Sociétés cotées : une croissance solide mais un endettement en hausse

Si le chiffre d’affaires des sociétés cotées progresse de 6% en 2024, porté par la vigueur du secteur financier et de certaines industries, d’autres segments comme l’énergie et l’agroalimentaire subissent des turbulences. Les entreprises ont adopté une stratégie d’investissement ambitieuse, avec une explosion des CAPEX à 27,8 MMDH. Mais cette dynamique s’accompagne d’une hausse notable de l’endettement (+8,8% à 64,7 MMDH), soulevant des interrogations quant à la soutenabilité de ces engagements financiers.
L’année 2024 a marqué un tournant pour la Bourse de Casablanca. Alors que le marché affiche une progression globale de 6% de son chiffre d’affaires, atteignant 311,1 milliards de dirhams (MMDH), cette performance masque des dynamiques sectorielles contrastées.
Les financières et certaines industries ont fortement contribué à cette croissance, tandis que d’autres segments, comme l’énergie ou l’agroalimentaire, ont rencontré des difficultés. Signe d’un élan vers l’avenir, les investissements ont bondi de 48%, propulsant les CAPEX à 27,8 MMDH.
Toutefois, cette expansion s’accompagne d’un endettement accru, notamment chez les grands acteurs du marché. Décryptage d’une année charnière pour les sociétés cotées, selon les données de BMCE Capital global research (BKGR).
Une dynamique positive portée par la finance et l’industrie
Avec une progression annuelle de 12,4%, le secteur financier s’impose comme le principal moteur de croissance de la Bourse de Casablanca. Attijariwafa Bank affiche un bond de +4,56 MMDH de son Produit net bancaire (PNB), suivie par BCP (+2,8 MMDH) et Bank of Africa (+1,62 MMDH).
Cette performance repose sur deux piliers majeurs : l’amélioration de la marge nette d’intérêt et les gains enregistrés sur les opérations de marché, soutenus par un environnement monétaire plus favorable. Dans l’industrie, la croissance est plus modérée (+3,5%), mais certains acteurs se démarquent. Managem réalise une performance remarquable avec une hausse de 18% de son chiffre d’affaires, atteignant 8,86 MMDH.
Cette embellie s’explique par l’augmentation des volumes de vente de cuivre et d’or, notamment grâce aux projets Pumpi et aux exploitations au Soudan, ainsi qu’à la flambée des prix des métaux (+19% pour l’or, +14% pour l’argent, +12% pour le cuivre et +10% pour le zinc).
Le secteur de la santé connaît également une forte dynamique, portée par Akdital, dont le chiffre d’affaires bondit de 55%, à 2,95 MMDH, grâce à l’ouverture de nouvelles cliniques. Dans le secteur du BTP, Jet Contractors et TGCC profitent d’un environnement favorable, enregistrant respectivement des hausses de 43% et 12,5% de leur chiffre d’affaires annuel. La construction bénéficie du dynamisme des infrastructures au Maroc et à l’international.
Les difficultés de l’énergie et de l’agroalimentaire
Si la tendance globale est positive, certains secteurs ont connu une année plus compliquée. Taqa Morocco, leader de la production d’électricité, voit son chiffre d’affaires chuter de 17,5% à 10,87 MMDH, conséquence directe de la baisse des prix du charbon sur le marché international.
L’agroalimentaire est également sous pression. Lesieur Cristal enregistre une baisse de 8% de son chiffre d’affaires, atteignant 3,75 MMDH. L’entreprise est pénalisée par un effet prix négatif lié à la baisse des cours des matières premières et à une concurrence accrue sur le marché local. Résidences Dar Saada, acteur de l’immobilier, subit quant à lui un véritable effondrement de 67,7% de ses revenus, à 136 MDH, en raison d’un retard dans la livraison des projets de relogement.
Un investissement massif pour préparer l’avenir
L’un des enseignements majeurs de l’année 2024 est l’explosion des CAPEX (+48%), atteignant 27,8 MMDH. Cette tendance témoigne d’une volonté des entreprises de renforcer leurs capacités de production et d’accompagner leur croissance future. Maroc Telecom domine le classement avec 11,2 MMDH d’investissements, représentant 40% du total. Cette enveloppe en forte hausse (+42,2%) vise à moderniser ses infrastructures et à renforcer ses capacités technologiques.
Managem, quant à lui, a plus que doublé ses investissements (+2,6x à 7,3 MMDH), concentrés sur le développement de nouveaux gisements, notamment les projets cuprifères de Tizert et aurifères de Boto. L’acquisition de Sound Energy Morocco East Ltd et du site aurifère de Karita en Guinée s’inscrit dans une logique d’expansion africaine.
Dans la santé, Akdital consacre 1,9 MMDH aux équipements de ses cliniques récemment ouvertes et de celles prévues en 2025 à Oujda, Rabat, Nador et Guelmim.
Une dette en hausse, mais maîtrisée ?
L’augmentation des investissements s’accompagne d’un alourdissement de la dette nette des entreprises cotées, en hausse de 8,8% à 64,7 MMDH. Maroc Telecom voit son endettement progresser de 6,07 MMDH, principalement en raison du règlement de 6,4 MMDH lié à son litige avec Wana.
Managem, engagée dans une stratégie d’expansion, enregistre une hausse de +2,68 MMDH pour financer ses acquisitions et ses nouveaux projets miniers.
Akdital, en plein développement, accroît également son levier financier de +623 MDH. Le secteur des télécoms reste le plus endetté, concentrant 35% de l’encours total, suivi par l’industrie minière (15%) et la promotion immobilière (11%).
Un équilibre entre ambition et prudence
Les résultats de 2024 montrent une Bourse de Casablanca en pleine transformation. D’un côté, la dynamique de croissance est bien réelle, avec des secteurs financiers et industriels en progression et des investissements record.
De l’autre, la montée de l’endettement constitue un défi à surveiller. Si la tendance actuelle se confirme, 2025 pourrait être une année de consolidation, où la rentabilité des investissements engagés en 2024 sera scrutée de près. BKGR souligne d’ailleurs que le taux de réalisation des prévisions pour 2024 a été de 100,4% pour l’ensemble du marché, ce qui traduit une bonne visibilité des résultats.
Dans ce contexte, les investisseurs devront arbitrer entre les opportunités de croissance offertes par les secteurs en expansion et les risques liés à l’endettement et aux fluctuations sectorielles. Une chose est sûre :
la place boursière marocaine entre dans une nouvelle ère, où l’investissement massif sera le principal moteur de sa compétitivité future.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO