Crédit bancaire : Un ralentissement au soubassement économique
Si la faible demande continue de jeter une ombre sur l’évolution des crédits bancaires, il faut aussi souligner que celle-ci puise son origine dans l’atonie de l’économie marocaine et le fort endettement des ménages, dont la poursuite est insoutenable.
Le crédit, moteur des économies modernes par l’effet de levier qu’il offre aux investisseurs, semble aujourd’hui en panne au Maroc. Alors que sur la période 2006-2012, la croissance moyenne des crédits bancaires était de 14% par an, elle n’arrive plus à atteindre les 3%, oscillant aux alentours de 2%. Pire encore, le document du Haut-commissariat au plan (HPC) qu’est le Budget économique exploratoire prévoit que la croissance des crédits bancaires ne dépasserait pas 3% à fin 2016, après 2,8% en 2015. Pourtant, la Banque centrale n’a pas cessé de chercher à redynamiser les crédits par l’abaissement successif de son taux directeur. Celui-ci a été ramené de 3% à 2,75% en septembre 2014, puis à 2,5% en décembre 2014 et finalement à 2,25% en mars 2016. Des abaissements qui ont tardé à se refléter dans les taux débiteurs des banques. En effet, depuis l’abaissement de septembre 2014 et jusqu’au deuxième trimestre 2016, les taux affichent des baisses de seulement 8,9% pour les crédits immobiliers, de 10% pour ceux à la consommation et de 13,6% pour ceux à la trésorerie. La plus forte baisse a été du lot des crédits équipements (de l’ordre de 18,3%), sans pour autant que ceux-ci reprennent. Le constat est que les taux baissent, mais que les volumes ne progressent pas. Si la faiblesse de la demande est l’explication qui revient sur les langues, que ce soit chez les banquiers ou encore à la Banque centrale, il faut croire que le marasme économique que connaît le royaume depuis des années déjà est la principale cause de ce repli.
Un ralentissement structurel
Le HCP précise, dans ce même document, que «ce ralentissement des crédits bancaires devenu structurel depuis l’année 2008 serait dû à la combinaison de plusieurs facteurs» et pointe comme premier facteur «la décélération de l’activité économique». C’est aussi l’avis de Fitch Ratings (voir www.leseco.ma), qui estime que «les difficultés rencontrées par quelques acteurs nationaux et la faible demande des prêts, en l’absence de croissance économique forte, constituent également une explication au ralentissement de l’activité bancaire». Ahmed Rahhou, membre du CESE et président du CIH, met en exergue les difficultés économiques en précisant qu’il est normal de se trouver dans une telle situation «quand des secteurs forts en termes de développement comme le tourisme ou encore l’immobilier, deux locomotives économiques, voient leurs chiffres baisser et évoluent moins rapidement que par le passé. Toutefois, je pense que cette situation peut être dépassée par des secteurs comme l’industrie ou autres pourvu qu’on mette des mesures pour les propulser. Il faut créer d’autres locomotives pour l’économie, et l’industrie peut en être un». Le président du CIH n’a pas manqué non plus de rappeler la dépendance de notre économie à la conjoncture internationale et de lier la reprise de l’économie nationale à celle des partenaires internationaux. Idem pour Fitch, qui estime que «les principales raisons expliquant cette morosité tiennent, d’une part, au ralentissement de l’activité des PME, tissu entrepreneurial encore fragile, et à une économie toujours en attente d’un rebond significatif des exportations vers l’Europe». Une dépendance décriée par l’économiste Mohamed Chiguer.
Les secteurs qui en pâtissent le plus
En effet, d’après le rapport de la Banque centrale sur la supervision bancaire, les crédits bénéficiant au secteur du bâtiment et des travaux publics ont poursuivi leur trend baissier en 2015 pour totaliser un encours de 88 MMDH, en repli de 5,2%. Dans le détail, les financements destinés à la promotion immobilière ont accusé, au cours de 2015, un recul de près de 9% à 66,5 MMDH. Sur la base des données de 7 banques, cumulant 96% de part de marché (en crédit à la promotion immobilière), il ressort que cette baisse a concerné le financement des résidences secondaires et touristiques (-18,2%) et le segment résidentiel moyen standing (-9,6%). En revanche, le financement du segment économique et social a poursuivi son trend haussier avec une progression de 25,2% en 2015. Hormis le BTP, le secteur du tourisme a vu les concours mobilisés en sa faveur fléchir de 9,5% pour totaliser un encours de 16,4 MMDH à fin 2015. Pour leurs parts, les crédits bénéficiant au secteur des industries ont accusé, la même année, une baisse de 2% à 144 MMDH. En somme, le rapport souligne que «pour la première fois au cours des 15 dernières années, le financement bancaire aux entreprises s’est contracté de 2% pendant que les prêts aux ménages ont continué de croître à un rythme de 5,6%».
Un problème plus complexe
Pour cet économiste, le problème est beaucoup plus complexe que le simple repli des crédits. Selon lui, c’est un problème de modèle économique qu’il faudrait revoir de fond en comble. «Nos responsables disent que l’économie marocaine est basée sur un modèle de demande interne, mais nous suivons plus les directives du FMI qui plaide pour un maintien des équilibres, un désengagement de l’État et une demande externe». Preuve en est avec les mesures prises notamment au niveau fiscal, avec la réduction des taux de TVA à seulement deux taux, qui a considérablement impacté le pouvoir d’achat des ménages ou encore les réformes de retraites qui se sont faites au détriment du pouvoir d’achat. D’ailleurs, les statistiques du HCP relèvent que le rythme d’accroissement du pouvoir d’achat par habitant connaît un net ralentissement, passant de 3,4% par an entre 2005 et 2009, à 2,5% entre 2010 et 2014. Pour Chiguer, «il est insoutenable de compenser cette baisse du pouvoir d’achat par le crédit bancaire». D’ailleurs, toujours d’après le HCP, la dette des ménages est passée de 16,6% du PIB en 2004 à 30,5% en 2014. Pire encore, une étude de Bank Al-Maghrib relate que 25% des ménages marocains ayant des crédits affichent un taux d’endettement supérieur à 40%.
Repenser le modèle économique
D’après Chiguer, la demande externe ne tire plus la croissance, et le privé ne prend pas la relève pour que l’État puisse se désengager totalement. C’est la demande interne qui tire réellement la croissance économique. Seulement, celle-ci s’épuise. «Les ménages sont surendettés et ne peuvent plus continuer à vivre à crédit», souligne-t-il. Sur un autre registre, du côté des entreprises, où le niveau des crédits connaît la plus grande baisse, l’économiste relève un «attentisme extraordinaire des investisseurs marocains». «Ceux-ci affichent une défiance vis-à-vis de l’État et de l’avenir», poursuit-il. À cela s’ajoute un niveau de dette bancaire des entreprises non financières qui passe de 31,2% du PIB en 2004 à 50,1% en 2014. À fin 2015, l’endettement est de 71% du PIB. Pour Chiguer, «les politiques économiques adoptées à ce jour n’ont fait qu’accentuer ces problèmes. La recette pour sortir de ce marasme réside d’abord dans le diagnostic. Souvent, des évaluations de l’économie marocaine sont absents l’informel, le souterrain et l’interdit, celles-ci se focalisant uniquement sur le formel, alors que les trois segments de l’économie représentent 40% du PIB marocain. En plus du diagnostic, il faudra s’affranchir du suivisme et de la «tutelle» du FMI, et arrêter de chercher les équilibres macro-économiques au détriment des secteurs sociaux comme l’éducation ou encore la santé. Si nous continuons à suivre les recommandations du FMI, nous allons droit dans le mur. Ce dernier estime et se comporte comme si l’économie marocaine était une économie de marché où le capitalisme régnait; or le capitalisme émerge mais ne domine pas».