Placements à l’étranger : renversement spectaculaire des investissements de portefeuille

En 2024, les investissements de portefeuille du Maroc affichent un excédent de +978 MDH, tiré par une chute des engagements étrangers (-21,4 MMDH) et une hausse modérée des avoirs résidents. Les dérivés restent marginaux (-0,1 MMDH). Décryptage des enjeux structurels.
Le Maroc finance-t-il sa dette sur le dos de ses établissements publics ? Avec +11,3 milliards de dirhams (MMDH) d’émissions internationales, le risque de change ne devient-il pas inquiétant ? Le rapport 2024 de la balance des paiements pour l’année 2024 révèle un renversement spectaculaire des investissements de portefeuille. Plus en détail, il apparaît un solde créditeur de +978 MDH (soit +1 MMDH) contre un déficit de -23,8 MMDH en 2023.
Cette inversion, attribuée à un effondrement des engagements (-21,4 MMDH) et une hausse modérée des avoirs (+3,4 MMDH), masque des dynamiques sectorielles complexes. Parallèlement, les instruments dérivés enregistrent une sortie nette négligeable (-0,1 MMDH). Analysons ces chiffres pour en extraire les implications concrètes pour les acteurs économiques.
Le mirage du solde créditeur
Le solde créditeur des investissements de portefeuille en 2024 résulte d’une contraction historique des engagements (-21,4 MMDH), et non d’un afflux de capitaux. Ce qui en soi est un signal d’alarme sur l’attractivité de la dette publique, nous fait-on remarquer.
Concrètement, les acquisitions de titres marocains par les non-résidents se sont effondrées à +3,9 MMDH en 2024 contre +25,3 MMDH en 2023, une chute concentrée sur les titres de créance (obligations) qui passent de +23,9 MMDH à +1,8 MMDH. Cette dégringolade s’explique principalement par les remboursements d’emprunts obligataires du Trésor (-9,5 MMDH), traduisant un désengagement massif des investisseurs étrangers de la dette souveraine.
En contrepartie, une dynamique positive émerge grâce aux émissions obligataires des établissements publics sur les marchés internationaux (+11,3 MMDH), portée par les sociétés non financières et les administrations locales.
Pour les acteurs, cette reconfiguration impose au Trésor public de revoir sa stratégie d’endettement sous peine de renchérissement des coûts de financement, tandis que les établissements publics deviennent des relais de financement internationaux au prix d’un risque de change accru. Quant aux investisseurs étrangers, leur prudence reflète une réévaluation du risque-pays ou une sensibilité à la hausse des taux globaux, signalant un défi structurel pour l’attractivité financière du Maroc.
Une internationalisation prudente des capitaux marocains
Comme l’on peut le remarquer, la progression des avoirs à +4,9 MMDH en 2024 (+1,5 MMDH en 2023) révèle une stratégie défensive des institutions financières, qui privilégient les titres de créance étrangers à faible risque, au détriment des actions. L’analyse confirme cette tendance. Les titres de créance étrangers bondissent à +5.450 MDH en 2024 (après un niveau quasi-nul en 2023), intégralement pilotés par les institutions de dépôt (banques).
À l’inverse, les titres de participation (actions) reculent à -586 MDH contre +1.488 MDH en 2023, malgré une légère progression des investissements des ménages et sociétés non financières (+197 MDH). Une dynamique qui dessine des implications claires pour les acteurs économiques.
Les banques marocaines, par leur appétit pour les obligations étrangères (+5.450 MDH), cherchent un rendement sécurisé dans un contexte de taux mondiaux élevés, mais s’exposent à un risque de change substantiel. Les sociétés non financières et ménages maintiennent une diversification discrète de leurs portefeuilles via les actions étrangères (+197 MDH), bien que limitée par des contraintes de liquidité.
Enfin, les gestionnaires d’actifs (autres sociétés financières) opèrent un arbitrage stratégique en faveur des marchés domestiques moins volatils, matérialisé par un recul de -783 MDH sur les titres de participation, signe d’une prudence accrue face à l’incertitude globale.
Une gestion des risques minimale et stable pour les instruments financiers dérivés
Il est à souligner le caractère marginal des dérivés financiers, qui restent marginaux (-0,1 MMDH). Leur usage semble cantonné à la couverture de risque par les acteurs institutionnels, sans dimension spéculative. L’analyse des données confirme cette stabilité.
Les acquisitions nettes d’actifs s’établissent à -2,2 MMDH en 2024 (contre -2,9 MMDH en 2023), tandis que les accroissements nets des passifs atteignent -2,2 MMDH (vs -3 MMDH en 2023), maintenant une sortie nette quasi inchangée à -0,1 MMDH depuis l’année précédente. Une faible volatilité qui «révèle une utilisation strictement utilitaire des dérivés, dédiée à la gestion des risques plutôt qu’à des stratégies spéculatives», appuie un analyste. Pour les acteurs, cela implique que les banques et assureurs marocains recourent à ces instruments pour couvrir des expositions au change ou aux taux, sans générer d’impact significatif sur la balance des paiements.
Parallèlement, les entreprises exportatrices bénéficient indirectement de ces mécanismes pour stabiliser leurs revenus face aux fluctuations des marchés, bien que le volume limité de ces opérations (-0,1 MMDH) en minimise l’impact macroéconomique global, confirmant leur rôle d’outil accessoire dans l’écosystème financier marocain.
Ce qui change concrètement
Pour le secteur public, la baisse des entrées de capitaux étrangers contraint le Trésor à réviser fondamentalement ses modes de financement, notamment en privilégiant les marchés domestiques ou des négociations avec des créanciers bilatéraux, tandis que les établissements publics compensent partiellement ce retrait via un accès accru aux marchés internationaux (+11,3 MMDH), une stratégie qui stimule leur capacité d’investissement mais accroît leur vulnérabilité aux chocs de taux et au risque de change.
Dans le secteur financier, les banques voient leurs rendements améliorés par une exposition stratégique aux actifs étrangers (+5 450 MDH en titres de créance), mais cette quête de rendement impose un renforcement urgent des fonds propres pour couvrir les risques de crédit extraterritoriaux, alors que les assureurs et fonds d’investissement, en désaffectant les actions étrangères (-586 MDH), pourraient réorienter ces capitaux vers l’économie réelle locale, soutenant ainsi la croissance domestique.
Pour les investisseurs privés, les sociétés non financières bénéficient de leviers de financement alternatifs grâce à leur recours direct aux marchés internationaux (+11,3 MMDH), bien que cette autonomie s’accompagne d’une complexification de la gestion de leur dette, tandis que les ménages maintiennent une diversification discrète via les actions étrangères (+197 MDH), un canal sans impact macroéconomique mais révélateur d’une culture financière émergente.
Enfin, pour les investisseurs étrangers, leur retrait ciblé de la dette souveraine (-9,5 MMDH) signale soit une aversion accrue pour les risques des marchés émergents, soit une rotation vers des actifs plus rémunérateurs, contrastant avec leur confiance soutenue envers la dette des établissements publics (+11,3 MMDH), qui devient ainsi un pilier critique de l’attractivité financière marocaine.
Un rééquilibrage fragile aux enjeux structurels
En définitive, le solde créditeur des investissements de portefeuille marocains en 2024 cache un reflux des capitaux étrangers (-21,4 MMDH) et une internationalisation prudente des avoirs résidents. Pour les acteurs, les implications sont claires.
L’État gagnerait à restaurer la confiance dans sa dette via une politique budgétaire crédible ; les banques, pour leur part, gagneraient à mitiger les risques associés à leurs expositions internationales ; les entreprises publiques et privées, quant à elles, peuvent exploiter les marchés globaux, mais au prix d’une sophistication accrue de la gestion des risques.
Les dérivés restent anecdotiques, soulignant une maturité encore limitée des outils de couverture. Au final, ces chiffres révèlent une économie en transition, où la résilience dépendra de la capacité à concilier attractivité internationale et stabilité financière domestique.
Ainsi, derrière le rebond technique du solde se lit une recomposition majeure. Le Maroc passe d’une dépendance aux capitaux étrangers à une autonomie financière relative, mais fragilisée par les déséquilibres sectoriels. L’enjeu 2025 sera de transformer cette fragilité en robustesse.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO