«Les partis doivent expliquer comment ils comptent créer de la croissance»
Ali Belhaj a participé à la naissance du PAM. Son parti, Alliances des libertés, fait partie du noyau dur des formations ayant rejoint le Parti authenticité et modernité. Au sein du parti du tracteur, il joue le rôle d’observateur averti. Parfois, ses critiques ne ménagent pas sa propre formation politique. Dans cet entretien sur la composante économique des programmes électoraux, il fait table rase des surenchères politiques pour s’attaquer à l’essentiel. Détails.
Les Inspirations ÉCO : Dans leurs programmes électoraux, la plupart des partis politiques avancent des chiffres sur la croissance, l’emploi, le déficit, l’investissement. Pensez-vous que ce soit là la bonne approche ?
Ali Belhaj : Effectivement, les partis tombent dans le piège des chiffres. En fait, le taux de croissance est une résultante. J’aurais aimé que l’on donne des éléments sur ce qui pourrait engendrer cette croissance. Comment améliorer l’environnement économique à même d’augmenter la croissance? Comment accroître la richesse du pays? Et c’est là que le débat devient intéressant. Certains disent qu’il faut lancer de grands travaux et augmenter les impôts, par exemple, tandis que d’autres -dont je fais partie- prônent le renforcement du secteur privé, et ce en améliorant l’environnement et en libérant les énergies pour avoir plus d’investissement et rendre plus compétitive notre équipe économique, autrement dit les entreprises. Car alléger la fiscalité pour la rendre optimale, ce n’est pas diminuer les revenus.
Sur quelle base les partis mettent-ils en avant des taux de croissance très (trop ?) optimistes, alors que le wali de BAM prévoit, dans le meilleur des cas, des scénarios à 4% en 2017 ?
Les partis ne sont pas plus outillés que BAM pour mettre en avant une perspective de croissance aussi affinée. Or, les partis sont obligés d’annoncer des chiffres plus intéressants que le concurrent, surtout durant la campagne. Personne ne peut prévoir précisément le taux de croissance car il y a tellement de paramètres qui entrent en jeu dont le prix du baril, la conjoncture internationale, les récoltes… et puis l’investissement privé, qui est le vrai moteur de la croissance. Ce dernier paramètre est lié à la confiance en l’avenir. La vraie question est la suivante: quelles sont les sources de cette croissance? Par exemple, un parti peut profiter de l’occasion de la COP 22 pour promouvoir, dans son programme, les entreprises liées à l’environnement. Dans cette optique, la COP peut devenir un tremplin. Idem pour le numérique, qui peut devenir une vraie locomotive, à l’instar de l’automobile ou de l’aéronautique. C’est là que l’échange d’idées devient intéressant durant la campagne. Pas comme un parti qui, lors d’un passage à la radio, n’a pas voulu annoncer son programme de peur, disait-on, qu’on lui pique ses idées.
Pensez-vous que le parti qui dirigera le prochain gouvernement doive continuer à diminuer le déficit budgétaire et être bon élève concernant les équilibres macroéconomiques, même aux dépends de la croissance ?
D’abord, le déficit budgétaire est lié aux cours du pétrole. Il n’aurait pas bougé s’il était resté au-delà de 100 dollars. Sinon, le budget n’est pas sacré. Si le déficit engendre de la richesse, on peut le laisser «glisser» un peu. Aujourd’hui, l’État doit environ 25 MMDH en remboursement de TVA aux entreprises. Le prochain gouvernement doit s’engager dès la première année à rembourser cette dette. Sinon, on continuera à vouloir améliorer le déficit sur le dos de ceux qui créent la richesse, à savoir les entreprises. Aujourd’hui, la dette de l’État est une dette fictive, cachée, vis-à-vis des entreprises qui parfois ferment. Car si l’État doit par exemple 12 MMDH de TVA à l’OCP, ce dernier trouvera du mal à payer ses fournisseurs. Du coup, plusieurs entreprises ont fait faillite. Autre exemple, 80% des recettes fiscales du pays vont dans les salaires des fonctionnaires. Ce n’est pas normal que tout un pays travaille pour payer les salaires des fonctionnaires. Donc, si l’on augmente le déficit pour des dépenses stériles, je suis contre. En revanche, si c’est pour booster l’investissement, je veux bien.
Les programmes des partis regorgent de promesses de création de centaines de milliers d’emplois, sachant qu’il est difficile de faire bouger le taux de chômage d’un centième…
L’emploi est la résultante d’un processus. Il faut expliquer comment on compte créer cent ou cent cinquante mille emplois. Ce sont des emplois qui ne vont pas être créés dans l’administration; c’est donc l’entreprise qui doit s’en charger. Je dirais même plus: ceux qui créent véritablement l’emploi, ce sont les PME. La question qu’il faut se poser est la suivante: que faut-il faire aujourd’hui pour que la PME recrute? En créant l’investissement. Sur ce registre, je propose de réactiver la réserve ou provision pour investissement. C’est-à-dire que pour le pourcentage du profit réinvesti, l’entreprise ne doit pas payer d’IS comme cela était en vigueur et ne l’est plus maintenant.
Les fondamentaux de l’économie marocaine sont bons, dit-on ; pourtant, ils dépendent de plusieurs facteurs volatils comme la pluie, le prix du pétrole ou encore la conjoncture mondiale. La croissance en dépend énormément…
Oui, mais rappelez-vous qu’il y a quelques années, on arrivait à des taux de croissance de 6%. Aujourd’hui, nous en sommes à 1,5% avec des fondamentaux qui sont toujours bons. Cependant, les gens ne veulent plus investir. L’objectif devrait être de trouver le moyen de redonner confiance pour que l’investissement redémarre, et ce, quels que soient les paramètres variables de notre économie. Il faut aujourd’hui trouver un pacte pour redynamiser notre tissu industriel traditionnel, notamment le textile et l’agroalimentaire.