Opinions

Entreprises inactives : lorsque bienveillance rime avec vigilance

Par Hassan EL KTINI
Chercheur universitaire, docteur en droit (Université Grenoble Alpes)

Certaines ont disparu sans laisser d’adresse, d’autres n’existent plus que sur le papier, vestiges d’activités éteintes ou d’expériences avortées. Longtemps, elles ont été perçues comme des anomalies administratives ou, pire, comme des foyers potentiels de fraude. Aujourd’hui pourtant, le regard a changé.

Des milliers d’entreprises inactives parsèment encore le paysage économique marocain. Avec l’introduction de l’article 228 bis du Code général des impôts, la DGI rompt avec une logique purement punitive pour adopter une approche de discernement. Plutôt que de sanctionner mécaniquement, elle choisit d’écouter, de comprendre et d’accompagner. La taxation d’office n’est plus automatique : elle peut être suspendue, laissant à l’entreprise la possibilité de régulariser sa situation, à condition d’agir de bonne foi.

Ce tournant marque plus qu’une simple réforme technique, c’est un véritable changement de culture fiscale. Le fisc marocain affirme une double exigence : bienveillance et vigilance. Il s’agit désormais de protéger l’intégrité du système sans étouffer l’esprit d’entreprise, de faire respecter la loi sans perdre le lien de confiance.

Une nouvelle ère s’ouvre, celle d’une administration qui place l’humain au cœur de la relation fiscale, ferme dans ses principes, mais juste dans son approche. Une fiscalité qui tend la main sans renoncer à sa rigueur, et qui fait du civisme non plus une contrainte, mais un acte de responsabilité partagée.

Une nouvelle grammaire du droit fiscal marocain
Ces dernières semaines, plusieurs médias ont abordé la question des entreprises inactives, souvent sous un seul prisme : celui de la traque des fausses factures. C’est un aspect réel, certes, mais l’enjeu va bien au-delà. À travers l’article 228 bis du Code général des impôts, c’est un véritable changement de paradigme et de culture fiscale qui s’opère : le passage d’une fiscalité de coercition à une fiscalité de discernement et de bienveillance.

Longtemps perçue comme un simple mot d’ordre, la bienveillance fiscale s’impose désormais comme une orientation de fond du système marocain. Du rescrit fiscal à l’avis préalable, du droit à l’erreur à la procédure des entreprises inactives, le droit fiscal se dote d’outils qui traduisent une même vision : comprendre avant de sanctionner, accompagner avant de contraindre. C’est là tout l’esprit de la réforme : une administration qui écoute avant d’agir, explique avant de contraindre et ne sanctionne que lorsque la mauvaise foi est avérée.

La bienveillance fiscale n’est donc pas une posture, mais une méthode — celle d’un État qui croit en l’intelligence du dialogue fiscal, portée par une administration citoyenne, agile et innovante. Le fisc marocain ne veut plus seulement contrôler ou sanctionner, mais avant tout comprendre, accompagner et rétablir la confiance. Il agit désormais en bon père de famille, avec un esprit d’équité et de pédagogie : écouter avant de juger, conseiller avant de corriger, et sanctionner seulement lorsque la mauvaise foi est avérée.

L’objectif est clair : joindre l’utile à l’agréable — collecter l’impôt avec bienveillance, faire de la contrainte un service, et de l’obligation un acte de civisme partagé. Une fiscalité qui écoute avant d’agir, explique avant de contraindre, et replace l’humain au centre du lien fiscal.

Cette nouvelle grammaire du droit fiscal n’est pas un simple concept abstrait. Elle trouve sa pleine expression dans des dispositifs concrets, où la philosophie du discernement se traduit en mécanismes clairs, mesurables et profondément humains. Parmi eux, l’un des plus emblématiques est sans doute le traitement fiscal des entreprises inactives, véritable laboratoire de cette fiscalité du dialogue et de la confiance.

Le sommeil économique et l’existence juridique
Imaginez une société qui, du jour au lendemain, cesse toute activité : plus de clients, plus de factures, plus de flux financiers. Une entreprise en apparence endormie, mais juridiquement bien vivante : toujours inscrite au registre du commerce, sans demande de radiation, de cessation d’activité ni même de chômage temporaire. Un dilemme administratif se pose alors : comment traiter fiscalement une entité qui n’existe plus économiquement, mais qui subsiste encore légalement ? Pour l’administration fiscale, le paradoxe est réel.

Sur le papier, cette entreprise demeure un contribuable actif ; dans les faits, elle n’est plus qu’une coquille vide. Faute de déclarations, elle risque d’être taxée d’office comme si elle était toujours en activité. Résultat : des dettes fiscales artificielles, des relances sans issue et un gaspillage de ressources pour l’administration comme pour le contribuable.

La bienveillance fiscale au Maroc : de l’oxymore à la norme
Face à ce flou entre vie juridique et disparition économique, le législateur a choisi la voie du discernement plutôt que celle de la répression automatique. Avec la Loi de finances 2023, il introduit un dispositif novateur : l’article 228 bis du Code général des impôts qui rompt avec la logique purement coercitive d’autrefois. Le principe est simple, mais porteur d’une profonde évolution culturelle : faire prévaloir la présomption de bonne foi jusqu’à preuve du contraire.

Toutes les entreprises silencieuses ne sont pas des fraudeuses. Certaines ont simplement cessé leur activité sans formalités, par ignorance, par découragement ou par manque d’accompagnement administratif. Désormais, le fisc entend jouer un rôle plus humain : accompagner, conseiller et aider ces entreprises, en bon père de famille, et ne brandir la sanction qu’en présence d’éléments avérés de mauvaise foi.

Concrètement, lorsqu’une entreprise n’a déclaré ni payé d’impôts pendant trois exercices consécutifs et n’a exercé aucune activité réelle, elle peut être inscrite au registre des entreprises inactives. Ce registre agit comme une mise en veille fiscale officielle, une pause bienveillante qui reconnaît la bonne foi avant de soupçonner la faute.

En y figurant, l’entreprise n’est plus immédiatement frappée par la taxation d’office : la procédure est suspendue, le dialogue peut s’ouvrir. C’est une approche nouvelle : humaniser la fiscalité, admettre que l’absence peut être sincère, et réserver la fermeté aux comportements manifestement frauduleux. En somme, l’article 228 bis incarne une philosophie nouvelle : accompagner quand c’est légitime, comprendre avant de sanctionner, et faire de la confiance un levier de civisme fiscal.

La pédagogie avant la procédure
Mais attention : cette mise en sommeil ne se fait ni à la légère, ni à l’aveugle. Avant toute inscription au registre des entreprises inactives, le fisc prend soin d’avertir. Une lettre de notification est adressée au chef d’entreprise, l’invitant à déclarer officiellement la cessation d’activité dans un délai de 30 jours. C’est la fiscalité version dialogue avant démarche, une main tendue avant le rappel à l’ordre.

Le fisc agit ici en bon père de famille, bienveillant et pédagogue, soucieux d’accompagner les entreprises sincères vers la régularisation. Mais il reste aussi le gardien du temple fiscal, conscient de sa mission régalienne : protéger l’équité et les ressources publiques, sans laxisme ni complaisance.

Autrement dit, la bienveillance n’efface pas la vigilance, elle la discipline. Le fisc ne fait pas les choses à moitié : il écoute avant de juger, mais ne détourne jamais le regard face à la fraude. C’est là toute la force de cette approche. Une autorité juste, équilibrée et pleinement assumée, qui bâtit davantage par la confiance que par la crainte, et fait de la pédagogie un instrument de justice fiscale.

Bienveillance ne veut pas dire naïveté
La bienveillance du fisc ne doit pas être confondue avec de la crédulité. Certaines entreprises ont profité de cette zone grise pour simuler l’inactivité tout en continuant à émettre de fausses factures, permettant à d’autres de réduire artificiellement leur impôt.

L’administration fiscale, en gardienne du temple, n’avale pas les couleuvres. Pour y remédier, la loi a ajouté une précision à l’article 146 du Code général des impôts : Les factures émises par ou au nom d’une entreprise inactive ne sont plus déductibles. Autrement dit, si votre fournisseur est “endormi”, sa facture n’a plus de valeur fiscale. Mais si vous disposez d’une attestation de régularité fiscale prouvant que ce fournisseur était bien actif au moment de la transaction, vous êtes protégés.

C’est là tout l’art de la nuance et de la répartie fiscales : faire confiance sans se désarmer, écouter sans se laisser tromper. Ce dispositif illustre la philosophie de la réforme : faire confiance sans se désarmer, écouter sans se laisser tromper. Le fisc marocain agit comme un père attentif mais lucide, prêt à accompagner les sincères, mais intransigeant face aux simulateurs. Un équilibre subtil entre prudence et confiance, entre accompagnement et fermeté.

Une fiscalité de discernement
Cette vigilance raisonnée n’est pas une posture, c’est une philosophie de gouvernance. Après avoir appris à distinguer la sincérité du faux sommeil, le fisc marocain assume pleinement son rôle d’arbitre éclairé : ferme contre la fraude, mais compréhensif envers la réalité économique. Il ne s’agit plus d’un percepteur qui sanctionne, mais d’un acteur de régulation conscient de ses effets sur le tissu productif.

Une fiscalité du discernement, donc celle qui sait quand tendre la main et quand resserrer les règles, qui bâtit la confiance sans renoncer à l’autorité. «L’objectif n’est pas de sanctionner à tout prix, mais de bâtir un climat durable de confiance et de transparence avec les contribuables. La DGI agit avec discernement, parce qu’une fiscalité juste commence par la bienveillance et l’écoute.»

Conclusion
Avec l’article 228 bis, le fisc marocain franchit une étape décisive : il ne confond plus le silence avec la faute, ni l’absence avec la fraude. Derrière cette réforme en apparence technique, se cache une véritable révolution de posture : celle d’une administration à la fois bienveillante et vigilante, humaine mais rigoureuse, guidée par le sens de l’équité et du discernement.

Elle tend la main à ceux qui agissent de bonne foi, accompagne ceux qui cherchent à régulariser leur situation et assiste ceux qui veulent comprendre. Mais elle ne ferme jamais les yeux sur la mauvaise foi : accompagner et comprendre, oui, fermer les yeux, non. La bienveillance n’exclut pas la fermeté, elle la rend juste. Car un bon père de famille, c’est aussi celui qui corrige avec équité lorsque la confiance est trahie.

Cette réforme incarne ainsi une fiscalité du discernement : une fiscalité qui pense avant d’agir, écoute avant de juger, et conjugue l’autorité à la pédagogie. En choisissant la bienveillance sans renoncer à la vigilance, le fisc marocain réaffirme sa vocation : servir l’intérêt général tout en consolidant la confiance nationale dans l’impôt.



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