Café et cacao : une nouvelle onde de choc se profile

Malgré les mécanismes d’amortissement mis en place par le Maroc, une nouvelle flambée des prix du cacao et du café semble inévitable. En toile de fond, pénurie, spéculation et déséquilibres structurels qui dépassent largement les capacités d’action nationale. Le consommateur, lui, reste exposé, dans un contexte où la demande ne faiblit pas.
Une nouvelle secousse se profile. Les signaux envoyés par les marchés mondiaux du café et du cacao sont sans équivoque. Les hausses de prix amorcées depuis deux ans s’apprêtent à franchir un nouveau seuil. La multiplication des aléas climatiques, les tensions géopolitiques persistantes et la pression croissante de la demande mondiale — notamment en Chine et en Inde — laissent entrevoir une flambée des cours difficile à contenir.
Au Maroc, l’arsenal fiscal déployé pour amortir l’impact de la précédente hausse a montré une efficacité ponctuelle. Mais pour combien de temps ? Selon la dernière note de conjoncture de l’INSEE, les prix du cacao et du café poursuivent leur trajectoire ascendante. En 2024, alors que l’inflation globale commençait à se modérer, ces deux denrées tropicales ont vu leurs prix quadrupler par rapport à leurs niveaux de 2019.
Pire, en 2025, la tendance ne faiblit pas. Au deuxième trimestre, les prix de détail du café, du cacao et du thé progressaient de 40,5% par rapport à la moyenne 2019, tandis que les modèles prospectifs anticipent une hausse allant jusqu’à 48% d’ici la fin de l’année.
Derrière cette flambée, des causes bien identifiées. La contraction de l’offre liée à des aléas climatiques récurrents, notamment en Afrique de l’Ouest et au Brésil, des craintes de pénurie persistantes, et un regain de spéculations sur fond d’incertitudes géopolitiques, dopées par les déclarations agressives de Donald Trump.
Bouclier fiscal ou simple pare-feu ?
Le Maroc n’est pas resté passif à la volatilité des marchés mondiaux. Dès 2023, les autorités ont abaissé les droits d’importation sur le café vert de 10% à 2,5%, une mesure destinée à atténuer l’effet de transmission des hausses mondiales.
Cette décision a permis une légère montée en puissance de la torréfaction locale, avec des investissements accrus et des volumes d’importations brutes en hausse. Les importations de café vert ont bondi à plus de 54.000 tonnes, les investissements industriels se sont multipliés, et les emplois ont suivi. Mais, aujourd’hui, avec un kilo de café vert en hausse de 50% entre 2023 et 2024, les marges de manœuvre se réduisent.
«Désormais, le marché devient impossible à maîtriser. Nous faisons face à une pression spéculative constante, d’autant plus que la demande mondiale explose, notamment en Chine et en Inde. Ces deux géants asiatiques, représentant 40% de la population mondiale, modifient en profondeur les équilibres traditionnels du marché mondial du café», alerte Mohamed Astaib, président de l’Association marocaine des industriels du thé et du café (AMITC). Quoi qu’il en soit, les producteurs marocains affichent une note d’optimisme, en raison des perspectives prometteuses du Vietnam.
Paradoxe
Quant au cacao, les signaux sont au rouge. Le prix de la tonne a franchi la barre des 10.000 dollars à New York, avec une transmission partielle mais croissante sur les prix à la consommation, +22% sur les produits à base de cacao entre mi-2023 et mai 2025, selon l’INSEE. À cela s’ajoutent les surcoûts logistiques liés aux tensions géopolitiques au Moyen-Orient.
«C’est une crise structurelle. Même avec une production locale maîtrisée, nous restons dépendants des marchés mondiaux. Le chocolat, bien que considéré comme un produit secondaire, est désormais au cœur d’un cycle inflationniste global. Mais le coût du transport est davantage problématique», souligne Sofia Kendouci, fondatrice de «Le Monde de Sophie», spécialisée dans la confiserie et le chocolat haut de gamme. Mais, paradoxalement, la demande ne tarit pas.
En dépit de cette spirale inflationniste, la consommation nationale résiste. Si le café reste historiquement une boisson urbaine — avec une moyenne de 900 grammes par habitant et par an —, son usage se démocratise sous l’effet de l’urbanisation, du tourisme et de la diversification des formats (capsules, boissons prêtes à consommer…). Quant au chocolat, bien que la consommation reste modeste au Maroc (1 kg par habitant par an), elle s’inscrit dans une tendance de fond, en lien avec l’évolution des modes de vie.
Jusqu’où l’État pourra-t-il amortir le choc ?
À court terme, la suspension des droits d’importation sur certaines denrées stratégiques, comme le café ou le blé, joue un rôle de pare-choc. Or, cette politique a un coût budgétaire et une efficacité limitée face à des cours mondiaux qui échappent à toute logique traditionnelle. Si environ deux tiers des hausses ont déjà été répercutés dans les prix à la consommation, la poursuite du mouvement semble inévitable.
Dans ce contexte, la vigilance devient plus que jamais de mise. Car à mesure que le cacao et le café s’imposent dans les habitudes, leur dimension stratégique s’affirme. L’État devra arbitrer entre maintien du pouvoir d’achat, soutien à l’industrie nationale et exposition croissante à des marchés mondiaux plus instables que jamais.
Mohamed Astaib
Président de l’AMITC
«Désormais, le marché devient impossible à maîtriser. Nous faisons face à une pression spéculative constante, d’autant plus que la demande mondiale explose, notamment en Chine et en Inde. Ces deux géants asiatiques, représentant 40% de la population mondiale, modifient en profondeur les équilibres traditionnels du marché mondial du café.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO