Contrôle fiscal : les particuliers, nouveaux VIP des vérifications surprises de 2024

Avec 9,6 milliards de DH recouvrés via le contrôle sur place (+66%) et un déploiement technologique accéléré (data lake, facturation électronique), la DGI redéfinit son approche fiscale en 2024. Détails.
7.674 dossiers contrôlés sur place (+32%), 60.831 sur pièces (+9%), un data lake opérationnel : la DGI dévoile les chiffres clés de sa transformation en 2024. Le rapport 2024 de la Direction générale des impôts (DGI) dévoile une restructuration profonde du contrôle fiscal, mue par des choix stratégiques et technologiques. Les données révèlent une administration en mutation, où l’efficacité opérationnelle et le ciblage des contribuables redéfinissent l’équilibre entre recouvrement, équité et modernisation.
Contrôle sur place : l’artillerie lourde de la DGI
Le contrôle sur place s’impose comme le pilier stratégique de la DGI en 2024, avec des résultats sans précédent : 9,605 milliards de DH de droits recouvrés (+66% vs 2023), générés par 7.674 dossiers vérifiés (+32%). Une performance «notable», selon la terminologie officielle, qui repose sur deux piliers structurels.
D’une part, le renforcement technologique du dispositif via l’optimisation du système d’information (module SIT) et l’exploitation des données. Et d’autre part, la réforme législative (LF 2024) élargissant l’examen à «l’ensemble de la situation fiscale des personnes physiques», un levier juridique qui transforme l’approche de contrôle.
Cette mutation opérationnelle s’accompagne d’un rééquilibrage ciblé : la part des personnes physiques dans les dossiers vérifiés bondit de 19% à 47% (+27 points), corrigeant un biais historique en faveur des entités morales. Parallèlement, la DGI privilégie désormais les vérifications générales (examen exhaustif), qui représentent 82% des contrôles (+8 points), signant une stratégie plus systémique et intrusive.
Efficacité en demi-teinte du contrôle sur pièces
Le contrôle sur pièces révèle des dynamiques contradictoires en 2024. Si le nombre de dossiers traités progresse de 9% (60.831 dossiers), les recettes chutent de 4% (5,275 milliards de DH), soulignant une dilution de l’efficacité recouvrement. Une contradiction qui s’incarne dans des trajectoires sectorielles opposées. Les «autres personnes morales» (essentiellement des PME) voient leurs recettes bondir de 12% (2,268 milliards de DH), représentant 43% du total.
À l’inverse, les grandes entreprises subissent un effondrement de 22% (1,627 milliards de DH), malgré une hausse de 10% des dossiers traités. Les personnes physiques professionnelles et particuliers stagnent à 1,380 milliard de DH (+0,4%). Une dichotomie qui suggère une optimisation anticipée par les grands groupes, moins vulnérables aux audits documentaires, tandis que les PME deviennent un segment clé pour la DGI.
L’analyse révèle ainsi un découplage entre volume et rendement. La hausse mécanique des contrôles ne compense pas la baisse de recettes par dossier, signalant soit une meilleure conformité préventive des cibles traditionnelles, soit un déplacement stratégique vers des contribuables à la solvabilité moindre. Le focus sur les PME, génératrices de près de la moitié des recettes, marque un réalignement tactique face aux limites du contrôle sur pièces face aux grandes structures.
Innovations technologiques : l’Axe central de la modernisation
La modernisation de la DGI s’articule autour de deux projets technologiques structurants. Le Système de recoupement et d’analyse de données a vu en 2024 le déploiement concret de son data lake, alimenté par des données internes, externes et web, préparant les environnements de développement et de production.
Parallèlement, le lancement du système de facturation électronique vise explicitement à «renforcer la transparence», «faciliter le respect des obligations fiscales», et «mieux appréhender les transactions commerciales», selon les spécifications finalisées en cours de développement. Une double avancée qui transforme fondamentalement le paysage fiscal. Le croisement algorithmique de données hétérogènes (médias sociaux, transactions financières, déclarations) permettra un ciblage probabiliste des risques, réduisant les contrôles aléatoires au profit d’une approche prédictive.
Sur le plan comportemental, la facturation électronique pourrait renforcer le «civisme fiscal» par la traçabilité obligatoire, mais génère un risque de résistance accrue chez les petits contribuables, perçue comme une intrusion bureaucratique. Une évolution qui consacre la data science comme colonne vertébrale de la gouvernance fiscale au Maroc, où l’exploitation massive de l’information remodèle tant les méthodes de contrôle que la relation contribuable-administration.
Contrôle IR/PF et DET : la montée en puissance de l’immobilier
Le contrôle de l’impôt sur les profits fonciers (IR/PF) et des droits d’enregistrement et de timbre (DET) affiche une progression globale modérée de +4% (2,889 milliards de DH en 2024), masquant des dynamiques opposées entre secteurs.
Les recettes de l’IR/PF bondissent de +9% (2,110 milliards de DH), représentant 73% du total, tandis que les DET reculent de -8% (779 MDH), accentuant leur part minoritaire (27%). Une divergence qui reflète une stratégie ciblée sur le marché immobilier, où la volatilité des prix et les risques de sous-déclaration des plus-values foncières justifient un renforcement des contrôles. Notons aussi que l’IR/PF cible majoritairement les particuliers réalisant des profits immobiliers, cristallisant ainsi l’objectif d’équité fiscale via la taxation des revenus patrimoniaux.
La chute des DET, liée aux transactions, suggère, quant à elle, un ralentissement du marché ou une optimisation accrue des montages juridiques. Une dualité qui confirme la volonté de la DGI de concentrer ses efforts sur les flux économiques à haut rendement fiscal (plus-values) plutôt que sur les actes formels (transactions), redéfinissant en profondeur l’équilibre recouvrement-équité dans le secteur clé de l’immobilier.
Des équilibres à repenser
Au vu de ce qui précède, disons que le virage stratégique de la DGI soulève des défis structuraux où équité et efficacité doivent être réconciliées. Le basculement massif vers le contrôle des personnes physiques (47% des dossiers sur place, contre 19% en 2023) répond à une exigence sociale de justice fiscale, mais risque de fragiliser le lien contribuable-administration, perçu comme intrusif.
Parallèlement, l’explosion des recettes sur place (+66%) démontre l’efficacité du contrôle terrain contre la fraude, tout en soulevant une question cruciale : cette performance reflète-t-elle une fraude structurelle sous-estimée les années précédentes ?
Comme le rappelle la DGI, «le droit de contrôle […] est l’un des principaux garants de l’équité devant l’impôt et du civisme fiscal».
Cependant, l’explosion des volumes (+32% de dossiers sur place, +9% sur pièces) expose un risque opérationnel majeur : la pérennité des ressources humaines et technologiques face à cette intensification. Une tension entre transparence accrue et acceptabilité sociale qui définit l’équation gouvernance, où la légitimité de l’impôt dépendra de la capacité à concilier contrôle rigoureux et confiance citoyenne.
Les trois piliers de la nouvelle DGI
Le rapport 2024 de la DGI dessine une administration fiscale transformée, structurée autour de trois piliers stratégiques. Premièrement, un ciblage rééquilibré priorisant désormais les personnes physiques (47% des contrôles sur place) et les PME (43% des recettes sur pièces), corrigeant des décennies de focalisation sur les grandes entreprises. Deuxièmement, la technologie comme colonne vertébrale, incarnée par le data lake du Système de recoupement et la future facturation électronique, transformant la data en arme prédictive contre la fraude. Troisièmement, une légalité renforcée via la LF 2024, élargissant légalement le champ d’investigation des contrôles. Ce modèle «intrusif, data-driven et équilibré» affronte toutefois un défi majeur : maintenir la confiance contribuable dans un contexte de transparence accrue.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO