Stress climatique. L’avocat, un fruit au goût amer

Avec 95.859 tonnes expédiées en 2024, le Maroc se hisse au 5ᵉ rang mondial des exportateurs d’avocats. Mais ce succès commercial a un coût. Cette culture aquavore accentue davantage la pression sur les ressources hydriques, au grand dam de la communauté scientifique.
La saison 2025 s’annonce comme l’une des plus difficiles qu’ait connues la filière de l’avocat. Dans les vergers du Gharb et de Moulay Bousselham, la succession de vagues de chaleur estivales a provoqué la chute prématurée des fruits, «grillés» avant maturité par des températures dépassant les 40°C. Interrogé il y a une semaine par un site spécialisé, Abdelkrim Allaoui, président de l’Association des producteurs d’avocats du Gharb, évoque des pertes pouvant atteindre la moitié de la récolte. Cette situation n’échappe pas aux agronomes. L’avocatier, arbre subtropical, s’adapte difficilement au climat aride et semi-aride, encore moins à des épisodes de canicule prolongés. Concrètement, le stress thermique rapporté par les producteurs cette année a entraîné l’avortement des fleurs, puis la chute prématurée des fruits, avec ce que cela implique pour les récoltes.
316,8 millions de dollars exportés
Pourtant, la filière continue de gagner, d’année en année, des parts de marché à l’export, portée par une demande mondiale insatiable pour ce fruit devenu symbole d’un mode de vie sain. Avec 95.859 tonnes expédiées en 2024, le Royaume se place juste derrière l’Espagne (138.977 t) et la Colombie (138.562 t), longtemps en tête sur le marché européen. Ce volume l’inscrit dans le club restreint des grands exportateurs, dominé par le Mexique, de loin premier mondial et dont la courbe écrase toutes les autres, avec 1,19 million de tonnes expédiées en 2024. À ses côtés, le Pérou (569.570 t) confirme son statut de deuxième géant du secteur. En valeur, les volumes exportés atteignent 316,8 millions de dollars en 2024 (3,4% des exportations mondiales en valeur), loin derrière le leader mondial, le Mexique, qui concentre à lui seul plus de 3,7 milliards USD, soit 40,7% du marché mondial. L’avocat marocain s’exporte en moyenne à 3.305 USD la tonne, un prix compétitif, notamment vis-à-vis de l’Espagne (3.333 USD) et des Pays-Bas (3.344 USD).
Pression hydrique
Cette compétitivité, conjuguée à la proximité géographique avec le marché européen, explique en partie la percée de la filière nationale. En effet, entre 2020 et 2024, le Maroc a enregistré une hausse annuelle moyenne de 29% en valeur et de 28% en quantité, un rythme de croissance bien supérieur à celui de la plupart des grands exportateurs. Mais ce succès a un coût. Selon Mohamed Taher Sraïri, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV) de Rabat, le consensus scientifique estime qu’un hectare d’avocatiers requiert environ 16 millions de litres d’eau. Un volume considérable, équivalent à la consommation domestique annuelle de près de 500 Marocains. «Comment un pays frappé de plein fouet par une sécheresse chronique continue-t-il de miser sur l’expansion d’une culture gourmande en eau en vue de consolider des parts de marché à l’international ?», s’interroge le professeur Srairi. En effet, dans le Gharb et le Loukkos, l’avocatier survit grâce au pompage massif des nappes phréatiques. Ces réserves souterraines, déjà surexploitées, se vident à un rythme alarmant. Cette pression hydrique s’invite jusque dans les foyers des villages avoisinant les exploitations de “l’or vert” qui subissent des coupures récurrentes d’eau potable. Ces tensions illustrent les limites d’un modèle agricole qui puise sans relâche dans des nappes surexploitées et dont la soutenabilité est désormais mise en question. Face à cette impasse, les regards se tournent vers le dessalement de l’eau de mer, présenté comme l’une des rares alternatives capables de maintenir la filière. Mais cette solution, lourde en investissements et en coûts, notamment énergétiques, pose à son tour la question de sa viabilité économique à long terme.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO