Transport aérien. Jean-Louis Baroux : “Les low-cost n’ont plus le monopole des bas prix”

Jean-Louis Baroux
Expert en transport aérien et fondateur d’Air Promotion Group (APG).
Jean-Louis Baroux est l’un des meilleurs experts de l’industrie du transport aérien et du voyage. Il conseille les compagnies aériennes et les plateformes aéroportuaires dans le monde. Après une longue carrière dans les compagnies françaises, il a créé Air Promotion Group (APG), organisateur du forum APG World Connect, un rendez-vous annuel qui se tient dans des villes prestigieuses comme Monaco, Malte, Singapour et Washington, entre autres. Des centaines de dirigeants y échangent chaque année sur les évolutions et les transformations de leur secteur.
L’argument tarifaire qui a été longtemps le principal avantage concurrentiel des compagnies à bas coûts, vous semble-t-il toujours valable ?
Petit à petit, cet argument va disparaître car, d’une part, chaque low-cost est capable d’être moins cher sur telle ou telle destination et ainsi apparaître en tête de liste dans les comparateurs de prix, et, d’autre part, parce que les clients commencent à se rendre compte qu’ils préfèrent leur transporteur low-cost ou «legacy» pour des raisons d’affinités, voire des miles à gagner sur les transporteurs traditionnels et non sur les low-cost. Et il n’est pas certain que ces derniers n’entrent pas dans les programmes de fidélité.
La multiplication des services payants, des retards et d’annulations de vols a-t-elle neutralisé la valeur perçue de ces compagnies auprès des clients ?
La qualité de service et en particulier la «on time performance» va finir par s’imposer et les clients préfèreront des tarifs supérieurs à la condition que leur transporteur ait une grande réputation de ponctualité. Pour le reste, les compagnies «traditionnelles» se convertissent progressivement à la compensation de leurs tarifs de base vendus à perte, ce qui, par ailleurs, est illégal, par une addition de services complémentaires, laquelle sera facilitée par le système NDC (New Distribution Capability)
Que reste-t-il des facteurs qui faisaient l’attractivité et le succès des compagnies low-cost?
ll reste leur image de transporteurs moins chers que les transporteurs traditionnels. Mais cette image va s’estomper au fil du temps et du rapprochement entre l’équation service/prix des low-cost et des compagnies «traditionnelles» tout au moins pour ce qui concerne les vols courts et moyens courriers.
Que les compagnies traditionnelles se mettent à adopter les pratiques des transporteurs «low-cost», peut-il être considéré comme une petite revanche pour ces derniers ?
Certainement. Les compagnies traditionnelles ont, pendant longtemps, méprisé les low-cost jusqu’au moment où leur clientèle s’est transférée vers ces nouveaux entrants. Alors elles ont compris que leur seul moyen de continuer à exister sur les vols de moins de 4 heures était de rejoindre leur modèle même si elles gardent encore un réel avantage de marque qu’elles vont tenter de conserver.
Dans quels domaines voyez-vous, actuellement, la vulnérabilité des compagnies low-cost ?
La distribution est un facteur-clé. Les compagnies low-cost se sont construites en éliminant les coûts non jugés indispensables. C’est pourquoi elles ont privilégié une distribution directe qui passait par internet au lieu d’aller vers les agents de voyage au travers des GDS (Global distribution systems) qui coûtent aux alentours de 7 dollars par passager.
Mais à partir du moment où les transporteurs traditionnels arrivent à afficher des tarifs équivalents à ceux des «low-cost», ces derniers se trouvent dans l’obligation de rejoindre le système de distribution des agents de voyage en passant sous les fourches caudines des GDS. D’autant plus que la distribution traditionnelle via les agences de voyage est à coût variable alors que les accès via Internet exigent de forts investissements publicitaires.
En Europe, Ryanair reste le champion de la rentabilité dans le secteur. Ce transporteur n’est-il pas l’arbre qui cache la forêt de la fragilité des autres acteurs à bas coûts ?
La stratégie de Ryanair a toujours été originale : une sécurité à toute épreuve, des tarifs affichés sans comparaison avec la concurrence, la desserte des aéroports secondaires beaucoup moins chers quant à leurs frais de touchée (Beauvais pour Paris ou Bergamo pour Milan, par exemples), une rémunération du personnel en grande partie reliée à leur productivité, et les subventions obtenues des aéroports/villes ou régions où la compagnie amène des passagers qui deviennent de nouveaux consommateurs. En fait, Ryanair s’est arrangée pour créer sa propre niche de réseau sans être en concurrence avec d’autres transporteurs.
En quoi les positions fortes des «low-cost» sur une destination comme le Maroc vous semblent-elles porteuses de risques ?
Le sujet est plus dans le sur-tourisme que dans l’excès de transporteurs. Si les low-cost ont fait une forte concurrence à Royal Air Maroc et aux autres transporteurs traditionnels européens, ils ont amené une considérable valeur ajoutée à l’hôtellerie marocaine ainsi qu’au commerce des régions desservies. Mais, par ailleurs, cela a permis à la compagnie nationale de repenser sa stratégie et elle est ainsi devenue un «hub» très respecté entre l’Europe et les pays de l’Afrique de l’Ouest. Elle s’est ainsi constitué un réseau difficilement attaquable, pour autant qu’elle arrive à disposer à Casablanca d’un produit aéroportuaire de grande qualité comme l’ont fait les transporteurs du Golfe.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO