Fès : quand les musiques sacrées d’Afrique célèbrent l’unité

Le Festival de Fès des musiques sacrées du monde s’est achevé samedi soir, prouvant que la musique est un pont universel. À Bab Makina, les mélodies envoûtantes du Ghana, du Mali et les psalmodies du Maroc ont fusionné en une symphonie vibrante. Une clôture grandiose qui a rappelé la puissance de l’harmonie pour unir les cœurs et transcender les frontières.
L’enceinte historique de Bab Makina à Fès s’est parée de ses plus beaux atours pour la soirée de clôture de la 28e édition du Festival des musiques sacrées du monde. Ce fut un spectacle empreint d’une magie et d’une émotion palpables, transformant le lieu en un véritable sanctuaire de communion musicale et spirituelle où les riches traditions africaines ont brillé de mille feux. Le public, venu en nombre pour cette apothéose, a vibré à l’unisson des sonorités envoûtantes venues du Ghana, du Mali et du Maroc.
Cette soirée exceptionnelle a illustré avec une rare intensité l’esprit même du festival : relier les peuples et les cultures à travers le langage universel de la musique, dépasser les frontières pour créer un espace d’unité où chaque âme se sent profondément connectée.
Échos d’une histoire partagée
Le voyage musical a débuté avec la finesse et l’authenticité du colletif Seperewa du Ghana. Héritiers d’une tradition séculaire articulée autour de la harpe-luth ghanéenne, ces musiciens, sous la direction de John Kwame Osei Korankye, figure emblématique de cet art, ont immédiatement captivé l’auditoire. Accompagné de Christopher Amootornyor au prempensiwa et de Prince Charles Eghan aux percussions, le groupe a offert une performance d’une grande pureté.
Au-delà de la virtuosité instrumentale, ce sont les histoires contées qui ont profondément touché, résonnant comme une leçon de vie sur la transmission et l’espoir. La scène fut ensuite investie par la grâce et la profondeur du grand Ballaké Sissoko et son Orkestra, venus du Mali. Les notes cristallines de la kora, la harpe malienne, ont littéralement emporté Bab Makina.
Les poèmes chantés, portés par une musique sacrée, d’un raffinement exquis, ont élevé les esprits, plongeant l’assistance dans une atmosphère à la fois méditative et d’une intense ferveur. Chaque note semblait toucher l’âme, rappelant la place centrale de la musique dans la culture malienne, une musique qui est à la fois mémoire, sagesse, émotion et prière.
Cette connexion entre le Ghana et le Mali n’est pas fortuite. Comme nous l’a expliqué le maître Ballaké Sissoko. Pour lui, l’histoire de l’empire mandingue lie le Mali et le Ghana, qui en faisaient partie, d’où l’existence d’une similarité culturelle fondamentale entre ces deux traditions.
«En découvrant les instruments ghanéens, j’ai constaté que la sensation et la similarité musicale sont bien présentes, même si nous ne parlons pas la même langue, on sent une connexion forte», a-t-il précisé, soulignant que ses musiciens et lui ont essayé de mettre en lumière ces points de convergence, ces racines communes, pour créer une expérience musicale unifiée et respectueuse des deux héritages.
Symphonie panafricaine et transe soufie : l’apogée de la communion
Les deux présentations musicales ont matérialisé cette vision commune avec la rencontre musicale entre les artistes ghanéens et maliens. Fusionnant leurs répertoires, rassemblant les sonorités de leurs instruments avec une complicité évidente, ils ont créé une symphonie commune. Le public, transporté, s’est joint à eux par la voix et les applaudissements, participant à une transe collective libératrice, symbolisant l’unité profonde du continent africain.
L’un des temps forts de cette soirée de clôture a été l’entrée triomphale du groupe Aïssawa de Meknès sur la scène de Bab Makina. Dès les premières notes jouées, les musiciens ont déclenché l’euphorie du public. Très vite, leurs psalmodies, soutenues par des percussions, ont transformé Bab Makina en un espace où les spectateurs, debout, dansaient et entonnaient en chœur ces chants mystiques des confréries soufies marocaines.
Le final, absolument grandiose, a réuni les tambours ghanéens et les musiciens meknassis dans une harmonie parfaite et inattendue, offrant un moment d’une rare intensité. Cette rencontre a mis en lumière les liens profonds qui unissent les peuples africains, révélant qu’au-delà de la diversité, l’Afrique partage un même cœur battant, riche et uni.
Fès et ses 108 virtuoses revisitent l’histoire andalouse
En marge du Festival des musiques sacrées du monde, jeudi soir, sous les voûtes ancestrales de Bab Al Makina, la cité impériale a vu 108 virtuoses s’unir pour une célébration mémorable de la musique andalouse. Coïncidant avec le 44e anniversaire de l’inscription de Fès au patrimoine mondial de l’UNESCO, cette soirée a rassemblé 44 musiciens de l’art «Al Ala» dirigés par le maître Mohammed Briouel, 44 «moussamiines» (chantres soufis) guidés par Cheikh Ali Rebbahi, et 20 «Foukaras» pour les rythmes de la Hadra.
Ensemble, ils ont offert une fresque sonore et spirituelle explorant les 11 «noubas» et les «toubous» du répertoire andalou, enrichis par les «mayazines» et «al adrajs» des zaouias marocaines, gravant ainsi une page d’histoire pour ce patrimoine musical unique.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO