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Financement des infrastructures : le Maroc, pivot stratégique dans la mobilisation de l’épargne africaine

Face au déficit criant en infrastructures, la mobilisation de l’épargne institutionnelle africaine représente un enjeu stratégique. Dans cette équation continentale, le Maroc joue un rôle de premier plan, passant du statut de participant à celui d’architecte influent d’une finance souveraine.

Imaginez que les caisses de retraite d’Afrique se réunissent et décident de ne plus laisser leur argent dormir. Objectif affiché : transformer l’épargne en infrastructures qui booste la croissance. C’est à travers ce prisme de la finance d’infrastructure, de l’investissement institutionnel et de l’intégration économique, qu’il faut analyser ce récent communiqué datant du 23 septembre annonçant un partenariat entre l’Africa Finance Corporation (AFC) et l’Africa Social Security Association (ASSA), pour mobiliser 1.170 milliards USD d’épargne institutionnelle africaine en faveur des infrastructures. Une annonce qui révèle des implications stratégiques majeures, notamment pour le Maroc, et met en lumière le rôle central et singulier du Royaume dans cette initiative continentale. En effet, en tant qu’acteur clé via le Groupe CDG, Rabat renforce son rôle dans la finance continentale, à travers cette initiative.

Une ambition continentale chiffrée : mobiliser 1.170 milliards de dollars
Le point de départ est un constat économique implacable établi par l’AFC. L’Afrique détient un pool d’actifs institutionnels (fonds de pension, assurances, fonds de sécurité sociale) estimé à au moins 1.170 milliards de dollars.

Cependant, ces capitaux sont sous-optimisés, étant majoritairement investis dans des instruments de court terme à faible rendement, qui limitent le financement du secteur privé et n’adressent pas le déficit criant en infrastructures. C’est dans ce contexte que le programme «Africa Saving for Growth» se présente comme une feuille de route pragmatique pour résoudre cette équation.

Ses quatre piliers – une base de données ouverte sur l’épargne institutionnelle, une feuille de route pour les réformes politiques, un guide de mobilisation de l’épargne et des modèles de diversification des allocations – visent à créer un écosystème favorable au réinvestissement de l’épargne africaine dans son propre développement.

Samaila Zubairu, président-directeur général de l’AFC, décrit «une initiative où les Africains se rassemblent pour mettre notre propre capital au service de la croissance de l’Afrique». Cette approche endogène s’avère cruciale pour une souveraineté financière renforcée.

Le Maroc, non pas simple participant mais pilote influent
L’analyse du communiqué révèle la position distincte du Maroc. Il n’est pas présenté comme l’un des 15 pays membres de l’ASSA (qui représentent collectivement 54 milliards de dollars d’actifs), mais comme un partenaire à part entière, au même titre que l’ASSA et l’AFC.

Le Groupe CDG y est désigné comme «l’un des gestionnaires de capital à long terme les plus influents du continent». Un choix sémantique lourd de sens. Il consacre le Groupe CDG, en tant qu’institution marocaine, comme une référence panafricaine en matière de stewardship d’actifs de long terme. La déclaration de Khalid Safir, directeur général de la CDG, confirme cette position de leadership.

«Nous travaillons en étroite collaboration avec les organisations sœurs à travers l’Afrique pour aligner les efforts, partager l’expertise et libérer le plein potentiel du capital à long terme au service d’un développement responsable», a-t-il dit. Le Maroc, à travers la CDG, n’est donc pas un bénéficiaire passif du programme, mais un co-architecte actif, un modèle à étudier et un diffuseur d’expertise.

Élargissement radical du bassin de capital disponible
Pour les institutions financières, le programme «Africa Saving for Growth» introduit une transformation stratégique majeure. La promotion des Allocation Diversification Models permettra aux caisses de retraite et assureurs marocains de réduire leur concentration historique dans les placements «short-term, low-yield» en réallouant des capitaux vers des projets infrastructurels à rendement élevé.

Cette réorientation, alignée sur l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, s’appuiera sur l’Open Capital-Pools Database – une base de données offrant une transparence inédite sur les actifs institutionnels africains. Un outil qui facilitera les co-investissements transfrontaliers en dévoilant des opportunités jusqu’alors fragmentées, tout en optimisant l’appariement actifs-passifs grâce aux mécanismes de partage des risques inclus dans le Policy Reform Roadmap.

Pour le secteur privé et les pouvoirs publics, le programme agit comme un catalyseur structurel. Les Savings Mobilisation Playbook fourniront des stratégies clés pour formaliser l’épargne informelle élargissant ainsi radicalement le bassin de capital disponible.

Cette formalisation, combinée au focus sur les High Impact Projects (connectivité, productivité), accélérera des initiatives structurantes comme les corridors logistiques ou les énergies renouvelables. La crédibilité opérationnelle de l’AFC – fort de 45 pays membres et de 15 milliards USD investis – sécurisera ces projets, transformant l’épargne mobilisée en leviers concrets de souveraineté économique et de durabilité des fonds de pension.

Ainsi, cette initiative crée un écosystème interdépendant : les institutions financières gagnent en diversification et en rendement, tandis que le secteur privé et l’État accèdent à des financements stables pour des infrastructures transformatrices, renforçant ainsi la résilience économique du Maroc dans le paysage continental.

Un changement de paradigme
Autant dire que ce partenariat annonce des implications profondes pour l’ensemble des parties prenantes. Pour le Maroc, cette reconnaissance renforce sa stature de hub financier continental et valide sa stratégie de Coopération sud-sud. La CDG voit son rôle de catalyseur d’investissements structurants légitimé sur la scène internationale. Ce qui ouvre des opportunités accrues pour les entreprises marocaines des secteurs des BTP, de l’énergie et des télécommunications, qui pourraient bénéficier de financements facilités pour des projets régionaux.

Pour les institutions de sécurité sociale africaines, le programme offre un cadre pour sortir de la frilosité. La feuille de route de réformes politiques, incluant des lignes directrices prudentielles et des mécanismes de partage des risques, répond directement à leurs contraintes de gestion actuarielle.

L’objectif est de leur permettre d’investir dans des infrastructures à haut impact social et économique, comme le souligne Meshach Bandawe, Secrétaire général de l’ASSA, «sans compromettre les obligations fiduciaires», tout en assurant la pérennité des fonds de pension.

Pour le secteur privé africain, c’est une opportunité de rupture. La diversification des portefeuilles des investisseurs institutionnels, loin des instruments à court terme et à faible rendement qui concentrent l’exposition du secteur public et évincent les entreprises privées, signifie un accès potentiellement élargi à des financements de long terme pour les entreprises privées, catalyseurs de croissance et d’emplois.

Pour les investisseurs internationaux, l’initiative, en structurant le marché et en réduisant les risques perçus, rend l’écosystème financier africain plus lisible et plus attractif. Elle crée un effet de levier, l’investissement africain endogène devant catalyser «le soutien international pour les infrastructures du continent», selon les termes du PDG d’AFC.

Ainsi, ce partenariat AFC-ASSA révèle bien plus qu’un nouveau programme. Il acte l’émergence d’une coalition pragmatique, emmenée par des institutions financières de premier plan comme l’AFC et le groupe CDG, pour capter la formidable épargne africaine et la rediriger vers son développement.

Pour le Maroc, c’est la consécration de sa vision stratégique et de son expertise financière comme leviers indispensables à l’intégration économique africaine. Le changement est profond. Il s’agit ni plus ni moins de construire les marchés financiers de long terme qui manquent à l’Afrique, en s’appuyant sur ses propres forces.

Métamorphoser l’épargne dormante en instrument de puissance économique

Ce partenariat AFC-ASSA consacre le Maroc comme architecte central d’une finance africaine intégrée, transformant l’épargne institutionnelle en levier de souveraineté économique. En capitalisant sur les 1.170 milliards USD d’actifs identifiés par l’AFC, il inaugure un circuit vertueux où les capitaux africains financent prioritairement le développement africain.

Une dynamique qui place le groupe CDG en modèle opérationnel pour concilier rendement et impact, tout en ancrant le Royaume dans la refonte des architectures financières continentales. Les prochains mois testeront la capacité des outils clés – notamment les Savings Mobilisation Playbook et Diversification Models – à métamorphoser l’épargne dormante en instrument de puissance économique.

L’enjeu dépasse la simple mobilisation de capitaux : il s’agit de valider l’Afrique comme «global growth engine» en prouvant que ses institutions peuvent structurer des marchés de long terme résilients, réduire la dépendance aux schémas de financement exogènes, et incarner l’ambition de l’Agenda 2063. Le succès reposerait sur une mutualisation pragmatique des risques et une harmonisation réglementaire pilotée par des acteurs comme le groupe CDG, faisant du Maroc un laboratoire de la souveraineté financière africaine.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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