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Production énergétique : le Maroc face au défi de l’autonomie

Entre cadres réglementaires à clarifier, intégration industrielle inachevée et besoin d’un financement mieux ciblé, la production nationale cherche encore son rythme de croisière. L’autoconsommation solaire, au cœur de cette dynamique, pourrait en être l’un des catalyseurs, à condition de lever les freins persistants pointés par les acteurs du secteur.

La production d’énergie au Maroc se trouve aujourd’hui à un tournant stratégique. Porté par une ambition claire de souveraineté énergétique et de transition verte, le Royaume a multiplié les chantiers structurants pour diversifier ses sources d’approvisionnement et réduire sa dépendance aux importations fossiles. L’objectif est tant de sécuriser l’alimentation énergétique nationale que d’accélérer la décarbonation de l’économie, dans un contexte mondial de plus en plus exigeant sur les plans environnemental et industriel.

Le pays mise depuis plus d’une décennie sur un mix énergétique dominé par le solaire et l’éolien, soutenu par une vision de long terme incarnée par la Stratégie énergétique nationale et les grands projets comme Noor Ouarzazate. Mais à mesure que les ambitions se précisent, de nouveaux défis émergent : comment produire plus, tout en produisant mieux ? Comment rendre l’énergie renouvelable plus accessible, plus flexible et plus locale ? C’est dans ce contexte que la question de l’autoconsommation solaire s’impose comme un axe prioritaire. Longtemps perçue comme un levier stratégique pour démocratiser l’énergie propre et réduire la pression sur le réseau national, elle reste freinée par un cadre réglementaire encore perfectible.

Pour Noureddine Aouda, directeur de l’innovation et des partenariats à Nexans Maroc, le principal verrou n’est plus technologique mais réglementaire. «Les textes existent, le gouvernement a accompli des avancées notables, notamment en permettant aux autoproducteurs de consommer et de vendre une partie de leur production. Mais tout n’est pas encore clair, notamment pour les opérateurs qui veulent développer des parcs solaires en basse et moyenne tension», souligne-t-il. Selon lui, il ne s’agit plus de légiférer davantage, mais de clarifier et d’appliquer de manière pragmatique les textes existants.

Une lecture que partage Houda Bouchara, responsable développement au Cluster ENR Maroc, qui déplore une lenteur administrative persistante. «Voilà quatre ou cinq ans qu’on parle de la réglementation pour permettre l’injection en moyenne tension. Des réunions ont été tenues avec le ministère de la Transition énergétique et la NRE, mais l’application tarde à venir», consent-elle.

Elle salue toutefois certaines avancées récentes, comme la cartographie du solaire pour l’autoconsommation et la clarification de la taxe due pour l’injection en moyenne tension, tout en appelant à poursuivre les efforts. «Le ministère est conscient des défis et nous avançons ensemble, mais il faut encore franchir un cap pour créer un cadre pleinement opérationnel», insiste-t-elle.

Diversification des usages et financement
L’un des enjeux majeurs réside désormais dans la diversification des usages du solaire. Pour Aouda, le potentiel est immense, notamment dans le dessalement de l’eau de mer, un secteur hautement énergivore. «Le Maroc a fait un choix structurant en lançant une politique de dessalement durable, comme à Casablanca, où une future station alimentera sept millions d’habitants. L’osmose inverse, utilisée pour le dessalement, consomme énormément d’énergie. L’associer au solaire et à l’éolien est le moyen le plus durable de produire de l’eau», explique-t-il.

Cette approche circulaire pourrait aussi servir à la production d’hydrogène vert, puisque, rappelle-t-il, «on ne peut pas fabriquer de l’hydrogène à partir d’eau potable quand le pays connaît un déficit hydrique». Le lien entre solaire, dessalement et hydrogène illustre ainsi la cohérence du modèle marocain : intégrer les chaînes de valeur pour bâtir une économie énergétique résiliente et bas carbone. Mais pour aller plus loin, Aouda met l’accent sur deux leviers : la régulation et le financement.

«Les partenariats public-privé doivent jouer un rôle structurant pour lever les obstacles financiers et permettre aux opérateurs d’accéder aux technologies solaires», propose-t-il.

De son côté, Houda Bouchara plaide pour une intégration du solaire dans d’autres politiques publiques, notamment celles du logement. «Le ministère de l’Eau a franchi le pas avec le dessalement. J’aimerais que celui de l’Habitat impose le photovoltaïque sur toutes les toitures d’immeubles. Cela donnerait un élan considérable à la filière», avance-t-elle, en appelant à des programmes plus contraignants et sectorisés.

