Omar Alaoui : à “l’ére du Zéro”, les marques doivent exister sans insister

Par Omar Alaoui
COO Affinytix

Un monde sans clics, sans posts, sans délai et sans confiance implicite : voilà le nouveau terrain de jeu – ou plutôt de vérité – de l’expérience client digitale. Nous entrons dans une époque paradoxale : plus connectée que jamais, mais moins engageante ; plus technologique, mais moins humaine.

Alors que l’intelligence artificielle recompose les usages numériques et que les plateformes sociales se vident lentement de leurs interactions authentiques, une transformation silencieuse mais décisive s’opère. Elle ne se manifeste pas par l’excès, mais par l’effacement. Bienvenue à l’Ère du Zéro.

Le Zéro click ouvre la marche
Pendant vingt ans, le clic fut l’unité de mesure du succès digital. Aujourd’hui, il disparaît. Avec les extraits enrichis de Google, les assistants IA et les interfaces prédictives, les utilisateurs obtiennent leurs réponses sans jamais visiter un site. Le trafic s’effondre, les tunnels de conversion s’évaporent. Les marques ne sont plus des destinations : elles deviennent des réponses.

L’étude Goodbye Clicks, Hello AI du cabinet Bain estime que le trafic organique mondial a chuté de 15% à 25% à cause des «zéro-click results». Près de 59% des recherches effectuées sur Google aux États-Unis et 59,7% dans l’Union européenne (UE) se traduisent par zéro clic, c’est-à-dire que les utilisateurs terminent leur recherche ou en lancent une nouvelle sans cliquer sur aucun résultat. L’enjeu n’est donc plus de générer du trafic, mais d’exister dans l’invisible : être présent sans être cliqué, être trouvé sans être cherché.

Comme l’a résumé Matthew Prince, CEO de Cloudflare, «la chute du trafic web n’est pas une évolution technique, c’est une fracture économique». Les plateformes captent l’attention sans la redistribuer. Dans ce nouveau paysage, les marques doivent apprendre à vivre sans visiteur et à exister par la valeur perçue, pas par la visite comptée.

Les conversations se cachent
En parallèle, un autre silence s’installe : celui des réseaux sociaux. Les posts se raréfient. Près d’un tiers des utilisateurs publient moins qu’il y a un an. Chez les jeunes, cette baisse devient presque une désertion. L’envie de préserver son intimité numérique, la fatigue d’un fil saturé de publicités et l’épuisement d’une mise en scène permanente expliquent ce glissement discret.

C’est la montée du Zero Posting où les conversations quittent les places publiques pour se réfugier dans les espaces privés, groupes fermés, stories éphémères, canaux invisibles. L’ego cède sa place à l’écho. On ne poste plus pour être vu, mais pour être compris.

Pendant ce temps, un autre phénomène s’accélère, l’irruption du contenu généré par l’IA. Texte, image, vidéo et tout devient abondant, fluide, instantané, mais souvent vide. Selon certaines estimations, 30% à 40% du contenu en ligne est désormais produit par l’IA, et cette proportion dépasse 60% dans le marketing digital.

L’espace public numérique se tait, mais le dialogue humain, lui, se déplace. Il migre vers les messageries chiffrées, les groupes familiaux, les canaux communautaires. L’expression ne disparaît pas, elle se replie. C’est un retour à l’intime, vers un monde où la conversation survit, mais se cache.

Zéro attente
Dans cette ère du Zéro, le temps réel n’est plus un avantage, c’est une norme. L’attente est devenue une offense. Un message non lu, une réponse différée, un service client lent sont perçus comme des signes d’indifférence. Le respect se mesure désormais à la vitesse.

Bienvenue dans l’ère du Zero Delay, où la moindre seconde d’inertie érode la confiance. La fluidité est totale ou elle n’est pas. L’attention, ressource la plus rare de notre époque, se mérite à chaque interaction. La promesse n’est plus «nous répondrons vite», mais «nous répondons maintenant». Ce que le client attend, ce n’est pas seulement la performance, c’est la présence.

Zéro confiance
Mais à quoi bon être rapide, si la confiance n’y est plus ? Autrefois implicite, elle ne s’accorde plus par défaut. Elle se gagne, se démontre et se regagne sans cesse. Dans cette ère du Zero trust by default, la réputation ne suffit plus. Un bug dans une application, un message flou, une promesse non tenue suffisent à altérer la perception.

Chaque détail compte car chaque détail peut trahir. La confiance n’est plus une narration, c’est une expérience vécue. Elle repose sur la cohérence, la clarté, la preuve. C’est la forme la plus exigeante de transparence, celle qu’on ne dit pas, mais qu’on ressent.

Zéro cookie
Même les données entrent dans cette logique de retrait. Le cookie vit ses derniers jours. Les utilisateurs refusent, masquent, bloquent. Ils veulent reprendre le contrôle. Dans ce nouveau cadre, les Zero party data (ZPD) , ces données partagées volontairement deviennent essentielles. Elles replacent le consentement au centre de la relation et permettent une personnalisation plus fine, plus éthique.

Reliées à une identité persistante (compte, CRM, profil), elles offrent aux marques la possibilité de comprendre sans surveiller. Le marketing comportemental, autrefois fondé sur l’observation, laisse place à une relation choisie, équitable, transparente. Les marques doivent convaincre leurs clients de parler, non les espionner pour écouter. Tout converge : la disparition du clic, le silence des posts, l’impatience des clients, la méfiance généralisée, la fin du tracking. Cela pourrait sembler une menace, mais c’est au contraire une renaissance.

Dans cette ère du Zéro, les marques n’ont plus besoin de crier pour exister. Elles doivent apprendre à frapper fort sans bruit. À parler moins, mais mieux. À incarner ce que le client ressent, plutôt que ce qu’il voit. Ce n’est plus une guerre d’attention, c’est une quête de pertinence. Les marques ne gagneront plus par le volume, mais par la vérité. Et dans ce monde plus discret, plus fluide et plus exigeant, l’expérience devient la nouvelle preuve d’existence.