Fruits & légumes : les champions et les outsiders de l’export

Le Maroc est décidément à l’offensive. Malgré la sécheresse, l’inflation et la concurrence mondiale, le Royaume pulvérise des records d’exportations de fruits et légumes, en particulier dans les filières qui conjuguent volume et qualité. La tomate affirme son rôle de fer de lance. La mandarine confirme son retour en force. L’avocat, les baies et l’asperge tracent une voie ascendante. Le maïs doux, l’oignon et la pomme de terre, eux, tentent de se faire une place dans ce ballet exportateur.
L’année 2025 est celle de la pulvérisation des records. Dans un contexte de sécheresse persistante et de marchés mondiaux de plus en plus compétitifs, le Maroc a pourtant vu ses exportations agricoles atteindre des niveaux historiques. Tomates, mandarines, avocats, baies, asperges, oignons, maïs doux ou pommes de terre : toutes les filières n’évoluent pas au même rythme, mais la dynamique générale témoigne d’une résilience remarquable. Voici un classement de huit produits, où s’entrecroisent performances record et zones de fragilité.
Tomates : la locomotive inépuisable
La tomate marocaine reste sans conteste le fer de lance du secteur agricole à l’export. En 2024-2025, le pays en a expédié 745.000 tonnes, un record absolu malgré un contexte marqué par des restrictions hydriques et une hausse du coût des intrants, selon la plateforme EastFruit.
Les principaux marchés (France, Royaume-Uni, Pays-Bas) absorbent plus de 80% des volumes, tandis que les destinations secondaires, en Europe du Nord et en Afrique, progressent rapidement.
Les producteurs ont aussi modernisé leurs serres : variétés hybrides, meilleure tolérance à la chaleur, contrôle automatisé de l’irrigation. Ce virage technologique permet au Maroc de rester compétitif face à la Turquie et à l’Espagne.
Mandarines : le retour d’une valeur sûre
Après un recul en 2022-2023, les mandarines marocaines ont rebondi à 436.000 tonnes exportées entre juillet 2024 et février 2025, soit une croissance de 13,3% sur un an. Le Royaume consolide ainsi sa place parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux.
La demande soutenue en Amérique du Nord et en Europe de l’Est a joué un rôle décisif, tout comme la stratégie d’étalement des récoltes, grâce à des plantations à maturité différée. La filière a aussi bénéficié d’un repositionnement marketing axé sur la fraîcheur et la traçabilité, facteurs désormais incontournables sur les marchés exigeants.
Oignons : le retour en grâce d’une culture stratégique
Longtemps considérée comme un produit secondaire, la filière oignon a connu en 2025 une expansion exceptionnelle. Le Maroc a enregistré un nouveau record saisonnier, tiré par la demande africaine et européenne. Les exportations dépassent désormais 230.000 tonnes, un volume jamais atteint auparavant, avec une hausse de près de 30% par rapport à 2023-2024.
Cette performance s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, une meilleure conservation post-récolte, grâce à des unités de stockage ventilé installées dans le Souss et à Tadla. Ensuite, une diversification des débouchés, notamment vers le Royaume-Uni et la Pologne. Enfin, une hausse des prix mondiaux, liée à la crise de production en Inde et en Égypte.
Les producteurs marocains ont su profiter de cette conjoncture favorable, mais la filière reste fragile. Les marges sont volatiles et dépendent étroitement des conditions météorologiques et de la qualité du calibrage. À moyen terme, la réussite durable du secteur passera par une structuration des exportateurs, la mutualisation du transport maritime et la normalisation des calibres selon les standards européens.
Fruits rouges : l’effet cumulatif des baies
Les framboises, myrtilles, fraises et mûres représentent aujourd’hui un pilier de la diversification agricole marocaine. En 2023-2024, près de 124.000 tonnes ont été expédiées, pour environ 750 millions USD. Les myrtilles dominent avec 52.500 tonnes (t), suivies de près par les framboises (52.000 t), tandis que les fraises (17.700 t) et les mûres (1.400 t) connaissent une progression plus modeste.
Les exportations vers le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont atteint des pics, faisant du Maroc le 4e fournisseur européen de baies fraîches. La filière reste cependant sensible aux coûts logistiques et aux exigences de certification, notamment Global G.A.P. et Sedex.
Avocats : la success story verte
Le fruit vedette des dernières années confirme sa montée en puissance. Les exportations d’avocats atteignent 56.700 tonnes, en hausse de 25% par rapport à 2024. Cette progression repose sur une stratégie d’expansion géographique : extension des vergers dans le Loukkos et le Souss, adoption d’irrigation goutte-à-goutte et intégration de chaînes de froid adaptées aux longues distances. Les marchés européens apprécient le fruit marocain pour sa texture crémeuse et sa constance de qualité, tandis que les exportateurs anticipent déjà un passage à 75.000 tonnes d’ici 2026.
Maïs doux : la révélation inattendue
Le maïs doux marocain, jusque-là absent des radars internationaux, s’est imposé comme la surprise agricole de 2025. Pour la première fois, le Royaume franchit la barre symbolique des 20.000 tonnes exportées, selon EastFruit. Ce succès repose sur la modernisation de la transformation agro-alimentaire : les conserveries de la région de Larache et du Gharb se sont dotées d’équipements de surgélation et de mise en conserve répondant aux standards européens.
La demande croissante de maïs sucré prêt à l’emploi en Europe de l’Ouest (France, Allemagne, Belgique) a ouvert en effet un créneau prometteur. Toutefois, les marges restent faibles : le coût de l’emballage métallique, la disponibilité irrégulière de la matière première et la concurrence de la Thaïlande ou de la Hongrie limitent encore l’expansion.
Les producteurs misent également sur la valorisation locale (transformation en épis sous vide et en mélanges surgelés) pour stabiliser les revenus et réduire la dépendance à l’export brut. Si la tendance se confirme, le maïs doux pourrait dépasser les 30.000 tonnes d’ici deux ans.
Pommes de terre : une relance encore prudente
La pomme de terre marocaine, produit de base de l’alimentation nationale, tente depuis 2024 une reconquête des marchés extérieurs. Après plusieurs années de retrait, le Royaume a repris ses exportations en direction de l’Afrique de l’Ouest et de l’Europe. Les premiers résultats sont encourageants : environ 18.000 tonnes expédiées sur la campagne 2024-2025, soit 40% de plus que lors de la campagne précédente.
La demande provient principalement du Sénégal, de la Mauritanie et de la Côte d’Ivoire, marchés historiquement liés au Maroc. Cette relance a été rendue possible par la mise en place de centres de tri et de conditionnement modernisés, permettant de respecter les normes d’uniformité et de traçabilité. Mais la filière reste vulnérable : les rendements varient fortement selon les zones, et les coûts de transport routier limitent la compétitivité sur les marchés européens.
Pour passer à l’échelle, une stratégie intégrée de contractualisation entre agriculteurs, logisticiens et distributeurs serait la bienvenue. Objectif : sécuriser les volumes, garantir les prix, et stabiliser une production à même d’affronter la concurrence espagnole et égyptienne. En parallèle, le développement de l’industrie de chips et de frites surgelées pourrait offrir de nouvelles perspectives de valorisation locale.
Asperges : une niche en expansion maîtrisée
L’asperge marocaine, longtemps cantonnée à un marché domestique limité, s’impose désormais à l’international. En 2025, elle signe un cinquième record consécutif d’exportation, avec une progression d’environ 12% sur un an. Les exportations s’étendent à neuf marchés (contre sept en 2023), avec notamment les Émirats Arabes Unis, le Canada et la Turquie.
Cette réussite repose sur la qualité des récoltes du Gharb et sur une logistique réfrigérée améliorée, qui permet de livrer un produit plus frais et plus uniforme. Le Maroc grimpe ainsi à la 15e place mondiale des exportateurs d’asperges.
Les outsiders : entre contraintes et promesses
Trois filières (oignon, maïs doux et pomme de terre) témoignent de la diversification progressive de la base exportatrice marocaine. Elles partagent des atouts structurels : climat favorable, savoir-faire agricole et proximité avec l’Europe. Mais elles affrontent aussi des goulets d’étranglement : logistique coûteuse, fragmentation des producteurs, manque de stockage à température contrôlée et dépendance à la pluviométrie.
Leur montée en puissance dépendra du déploiement de solutions d’irrigation collective, d’une meilleure organisation interprofessionnelle et d’une diplomatie commerciale proactive sur les marchés du Nord et du Golfe. Plus globalement, l’ensemble des fruits et légumes exportés sont confrontés à des défis majeurs.
À leur tête, des charge élevées et qui ne cessent d’augmenter d’une saison à l’autre : «La hausse varie de 10% à 20% chaque saison», nous confie le président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de production et d’exportation des fruits et légumes (FIFEL), Lahoucine Aderdour.
Deuxième obstacle qui mérite d’être soulevé, la situation économique des marchés cibles : «Beaucoup de pays importateurs ont réduit les volumes hebdomadaires importés. Et certains exportateurs font du mieux qu’il peuvent pour couvrir leurs charges», explique Aderdour.
Le troisième obstacle, et non des moindres, est celui des nouveaux virus susceptibles de s’attaquer aux récoltes.
«Ces nouveaux virus représentent une menace pour certains produits agricoles. Nous avons demandé au ministère de tutelle l’organisation d’une journée scientifique pour étudier la question et ressortir avec un concentré des bonnes pratiques au niveau international», nous révèle notre spécialiste.
Quoi qu’il en soit, l’exercice 2025 confirme que le Maroc ne se contente plus de résister : il avance. Le Royaume transforme les contraintes en opportunités, adapte ses cultures, segmente ses marchés et stabilise ses flux logistiques. Les records enregistrés cette année (des tomates aux oignons et des baies aux asperges) témoignent d’un système agricole capable de conjuguer volume et valeur, innovation et résilience. Mais au-delà des chiffres, l’enjeu est désormais clair : ancrer la performance dans la durabilité. Si l’année 2025 est celle des records, 2026 devra être celle de la maturité exportatrice.
Abdelhafid Marzak / Les Inspirations ÉCO