Maroc

Agriculture de précision : les enjeux d’une transformation inévitable pour le Maroc

Face aux impératifs climatiques et économiques, l’agriculture de précision s’impose au Maroc comme une mue inéluctable. Cette analyse décrypte les enjeux technologiques, financiers et humains de cette transition, essentielle pour la résilience et la productivité du secteur, mais semée d’obstacles à surmonter pour une adoption généralisée.

Le Maroc, confronté à des défis climatiques croissants et à la nécessité d’optimiser ses ressources, place l’agriculture digitale au cœur de sa stratégie de développement agricole.

S’appuyant sur une décennie d’initiatives en agriculture de précision, le Royaume intensifie ses efforts pour intégrer les outils numériques, des satellites aux drones en passant par les capteurs et les plateformes de gestion, afin d’améliorer les rendements, réduire les coûts et l’impact environnemental, et renforcer la résilience de son secteur agricole.

Cette transformation, bien que prometteuse, rencontre des défis d’adoption, notamment chez les petits et moyens exploitants, nécessitant une approche multidimensionnelle alliant sensibilisation, incitations financières et soutien à l’innovation locale, comme le souligne Kamal Aberkani, expert en sciences de l’agriculture à la Faculté pluridisciplinaire de Nador.

Les fondations d’une agriculture modernisée : de la précision au digital
L’engagement du Maroc dans la modernisation de son agriculture n’est pas nouveau. Il y a une dizaine d’années, le pays a commencé à explorer les voies de l’agriculture de précision, une démarche intrinsèquement liée à la vision du PMV, puis à la Génération Green.

Pour avancer dans l’analyse, Aberkani souligne l’importance de distinguer entre l’agriculture digitale qui correspond à l’utilisation d’outils numériques dans le domaine agricole, et l’agriculture de précision qui, quant à elle, vise à optimiser la production en intervenant de manière ciblée afin de maximiser les rendements, minimiser les coûts (économiques et environnementaux), et générer un impact socio-économique positif. L’agriculture digitale peut ainsi être considérée comme une composante de l’agriculture de précision.

Cette orientation a été motivée par des contraintes agricoles aiguës, notamment la raréfaction des ressources hydriques et la fluctuation des prix des intrants, rendant impérative la valorisation de chaque élément de production.

L’arsenal technologique au service des cultures
Au cœur de cette révolution digitale se trouve une panoplie d’outils technologiques. «Il s’agit principalement de l’utilisation d’outils numériques qui incluent notamment les satellites, les drones et les capteurs», explique Aberkani.

Les satellites, tels que Sentinel 2 et Landsat, offrent des capacités de surveillance à grande échelle, complétées par la flexibilité des drones équipés de caméras variées (RGB, multispectrales, thermiques). Les capteurs, déployés au sol ou sur les plantes, mesurent des paramètres comme l’humidité du sol, les conditions microclimatiques ou les caractéristiques des cultures, alimentant des systèmes d’alerte précoce.

« Je peux affirmer que si ces technologies ne nous donnent pas encore une compréhension totale de la réalité biologique des plantes, elles nous en rapprochent considérablement», ajoute l’expert, soulignant qu’elles guident la prise de décision pour optimiser la gestion de production et améliorer le rendement global à l’échelle de l’exploitation agricole.

Les défis de l’adoption : une fracture numérique à combler
Malgré une stratégie nationale claire et la disponibilité croissante des technologies, l’adoption généralisée du digital en agriculture se heurte à des obstacles significatifs. Le principal défi, selon Aberkani, réside dans «la difficulté pour les petits et moyens producteurs d’intégrer ces technologies et, plus encore, d’être convaincus de les utiliser». Ces agriculteurs, qui constituent la majorité au Maroc, s’appuient souvent sur des pratiques ancestrales, rendant la transition complexe et longue.

«Cette situation n’est pas propre au Maroc», nuance l’expert, précisant que de nombreux pays ayant déjà une expérience dans le digital ont rencontré des difficultés similaires pour l’intégration auprès des petites exploitations.

En revanche, les grands producteurs, notamment ceux tournés vers l’exportation et disposant d’équipes techniques qualifiées, intègrent plus aisément ces innovations, leur permettant de maximiser leur production tout en minimisant leurs coûts. L’un des apports majeurs de l’agriculture digitale réside dans sa capacité à gérer la variabilité intra-parcellaire.

«Dans un champ, le terrain n’est intrinsèquement pas homogène», rappelle Aberkani.

Des facteurs tels que la nature du sol, les conditions édaphiques et la répartition des nutriments créent une hétérogénéité que les outils numériques permettent de diagnostiquer avec précision. «Associés à des logiciels d’analyse, ces outils nous permettent de déterminer, par exemple, dans quelles zones d’une parcelle il faut ajuster l’apport d’azote, de phosphore, ou la quantité d’eau», précise l’expert.

Lever les freins : incitations, R&D et coopération internationale
Pour surmonter les freins à l’adoption, Aberkani préconise une politique agricole axée sur la motivation. «Il faudrait envisager de subventionner l’achat et l’utilisation des outils numériques», suggère-t-il, évoquant des réductions sur les intrants ou des facilités financières comme des taux d’intérêt préférentiels.

Soutenir les entreprises marocaines développant ces technologies par des subventions à la R&D est une autre piste capitale. L’expert insiste également sur l’importance du regroupement des producteurs, soulignant qu’il est plus facile de convaincre une association de producteurs d’adopter le digital que de le faire individuellement.

L’expérience internationale, comme le projet européen DATI (Digital Agriculture Technologies for Irrigation) auquel le Maroc participe, confirme l’intérêt pour le digital, mais aussi les défis d’implantation.

«Au Maroc, nos enquêtes ont confirmé le besoin d’adopter le digital», note Aberkani, tout en soulignant que «le principal frein réside dans le manque de disponibilité généralisée de ces solutions sur le terrain».

Le digital, clé de voûte de la performance et de la résilience agricole future
L’agriculture digitale représente indéniablement une voie d’avenir incontournable pour le Maroc, offrant des solutions tangibles pour accroître la productivité, optimiser l’utilisation des ressources rares comme l’eau, et renforcer la résilience face aux aléas climatiques.

Si la vision stratégique et les fondations technologiques sont en place, la réussite de cette transition dépendra de la capacité du pays à lever les barrières à l’adoption, en particulier pour les petits et moyens agriculteurs.

Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO



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