Hydrogène vert : promesse contestée du récit énergétique

Lors de la 5e édition du sommet Power to X, le Maroc a réaffirmé son ambition de devenir un acteur de premier plan de l’hydrogène vert. Une volonté affichée alors que la filière demeure au stade pré-industriel, et que sa crédibilité dépend encore de la concrétisation des projets annoncés. Cette édition intervient quelques semaines après la publication du rapport de l’Agence internationale de l’énergie, laquelle pointe le ralentissement des investissements mondiaux dans ce secteur.
L’hydrogène a beau être présenté comme le vecteur énergétique du futur, il ne fera pas disparaître d’un coup de baguette magique les contradictions du présent. Au Maroc, cette promesse technologique, au centre des discussions du grand sommet annuel de l’hydrogène, est arrivée dans un climat social tendu, où les attentes en matière d’emploi et de justice sociale se font plus pressantes. C’est précisément ce levier que les intervenants de la 5e édition du Power to X ont choisi de mettre en avant.
Au-delà des enjeux et contraintes à surmonter en matière de production, l’hydrogène vert est désormais invoqué comme pourvoyeur potentiel de dizaines de milliers d’emplois ! Un argument mis en avant par les circonstances actuelles, mais qui n’est pas encore pleinement intégré au récit énergétique du pays.
En effet, le développement de l’hydrogène vert ne se décrète pas, à en croire les industriels, décideurs et investissements présents en marge de cette rencontre. Ceux-ci s’accordent à dire que pour transformer la promesse en filière crédible, l’hydrogène vert demeure tributaire de la mise en œuvre des projets annoncés.
L’année écoulée a été marquée par la promesse de plus de trois cents milliards de dirhams d’investissements pour une demi-douzaine de projets d’envergure. Ils concernent aussi bien la production d’ammoniac vert que celle d’acier décarboné et reposent sur la mise à disposition de vastes superficies de foncier public, conformément à l’offre Maroc.
Ces projets sont portés par des consortiums associant opérateurs et partenaires internationaux. MASEN évoque à ce propos, à l’horizon 2050, un potentiel de neuf millions de tonnes d’hydrogène vert par an, qui placerait le Royaume parmi les pays les plus compétitifs du continent.
Viabilité économique
Présenté comme une opportunité majeure pour diversifier le mix énergétique, le développement de ce vecteur énergétique décarboné n’en demeure pas moins au stade embryonnaire. La mise en service d’unités pilotes, nécessaires pour évaluer le coût réel de production et la viabilité économique de la filière, se fait toujours attendre.
«C’est une filière nouvelle qui exige du temps et qui implique un travail collectif des différentes parties prenantes», souligne Tarik Ameziane Moufaddal, directeur général de MASEN.
Selon lui, la percée industrielle passera par une planification méthodique, à l’image du solaire et de l’éolien qui avaient d’abord suscité le scepticisme avant de s’imposer dans le mix électrique. Ce responsable insiste sur la nécessité de coordonner infrastructures, gouvernance et financements pour offrir aux investisseurs un cadre lisible et durable. Le patronat met en avant un autre impératif. Chakib Alj, président de la CGEM, estime que la filière hydrogène ne peut être envisagée uniquement sous l’angle de l’export. Elle doit aussi générer de la valeur ajoutée sur le territoire, en créant des pôles industriels et des emplois qualifiés.
«L’attractivité du Maroc dépendra autant de ses ressources naturelles que de sa capacité à former une main-d’œuvre spécialisée et à réduire les disparités régionales», a t-il mis en avant.
Les opérateurs principaux concernés, quant à eux, partagent cette approche tout en insistant sur la dimension technique.
«La production d’hydrogène n’est pas un objectif en soi mais une étape dans la mise en place d’un écosystème», indique Mohammed Yahya Zniber président du Cluster Green H2 .
Selon lui, la crédibilité internationale reposera sur la mise en œuvre de projets pilotes capables de fournir des données fiables sur les facteurs de charge et les coûts réels de production.
Incertitudes
Si les perspectives sont bien réelles, elles se heurtent à plusieurs incertitudes. Ce constat entre en résonance avec la mise en garde de l’Agence internationale de l’énergie qui, dans son dernier rapport intitulé Global hydrogen review, souligne que, malgré l’annonce de centaines de gigawatts de capacités dans le monde, seuls 7% des projets ont atteint le stade de la décision finale d’investissement.
L’AIE prévoit en ce sens un ralentissement des flux financiers dans la filière, en raison de la hausse des coûts à laquelle s’ajoute l’absence de débouchés commerciaux clairement identifiés. Lors de cette grand-messe énergétique, la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali, a répondu à ces doutes en reconnaissant que «l’hydrogène vert est à ce jour coûteux et que le rythme de développement mondial n’est pas celui escompté», tout en affirmant que le Maroc ne pouvait s’enliser dans l’attentisme.
«Le contexte actuel ne fait que renforcer notre conviction. L’hydrogène est d’abord un levier de développement économique et social, un moyen de créer des emplois et d’assurer plus de justice territoriale», a-t-elle insisté.
Cette volonté politique ne saurait suffire sans une implication concrète dans la recherche et l’innovation.
«La recherche appliquée et les partenariats stratégiques sont les conditions de crédibilité de cette filière et les garants de retombées concrètes pour les citoyens ainsi que d’opportunités d’emploi pour les jeunes», affirme Samir Rachidi, directeur général de l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN) qui rappelle au passage qu’une telle orientation se traduit par des initiatives telles que la plateforme GreenHQA ou les projets pilotes de production d’ammoniac, développés avec le concours d’universités et d’industriels marocains et étrangers.
L’IRESEN entend jouer ce rôle de trait d’union entre laboratoires et usines d’une part, politiques publiques et initiative privée d’autre part, afin d’apporter une certaine cohérence à l’écosystème. Au-delà des effets d’annonce, l’avenir de la filière se jouera sur sa capacité à produire de la valeur, à irriguer les territoires et à en faire un levier de justice sociale.
Leila Benali
Ministre de la Transition énergétique et du Développement durable
«Nous ne pouvons pas parler sérieusement d’hydrogène si nous ne sommes pas crédibles en matière d’infrastructures gazières. Le Maroc doit transformer ses ambitions en exécution, ses mémorandums en investissements, et ses projets en prospérité partagée pour notre jeunesse, pour l’Afrique et pour le monde.»
Leila Benali répond au scepticisme
En ouverture de la 5e édition du Power-to-X Summit, la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable a rappelé que le Maroc ne pouvait se permettre de céder au scepticisme ambiant autour des enjeux liés à la transition énergétique.
En effet, les incertitudes géopolitiques et la baisse trop timide des coûts de l’hydrogène vert à l’échelle mondiale alimentent les discours climatosceptiques. Mais plutôt que d’y voir une raison de temporiser, Leila Benali y lit un appel à l’action.
«Ce contexte renforce notre conviction que la transition énergétique n’est pas un luxe mais une nécessité, et qu’elle doit être le moteur d’un modèle de développement créateur d’emplois locaux et garant de justice sociale», a-t-elle affirmé.
La ministre décline trois priorités qui structurent cette vision. D’abord, ériger des infrastructures gazières durables afin de donner toute sa crédibilité à la filière hydrogène. Ensuite, bâtir un pôle d’excellence en recherche et innovation, capable de valoriser pleinement le capital humain.
Enfin, consolider le rôle du Royaume comme corridor stratégique pour le commerce des molécules vertes en vue de faciliter une intégration aux chaînes de valeur mondiales.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO