Yasmina Filali: «Des leçons en provenance du Maroc»
Distinguée du «Prix de l’entrepreneur social de l’année 2016» par la Fondation Schwab en Suisse, à l’instar de 11 autres personnes, Yasmina Filali commente la portée de cette reconnaissance.
Les Inspirations ÉCO : Vous venez de recevoir le Prix 2016 de la Fondation Schwab qui récompense l’entrepreneur social. Que représente pour vous ce prix ?
Yasmina Filali, : Tout prix est une reconnaissance et c’est un envol pour la Fondation Orient-Occident, notamment au niveau international. Cela va nous permettre de nous déployer dans d’autres secteurs, notamment la migration dans les pays européens, et d’apporter notre contribution sur tout ce qui touche à l’interculturalité et à l’image du migrant. Tel est le travail que nous avons mené dans le centre de Rabat. Nous nous intéressons aussi à la migration climatique car, après la migration liée aux guerres et la migration économique, nous allons vers un plus grand défi, celui de la migration climatique. En Afrique, nous avons des choses à développer dans ce sens. Au Maroc, par exemple, nous avons mis en place un programme avec des experts indiens sur la collecte des eaux pluviales, qui a pour objectif de permettre aux communautés dans le milieu rural de pouvoir rester. À travers ce programme, nous essayons de résoudre les problèmes liés à la sécheresse.
Ce prix vous permettra-t-il donc d’étendre votre action au-delà du Maroc ?
Maintenant, il faut aller avec son bâton de pèlerin à travers le monde, parce que ce prix, qui permet d’intégrer pleinement les initiatives du World Economic Forum, nous donne l’opportunité de rencontrer des gens, des sponsors, des chefs d’entreprises… C’est pour nous une deuxième naissance, et l’idée est de porter l’étiquette Maroc pour essayer de développer, à une plus grande échelle, ce que nous avons pu faire ici. Ce prix va nous permettre d’étendre notre action, à la fois en Europe et en Afrique.
Outre la question des migrants, quels sont les autres volets sur lesquels travaille la Fondation Orient-Occident ?
La Fondation est surtout connue à travers deux axes. L’axe historique, sur lequel nous travaillons depuis toujours, c’est le développement territorial. C’est-à-dire la mise en relation des acteurs locaux, la formation des jeunes… Nous avons, à travers le Maroc, six centres dédiés. Le deuxième axe, qui date de plus de dix ans, c’est la migration. Nous avons été aidés par les organismes internationaux, ce qui a fait que l’écho a été beaucoup plus important. La migration est au centre des problématiques mondiales d’aujourd’hui, à travers toutes les crises qu’il y a en ce moment. Cela met en lumière le travail qu’a fait la fondation et, au-delà, le travail qu’a fait le Maroc sur la migration, notamment avec la décision royale de régulariser les réfugiés. Cela a été le point de départ d’une nouvelle approche de la migration au Maroc, qui est l’intégration. Et l’intégration est un sujet brûlant parce qu’il est au cœur de la migration européenne, de la radicalisation européenne. Je pense donc que le Maroc peut être un modèle, et c’est à travers ce modèle-là que le Prix de la Fondation Schwab a reconnu une avancée. D’ailleurs, l’annonce du prix, c’est «Des leçons en provenance du Maroc». Quelles leçons? Je crois que la première, c’est l’intégration, à travers la promotion et la protection des droits des migrants. Ceci passe par le changement de la perception de ces migrants par la société d’accueil. Depuis 10 ans, nous faisons ce travail, à travers notamment le Festival Rabat-Africa, qui a pris aujourd’hui un élan extrêmement important. À travers ce festival, les communautés se sont mélangées. Et les Marocains ont changé leur regard sur les migrants subsahariens. Ce n’est plus l’image du migrant qui est pauvre, mendiant et dans la dépendance, mais l’alter ego. Et, c’est sur cette base que la communication se fait.
Quel regard portez-vous sur la politique migratoire mise en place par le Maroc ?
Il y a d’abord quelques dizaines de milliers de migrants qui ont désormais accès aux services de base: logement, travail, accès aux soins… C’est quand même une reconnaissance légale de la vie de l’autre chez soi. Psychologiquement, c’est une énorme avancée.
Votre Fondation travaille également sur la question des petites bonnes…
Il n’y a pas que la Fondation Orient-Occident qui s’occupe de la question, c’est le fait de la société civile de manière générale. Au niveau de la Fondation, nous avons dressé, avec un partenaire espagnol, une cartographie des zones émettrices, pour comprendre tout le réseautage du phénomène: les régions d’où viennent ces filles, les familles, les intermédiaires, les lieux de «vente» de ces petites filles et les familles qui les emploient. Nous avons dressé cette cartographie pour, dans un second temps, faire bien évidemment un plaidoyer et sensibiliser les gens pour que ce fléau puisse s’arrêter.
Quel commentaire faites-vous sur le relèvement de l’âge légal à 18 ans, un projet qui bloque toujours au Parlement et qui concerne, de prime abord, les petites bonnes ?
Je pense que c’est un travail de lobbying que la société civile et les parlementaires doivent porter parce qu’on ne peut pas avoir des pans entiers de la société, notamment concernant l’enfance, qui soient en arrière alors que le pays va de l’avant. C’est un vrai débat de société. On parle des petites bonnes, mais il y a des petits garçons qui sont utilisés dans d’autres secteurs. Cependant, il est vrai que le cas des petites bonnes, à travers cet enfermement dans des familles, c’est quelque chose qui ressemble à de l’esclavage.
Racontez-nous brièvement la genèse de la Fondation Orient-Occident ?
J’habitais à l’étranger et, quand je rentrais au pays, je voyais que les élèves révisaient leurs cours sous les lampadaires publics. Je me suis dit que si je pouvais faire quelque chose un jour, c’était de faire en sorte que ces étudiants aient un lieu où ils pourraient tranquillement réviser. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de construire la première bibliothèque et un centre socio-éducatif pour les jeunes. Et puis l’envie de créer la fondation m’est venue. On l’a baptisée Fondation Orient-Occident parce que je suis de père marocain et de mère italienne. J’ai donc naturellement eu envie de créer un pont entre ces deux cultures. Et ce pont entre les deux cultures, on le retrouve aussi à travers la migration. Dans ce volet, on parle beaucoup des migrants qui arrivent au Maroc, mais on s’occupe aussi beaucoup des migrants clandestins marocains reconduits au pays. Nous les accompagnons avec des projets de vie en vue de leur réinsertion.