Investissement vert : encore des verrous à lever

L’investissement vert fait face à des résistances culturelles, économiques et technologiques, freinant sa généralisation. Les coûts initiaux élevés et l’accès limité au financement compliquent l’adoption, notamment pour les PME. Pourtant, des solutions existent.
L’adoption de l’investissement vert suscite des débats et des résistances dans plusieurs secteurs économiques, souvent dus à des contraintes culturelles, économiques et technologiques. Le passage à une économie verte est souvent perçu comme une révolution, un changement profond des pratiques et des modèles d’affaires établis.
Mamoun Tahiri Joutei, directeur central de l’Intelligence économique et du développement durable à Bank of Africa, compare cette transition à l’acceptation de l’électricité, autrefois vue comme une menace avant de devenir un élément incontournable de la vie moderne.
Il souligne qu’au Maroc, avec ses conditions climatiques propices au solaire, il est aberrant que des infrastructures comme les toitures solaires ne soient pas généralisées. Il évoque également l’énorme potentiel énergétique de la région, citant le Sahara en exemple.
Cependant, pour Tahiri Joutei, la réticence à l’innovation réside dans la peur du changement, notamment chez les acteurs économiques traditionnels. Quid alors des petites et moyennes entreprises (PME) ?
Celles-ci se trouvent souvent dans une position plus fragile lorsqu’il s’agit de financer la transition vers des pratiques plus écologiques.
Lamiae Derraji, principal banker à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), explique que «des programmes spécifiques, comme le Green Economy Financing Facility, ont été mis en place pour aider ces entreprises. Ces programmes incluent des subventions pour l’investissement, allant de 10 à 15% du montant éligible, ainsi qu’un accompagnement technique».
Des consultants spécialisés aident les PME à évaluer la pertinence des technologies vertes et à s’assurer que les investissements réalisés sont réellement en ligne avec les objectifs de durabilité. Ces initiatives visent à rendre l’investissement vert plus accessible pour les PME et à les encourager à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement.
Réguler au lieu d’inciter
Reste que l’investissement vert peut sembler difficile à adopter pour certaines entreprises en raison de coûts initiaux élevés ou de résistances culturelles. Mais bien que les obstacles demeurent, les solutions existent pour les surmonter, et le passage à une économie verte devient de plus en plus incontournable.
«Le véritable travail commence sur le terrain, dans chaque région. Si on ne va pas au contact des PME, il ne se passera rien», conclut Mamoun Tahiri Joutei.
Pour lui, la vocation d’une banque est d’être constamment en quête de bons projets à financer. Aujourd’hui, tout est de convaincre. «Une fois qu’un client donné comprend qu’il sera rentable à moyen terme, notamment grâce à des économies d’énergie, il devient plus enclin à investir dans des projets verts, comme le prouve l’exemple des panneaux solaires. En l’occurrence, les coûts énergétiques au Maroc sont relativement élevés, ce qui rend ces investissements encore plus attractifs».
Une incitation fiscale ou une subvention n’est pas forcément la clé pour stimuler l’investissement vert. Pour tous les intervenants au débat, il est avant tout nécessaire d’adopter une réglementation qui soit suffisamment flexible et adaptée aux besoins des entreprises.
Hamza Tber, associate director au Boston Consulting Group (BCG), aborde à ce titre les mécanismes incitatifs et punitifs qui doivent être mis en place. Il évoque notamment les stratégies sectorielles et les parcs industriels, des leviers d’incitation visant à encourager les entreprises à se tourner vers des projets verts. Il mentionne aussi la nécessité de recourir à des mécanismes plus contraignants, comme la mise en place du «carbon pricing», ou encore l’introduction de quotas d’émissions.
Pour lui, «les efforts doivent être menés sur ces deux fronts bien qu’il reste encore beaucoup à faire pour aboutir à un cadre réglementaire pleinement efficace».
Mamoun Tahiri Joutei
Directeur central, intelligence économique et développement durable – Bank Of Africa
«On n’a pas forcément besoin d’une incitation fiscale ou de subvention, ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’une réglementation qui soit adaptée pour accompagner l’entreprise.»
Lamiae Derraji
Principal Banker – BERD
«Les PME marocaines sont déjà sensibilisées et assez matures pour comprendre l’intérêt du financement vert. Elles viennent à nous avec des besoins, ce qui témoigne de l’évolution de la demande.»
Hamza Tber
Associate Director – Boston Consulting Group
«Le Maroc fait de grands progrès en matière de transition verte, mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour que la réglementation devienne vraiment stimulante pour les investisseurs.»
Green energy : l’impératif de la libéralisation
Pour surmonter ces réticences, l’un des arguments les plus convaincants est la rentabilité de l’énergie verte. Tahiri Joutei insiste sur la nécessité de libérer la production d’électricité au Maroc, ce qui pourrait notamment profiter aux industries à fort impact carbone, comme celle du ciment. Plusieurs cimentiers, bien qu’ils ne soient pas forcément les plus verts, ont compris qu’en décarbonant leur production, ils pouvaient réduire leurs coûts tout en contribuant à une économie plus verte.
L’exemple des gigafactories annoncées au Maroc, qui nécessiteraient une énorme quantité d’énergie, illustre l’importance de produire cette énergie de manière décarbonée pour que le processus de fabrication d’objets comme les batteries électriques soit cohérent avec les objectifs écologiques. La compétitivité de l’économie marocaine, notamment dans le cadre des échanges internationaux, dépendra également de la transition vers une énergie plus propre.
Une approche pragmatique face aux risques climatiques
Lamiae Derraji, principal banker à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), met en avant l’importance de l’évaluation des risques climatiques. En collaboration avec Bank Al-Maghrib, la BERD a signé un mémorandum d’entente pour former les institutions financières sur l’intégration des risques climatiques dans les évaluations de crédit.
«L’objectif est de savoir évaluer les dossiers de crédit de manière pratique avec cette lentille verte», explique-t-elle.
Cela permet de sensibiliser davantage les banques, notamment celles qui sont déjà avancées comme Bank of Africa, pour intégrer ces critères environnementaux dans le financement des projets.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO