Accord agricole : Les leçons du pourvoi en appel
Que faut-il retenir du pourvoi en appel formulé par le Conseil de l’UE à l’encontre de la décision rendue par le tribunal de l’UE ? Le Maroc semble être conforté dans sa position après une période de doute qui avait abouti au gel des relations bilatérales avec l’Union européenne fin février. Mais qu’apporte vraiment ce document ?
À l’origine de la reprise?
Le Conseil de l’UE vient de rendre public le détail de son pourvoi en appel concernant l’affaire de l’annulation de l’accord agricole. Le tribunal de l’Union s’était prononcé sur une requête du front Polisario, dans laquelle celui-ci demandait la révocation de l’accord, ou du moins son annulation pour les provinces du sud. Les responsables européens ont eu beau rassurer leurs homologues marocains, rien de concret n’a été fait jusqu’au dépôt du pourvoi en appel.
Avec la publication de ce recours au Journal officiel de la communauté européenne, les autorités semblent y voir plus clair dans la démarche du Conseil de l’UE. Le Maroc avait d’ailleurs haussé le ton face au manque d’informations formulées par les services de l’Union européenne. Un mois après le pourvoi en appel (19 février), et à quelques jours de sa publication (29 mars), le Maroc avait ensuite -et contre toute attente- décidé de reprendre ses relations avec l’UE (17 mars).
Défauts de qualité et d’intérêt pour le Polisario
«Nul ne peut se présenter devant un juge s’il ne justifie pas de sa qualité à le faire», explique Rachid Diouri, avocat au barreau de Casablanca. Ce principe régit aussi bien les procédures de saisine en droit privé qu’en droit public. Les éléments juridiques soulevés par le Conseil de l’UE estiment que le tribunal a commis une erreur de droit en concluant que le Front Polisario avait qualité pour agir devant la juridiction de l’Union européenne.
Le tribunal a estimé que le Front Polisario doit être considéré comme une «personne morale» et qu’il peut introduire un recours en annulation devant le juge de l’union. Le seul argument avancé par le tribunal à ce niveau est que la personnalité juridique ne saurait être accordée que selon le droit d’un État membre ou d’un État tiers.
Dans ces conditions, le Polisario «ne saurait disposer d’une telle personnalité que conformément au droit du Sahara occidental qui n’est toutefois, à l’heure actuelle, pas un État reconnu par l’union et ses États membres et ne dispose pas de son propre droit», souligne la Cour dans son arrêt du 10 décembre 2015.
Le Conseil de l’UE dénonce également un défaut d’intérêt de la part du Front Polisario. «Il y a un adage juridique qui dit pas d’intérêt, pas d’action». Dans cette affaire, le Conseil de l’UE estime que le polisario n’est ni directement, ni individuellement concerné. «C’est-à-dire qu’il n’a aucun intérêt», ajoute-t-il.
Comme un air de déjà-vu…
Le contenu de ce pourvoi en appel n’est pas une révolution en soi. La position adoptée par le Conseil de l’Union européenne reste pratiquement la même que celle qu’il a défendue lors du traitement de l’affaire en première instance. L’institution avait déjà fait part de son rejet de la recevabilité de la requête du Polisario. C’est dire que le conseil estimait déjà que le Front Polisario n’avait pas la capacité d’ester devant la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’était également positionné concernant l’absence de fondement pour le recours du Polisario.
Enfin, le Conseil de l’UE avait demandé à la Cour de condamner le Polisario aux dépens. La réinsertion de ces trois griefs dans le cadre du pourvoi en appel ambitionne de faire plier la décision du tribunal. Ce dernier risque donc toujours de camper sur ses positions devant l’absence d’éléments nouveaux de la part de la défense du Conseil de l’UE.
Les faux-pas de la Cour
Aux yeux du Conseil, de nombreuses erreurs auraient été commises par la Cour. D’abord, le tribunal aurait statué ultra petita. «Cela signifie qu’un juge s’est prononcé sur des points qui ne lui ont pas été soumis», explique Me Diouri. Le tribunal aurait ainsi fondé l’annulation de l’accord agricole sur un moyen qui n’avait pas été invoqué par le requérant et sur lequel le conseil n’a pas eu la possibilité de se défendre.
Par ailleurs, la défense du Conseil de l’UE met en exergue les risques que comporte une telle décision, soulignant qu’une annulation, même partielle de l’accord, remettrait en cause la substance même de celui-ci. Notons à ce titre que le tribunal ne semble pas examiner, dans sa décision, les répercussions éventuelles ou possibles d’une telle décision sur l’ensemble du partenariat entre le Maroc et l’UE.
Le début d’un long processus
Il est encore trop tôt pour crier victoire. Malgré la position ferme que semble tenir le Conseil de l’Union européenne, la balle est actuellement dans le camp de la Cour de justice. Celle-ci devra revérifier les arguments et preuves des deux parties avant de se décider.
Lorsqu’on voit le temps qu’il a fallu à la huitième chambre du tribunal pour se décider en première instance sur le sujet (près de 3 ans de procédure), mieux vaut s’armer de patience.
Toutefois, étant donné le caractère éminemment politique de cette décision et la richesse de la documentation fournie par les parties à la Cour, une décision pourrait être rendue dans les plus brefs délais.