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Exclusif. Ignacio Ezquer : “Assouplir les règles, c’est libérer le potentiel de l’agro-industrie”

Ignacio Ezquer
Professeur chercheur associé au département des biosciences de l’Université de Milan

Comment la biotechnologie peut-elle répondre à l’urgence de la sécheresse ? Ignacio Ezquer, professeur chercheur associé au département des biosciences de l’Université de Milan, aborde les enjeux de l’édition du génome en Italie et son potentiel pour créer des cultures plus résistantes, esquissant les pistes d’une coopération scientifique avec le Maroc.

Quel regard portez-vous sur l’impact des nouvelles technologies génomiques comme CRISPR-Cas9 sur l’agriculture italienne ?
L’industrie agroalimentaire italienne a maintenu pendant des décennies un équilibre entre des pratiques durables, incluant l’agriculture de précision, l’agriculture biologique et la réduction des intrants chimiques. Néanmoins, elle doit désormais concilier préoccupations environnementales et compétitivité économique.

Depuis le début des années 2000, les essais en plein champ de plantes génétiquement modifiées ou éditées ont été de fait empêchés en Italie en raison d’une interprétation stricte de la réglementation européenne. Il y a encore beaucoup de scepticisme et de résistance parmi les consommateurs. Par exemple, des enquêtes menées ces dernières années ont montré qu’une grande partie des consommateurs italiens est opposée aux nouvelles techniques génomiques (NTG) comme le CRISPR/Cas9, en raison des risques sanitaires, environnementaux et des questions éthiques.

D’un autre côté, il existe un attachement culturel et historique à la tradition culinaire et agricole italienne. En effet, les Italiens ont tendance à exprimer une forte préférence pour l’agriculture traditionnelle et les aliments «naturels» ou «authentiques», en particulier dans le contexte des produits régionaux et du régime méditerranéen.

Les chercheurs attendent maintenant de voir si la nouvelle réglementation permettra réellement l’expérimentation. Le régime d’autorisation temporaire, en vigueur jusqu’en 2024, a été introduit pour servir de passerelle vers la révision tant attendue du cadre réglementaire de l’UE sur les plantes génétiquement modifiées.

Après un vote favorable de la Commission de l’environnement, la proposition de la Commission européenne sur les NTG, comme la technologie CRISPR-Cas9, devrait être soumise à un vote parlementaire dans les mois à venir, avant d’être négociée avec les pays membres.

Comment les entreprises de biotechnologie et les sélectionneurs de plantes italiens perçoivent-ils l’édition génomique, et quel est le paradoxe économique auquel l’Italie est confrontée concernant les OGM ?
Les sélectionneurs de plantes et les entreprises de biotechnologie italiens ont une vision plus favorable et pragmatique du CRISPR-Cas9 que le grand public, bien que leur position dépende en grande partie des contraintes réglementaires, économiques et sociales, ainsi que de la zone géographique et de la culture concernée.

De nombreux sélectionneurs reconnaissent le potentiel de l’édition génomique pour améliorer le rendement, la résistance aux maladies, la tolérance à la sécheresse et pour réduire les intrants chimiques en moins de temps et avec des coûts d’investissement plus faibles. Les sélectionneurs sont conscients du désavantage concurrentiel auquel l’Italie est confrontée — surtout pour des cultures comme le maïs et le soja —, en raison de l’interdiction de la culture des NTG, tandis que d’autres pays (par exemple, les États-Unis et le Brésil) bénéficient de variétés biotechnologiques.

Le paradoxe de la situation est que, si les OGM destinés à l’alimentation humaine sont très contrôlés au niveau européen, la situation est différente pour l’alimentation animale où il n’existe pas de contrôle similaire. Pour de nombreuses AOP (appellation d’origine protégée), le cahier des charges de production n’exclut pas l’utilisation d’aliments pour animaux contenant des OGM.

Ainsi, au niveau italien, alors qu’il est nécessaire d’importer des aliments OGM pour les animaux, leur culture n’est pas autorisée. Cela crée un déséquilibre concurrentiel et des pertes pour l’agriculture italienne. L’assouplissement de ces restrictions — notamment en soutenant le développement et l’utilisation réglementée des nouvelles techniques génomiques — aiderait non seulement à corriger ce déséquilibre, mais aussi à favoriser l’innovation et la croissance dans les industries agroalimentaires et semencières italiennes.

Pouvez-vous nous parler des initiatives de recherche concrètes utilisant les nouvelles techniques génomiques en Italie, notamment le premier essai en plein champ et d’autres projets innovants sur des cultures clés ?
Actuellement, les TEA (techniques d’évolution assistée) font l’objet de débats tant au niveau européen qu’au niveau national italien. Une révision de la réglementation sur les OGM est en discussion à Bruxelles. En Italie, le premier essai en plein champ (avec une variété de riz modifiée par TEA) a débuté en mai 2024. Une équipe de l’Université de Milan a été le premier groupe de recherche du pays à déposer une demande.

Pour réduire la sensibilité à la maladie, des gènes clés ont été inactivés dans des plants de riz afin de diminuer leur vulnérabilité à la pyriculariose. Malheureusement, ces essais ont été victimes de vandalisme. D’autres groupes préparent des propositions de recherche, ce qui pourrait bientôt ouvrir une nouvelle ère pour la génétique agricole en Italie.

Plusieurs autres initiatives sont en cours, et le ministère de l’Agriculture a commencé à financer des recherches visant à transférer les résultats du laboratoire au terrain. Les expériences en laboratoire en Italie ont déjà produit d’excellents résultats, allant des tomates enrichies en vitamine D à des agrumes à plus haute teneur en antioxydants.

Dans le sud du pays, la recherche axée sur l’amélioration de la résistance de l’olivier à Xylella fastidiosa, par édition du génome, est particulièrement importante, tout comme les stratégies de ciblage génique dans la vigne, telles que l’amélioration de la résistance au mildiou.

Dans le domaine des céréales, des travaux prometteurs ont été menés sur l’édition des gènes du riz, du blé et de l’orge pour améliorer la résilience à la chaleur et à la sécheresse, ainsi que sur le développement de nouvelles variétés de blé adaptées aux personnes cœliaques.

Compte tenu des défis climatiques, comme la sécheresse au Maroc, comment les avancées biotechnologiques italiennes pourraient-elles être pertinentes et adaptées au contexte du Royaume ?
Ces avancées sont très pertinentes pour un partenaire comme le Maroc, car de nombreuses cultures d’intérêt en Italie sont également essentielles pour l’agriculture marocaine.

L’Italie peut apporter son expertise en biotechnologie et en production alimentaire de haute qualité, tandis que le Maroc peut offrir des perspectives précieuses sur la gestion de l’eau et les stratégies d’adaptation au climat. Les principaux thèmes de recherche qui concernent l’espace méditerranéen commun sont l’amélioration des caractéristiques qualitatives et nutritionnelles, ainsi que le développement de variétés plus résistantes au stress climatique et aux maladies. Par exemple, pour le blé, céréale essentielle dans les deux pays, le blé dur et le blé tendre sont difficiles à croiser.

En utilisant l’édition génomique ciblée, il pourrait devenir possible de transférer des gènes de résistance du blé tendre au blé dur en une année, ce qui prendrait 10 à 15 générations par sélection conventionnelle (entre 5 et 9 ans selon la culture). La recherche marocaine pourrait s’orienter dans cette direction. De même, les recherches italiennes sur les tomates, les agrumes, la résistance de l’olivier à Xylella ou celle de la vigne au mildiou concernent des cultures et des ravageurs d’importance majeure pour le secteur agricole marocain.

Quelles stratégies concrètes pourraient être mises en œuvre pour renforcer la coopération scientifique entre l’Italie et le Maroc, spécifiquement dans le domaine de l’édition du génome pour une agriculture résiliente à la sécheresse ?
Le renforcement de cette coopération pourrait être très bénéfique. La première stratégie serait de financer des programmes de recherche conjoints. Les institutions des deux pays pourraient postuler ensemble à des financements internationaux (ERAnets, PRIMA, H2020) axés sur l’agriculture intelligente face au climat. Une autre approche serait celle des projets de recherche bilatéraux directs entre universités et centres de recherche pour développer conjointement des variétés résistantes à la sécheresse en utilisant CRISPR/Cas9.

Le Maroc, avec son environnement et son histoire agricole, offre une excellente plateforme pour tester la recherche expérimentale sur le changement climatique. Cela peut être exploité par les entreprises de biotechnologie italiennes pour collaborer avec les producteurs agricoles marocains. On pourrait aussi mener des essais multisites dans les deux pays pour tester et affiner des variétés éditées dans différentes conditions climatiques.

Ces initiatives devraient inclure des avantages pour les industries nationales, comme des réductions d’impôts, et soutenir l’échange de chercheurs et de matériel. L’effort devrait se concentrer sur des cultures clés communes comme le blé, le riz, l’orge et les tomates, en utilisant l’édition du génome pour améliorer leur tolérance à la
sécheresse.

Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO



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