qui a enflé il y a quelques mois à la suite de l’entrée en vigueur de la libéralisation des prix pétroliers, laquelle s’est opportunément accompagnée d’une baisse historique des cours du baril sur les marchés internationaux. De l’avis du gouverneur de Bank-Al Maghrib (BAM), la libéralisation n’aurait, au final, que plus profité aux distributeurs dans une totale indifférence du gouvernement. Les bénéfices engrangés par certains opérateurs le confirment : Total Maroc (seul opérateur coté et donc obligé de publier ses résultats) a réalisé un résultat net consolidé de 402,6 MDH au 1er semestre 2016 contre 145,9 MDH au cours de la même période de l’exercice précédent.
En attendant la répercussion…
Lors de sa dernière sortie médiatique, à l’occasion de la tenue du dernier conseil trimestriel de la Banque centrale, Jouahri a même laissé entendre que la libéralisation des prix des produits pétroliers risque de ne jouer que «dans le sens de la hausse». Autrement dit, la gueule de bois risque d’être difficile pour les consommateurs en cas de hausse des prix à l’international alors que jusque-là, la baisse n’a profité qu’aux caisses de l’État et aux distributeurs. Ce n’est pas la première fois que les distributeurs des produits pétroliers sont interpellés par rapport à cette situation, mais le commentaire du gouverneur de la Banque centrale remet le sujet à l’ordre du jour. Cela d’autant plus que les cours du baril sont en train de retrouver un peu de vigueur ces derniers jours, avec la dernière décision de l’OPEP prise à l’issue de la réunion d’Alger. Il est vrai que selon les scénarios les plus optimistes, le prix du baril restera assez modeste au moins à court terme. Les prévisions tablent sur un baril à moins de 60USD sur les trois à quatre prochains mois, ce qui n’exclut pas l’éventualité d’un retour brutal à la hausse, laquelle pourrait se répercuter drastiquement sur le prix à la pompe. La problématique reste donc entière et le débat de mise, et logiquement c’est vers le Groupement des pétroliers marocains (GPM) que se tournent les regards.
Arguments peu convaincants
Le GPM qui réunit les 15 acteurs principaux du secteur, s’est toujours défendu de tirer profit de la tendance actuelle. Les consommateurs doivent se contenter de quelques légères baisses consenties à la pompe depuis le début de la libéralisation. C’est la conclusion qu’on pourrait tirer de la position du groupement professionnel qui met en avant le fait que les prix actuels s’approchent plus de la limite plancher pour les pétroliers à moins qu’ils n’érodent encore plus leur marge. Autrement dit, la libéralisation des prix ne risque pas de changer la donne au vu du coût actuel des carburants au Maroc, «l’un des plus bas au niveau du pourtour méditerranéen alors que le pays n’est pas producteur», selon Adil Ziadi, président du GPM qui s’exprimait lors d’une conférence tenue dernièrement à Casablanca sur le même sujet.
La justification du GPM tient au fait que quelle que soit la baisse à l’international, les sociétés de distribution ne peuvent baisser les prix au-delà de certaines marges puisque rien que les taxes dont certaines sont fixes (TVA, TIC), s’adjugent déjà presque la moitié des prix actuellement fixés à la pompe. Les prix n’étant pas appliqués en fonction du pouvoir d’achat mais du coût d’achat, les pétroliers avancent d’ailleurs avoir déjà beaucoup consenti en matière d’investissements pour se conformer aux nouvelles dispositions relatives au secteur et en 2015 la baisse des cours a occasionné un manque à gagner au secteur de l’ordre de plus d’1MMDH. Les opérateurs du secteur écartent par ailleurs toute idée «d’entente directe» et soutiennent qu’il n’y pas donc pas d’impact également sur les marges, même pour les pétroliers en raison notamment du fait qu’ils sont tenus par l’obligation de constitution des stocks.
Un autre argument est mis en avant, c’est que «les opérateurs auront du mal à répercuter les hausses en cas d’augmentation des cours à l’international, particulièrement s’ils concèdent une baisse trop importante». Pour les distributeurs, il faudrait donc plutôt s’inquiéter des conséquences d’un retour à la réalité en cas de reprise progressive des prix comme l’espèrent certaines analyses à moyen et long termes. Par ailleurs, force est de préciser que devant une telle polémique autour de l’existence d’une éventuelle entente entre les distributeurs des hydraucarbures sur les prix, l’intervention du Conseil de la concurrence s’impose. Or, avec une instance, dont la mission est toujours confinée à l’élaboration d’études et d’analyses, bien qu’elle soit dotée de nouveaux pouvoirs décisionnels, suite à la promulgation de la loi 20/13, publiée au Bulletin officiel en août 2014, et du décret d’application fixant les attributions du président de l’institution et les différentes modalités d’intervention du conseil, il s’avère difficile de prouver l’existence de telles pratiques.
Mohamed Fettah
Ex-président de la Fédération de l’énergie
Je pense qu’il faut d’abord regarder du côté des fluctuations du dollar et son impact sur le coût de revient, mais au-delà de ce facteur, on constate une certaine organisation du secteur qui nourrit les soupçons sur une certaine forme d’entente entre les opérateurs sur les prix. La différence entre les tarifs des distributeurs ne dépasse pas les 5 centimes. Et quand la sonnette d’alarme est tirée par le wali de Bank Al-Maghrib, homme connu pour son franc-parler, cela pose effectivement de sérieuses interrogations».