Une gestion intelligente et un contenu local
Si la régulation reste un frein, la technologie ouvre de nouvelles perspectives Pour Aouda, le Maroc dispose des infrastructures nécessaires, mais «les technologies de pointe, qu’il s’agisse de panneaux solaires, de batteries ou d’onduleurs, ne sont pas encore produites localement».

Cette dépendance complique la montée en puissance du secteur. Le défi est de gérer l’intermittence du solaire et assurer la stabilité du réseau. «Il faut du digital et du smart grid pour stabiliser le réseau. Le Maroc a déjà lancé une ligne de 3 gigawatts reliant le nord au sud pour connecter les projets renouvelables, mais ce n’est pas suffisant», précise-t-il.

Aouda prône la mise en place de systèmes intelligents comme les EMS (Energy Management System) ou les VPP (Virtual Power Plant), capables de gérer l’énergie entre solaire, éolien, stockage et hydrogène, optimisant ainsi la production et la distribution. Une vision partagée par Nader Al-Zouabi, directeur général Maroc et Mauritanie chez Schneider Electric, qui souligne le potentiel de la digitalisation et de l’intelligence artificielle dans la gestion énergétique.

«Aujourd’hui, 60% de l’énergie produite est perdue. Il faut d’abord améliorer l’efficacité énergétique à tous les niveaux : production, distribution et consommation. La digitalisation permet de localiser les pertes,
de mesurer et d’optimiser grâce à des systèmes intelligents», explique-t-il.

Selon lui, la technologie existe, mais son déploiement nécessite un soutien gouvernemental accru et une accélération de l’incubation du contenu local. «Il faut réduire l’écart entre importation et production locale. Le développement du contenu national donnerait au Maroc un avantage compétitif», plaide-t-il.

Noureddine Aouda
Directeur de l’innovation et des partenariats, Nexans Maroc

«Les projets sont annoncés, mais sans calendrier précis. Cela complique les décisions d’investissement, car les technologies évoluent vite. Un dialogue stratégique entre gouvernement, donneurs d’ordres et industriels est essentiel pour garantir visibilité et investissement au bon moment.»

Houda Bouchara
Cluster ENR Maroc

«Le ministère de l’Eau a franchi le pas avec le dessalement. J’aimerais que celui de l’Habitat impose le photovoltaïque sur toutes les toitures d’immeubles. Cela donnerait un élan considérable à la filière solaire.»

Nader Al-Zouabi
Schneider Electric

«Aujourd’hui, 60% de l’énergie produite est perdue. La digitalisation permet de localiser ces pertes, de mesurer et d’optimiser grâce à des systèmes intelligents. Le développement du contenu national donnerait au Maroc un avantage compétitif.»

Planification, investissement et intégration industrielle

Le passage à l’échelle suppose une meilleure synchronisation entre l’État et les industriels.
Pour Aouda, les grands projets d’énergies renouvelables annoncés pour notre pays constituent une formidable opportunité de développement pour les opérateurs industriels marocains. Le gouvernement et les grands donneurs d’ordre pour ces projets sont favorables au développement d’un contenu local.

Cependant, pour parvenir à une intégration industrielle locale efficace, un dialogue précis doit être opéré suffisamment en amont entre les grands donneurs d’ordre et les industriels marocains ; cela est nécessaire pour prendre connaissance des choix d’ingénierie et des capacités de production requises et ainsi permettre aux industriels de se préparer en réalisant, le cas échéant, les investissements nécessaires qui peuvent prendre quelques mois à quelques années.

Ce dialogue doit être maintenu tout au long de la phase de planification des projets car les choix d’ingénierie reposent presque toujours sur l’état de l’art et peuvent évoluer rapidement, ce qui pourrait rendre un investissement rapidement inapproprié.

«Si nous avions investi il y a cinq ans, nos machines seraient déjà obsolètes». Il appelle à un dialogue stratégique entre le gouvernement, les donneurs d’ordre et les industriels, afin de garantir une visibilité à moyen ou long terme et un investissement au bon moment.

Cette réflexion rejoint celle de Houda Bouchara, qui insiste sur la nécessité d’une intégration industrielle réelle. Le Cluster ENR Maroc a d’ailleurs lancé une étude sur le taux d’intégration industrielle dans la filière solaire, afin d’identifier les composants déjà produits localement et ceux à développer. «Nous voulons nous assurer que les produits existants au Maroc soient aux normes et puissent être pleinement intégrés à la chaîne de valeur», explique-t-elle.

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