Noor III : le CSP, “tour” aux pieds d’argile

L’arrêt prolongé de la station Noor III interroge sur la viabilité d’une technologie qualifiée d’«embryonnaire» dès son lancement par de nombreux experts. Pour l’heure, la mise à l’arrêt de la centrale en mars 2024 a entraîné une perte de 509,5 millions de dirhams. Masen, actionnaire à hauteur de 25 % du projet, en supporte 127,37 MDH.
Dans le grand livre des transitions énergétiques, il y a les promesses et il y a les bilans. Au milieu du désert, Noor III devait incarner l’avenir d’une électricité propre et pilotable, capable de lisser l’intermittence du solaire. Derrière les discours et l’image d’une tour captant la lumière du soleil pour la restituer la nuit tombée, la réalité est plus âpre. Plusieurs années après son déploiement, la technologie s’avère fragile et exige régulièrement des surcoûts opérationnels. Inaugurée en grande pompe, la centrale est aujourd’hui toujours à l’arrêt, plombée par une fuite dans son réservoir de sels fondus, élément clé du stockage thermique.
«La fuite est issue de vibrations, de fatigue du matériel», explique un spécialiste.
Prévue pour redémarrer en novembre dernier, l’installation ne devrait reprendre ses opérations qu’à la fin du mois d’avril prochain. L’épisode souligne les limites d’une technologie qui, dès ses débuts, a soulevé des doutes. Le solaire thermodynamique à concentration, ou CSP, était encore en phase expérimentale lorsque le Maroc y a jeté son dévolu.
L’idée était séduisante. Concentrer l’énergie du soleil grâce à des miroirs pour chauffer un fluide et produire de l’électricité en continu, même après le coucher du soleil. Mais sa mise en œuvre s’est avérée délicate. «Le moindre défaut d’étanchéité ou problème de gestion des réservoirs peut engendrer une anomalie et provoquer ainsi un arrêt immédiat», observe un expert du secteur. Un risque qui se confirme aujourd’hui…
Impact limité
L’impact financier de cet arrêt prolongé pèse sur l’équilibre du projet. Avec une capacité de 150 MW, Noor III représentait une pièce non négligeable du mix énergétique national. Son absence prive-t-elle pour autant le réseau d’une ressource essentielle ? Pas vraiment, à en croire les spécialistes, car sa production est compensée par d’autres unités du complexe Noor et par des importations d’électricité.
Sur le plan financier, l’arrêt de la centrale Noor III en mars 2024 a entraîné une perte de 509,5 millions de dirhams, selon Saïd Guemra, expert conseil en management de l’énergie. Masen, actionnaire à hauteur de 25% du projet, en supporte 127,37 MDH ! Le modèle économique repose sur une vente de l’électricité à Masen par Acwa Power au prix de 1,42 dirham le kilowattheure, tandis que l’ONEE la rachète à 0,85 dirham, générant une subvention implicite de 0,57 dirham. Avec une production annuelle estimée à 570 GWh, l’arrêt de la centrale représente un coût évité de 325 MDH pour Masen, soit un gain net de 197,63 MDH par an.
À l’échelle des quatre centrales du complexe Noor (560 MW), cet équilibre s’élève à 728 MDH, un montant proche du déficit annuel de 800 MDH mentionné dans le rapport du CESE.
En somme, «moins Noor III produit, moins Masen creuse son déficit», estime Guemra.
Selon cet expert, l’équation économique ne tient ainsi que lorsque la centrale est à l’arrêt ou lorsque son exploitation reste limitée par un faible ensoleillement.
Technologie toujours en phase embryonnaire
Les déboires du CSP posent une question de fond sur l’avenir de cette technologie. Si ses défenseurs ont longtemps vanté sa capacité à pallier l’intermittence du solaire, la réalité des coûts et des contraintes techniques en réduit l’attractivité.
«Le CSP était une technologie en phase embryonnaire, et cela évolue. Il y aura toujours des énergies renouvelables qui sortiront à des prix plus compétitifs. Le Maroc en paie aujourd’hui le prix», constate Oussama Ouassini, analyste économique et financier.
L’incident survenu à Noor III rappelle la fragilité des centrales à tour solaire, dont la maintenance s’avère coûteuse et les réparations longues.
Pour Masen, le sujet dépasse la seule remise en service de la centrale. Il en va de la crédibilité même du modèle et des arbitrages futurs en matière d’investissements. Cet épisode alimente un débat plus large sur les priorités du Maroc en matière d’énergies renouvelables.
À l’international, le CSP peine à s’imposer. De l’Espagne aux États-Unis en passant par l’Australie, plusieurs projets similaires ont été abandonnés ou freinés par des coûts d’exploitation élevés et des problèmes techniques récurrents. Alors que les solutions hybrides, combinant photovoltaïque et batteries, progressent rapidement, Noor III pourrait bien illustrer les limites d’une technologie en quête de maturité.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO