Maroc

Santé : AMO-Tadamon, l’assurance qui protège mais ne soigne pas

Un an après sa mise en œuvre, le programme Amo-Tadamon a permis d’intégrer des millions de Marocains dans le filet de la protection sociale. Mais derrière cette avancée, l’accès effectif aux soins se heurte à des obstacles bien réels. Entre files d’attente interminables, remboursements laborieux et manque de digitalisation, la réforme peine encore à tenir toutes ses promesses.

L’assurance maladie universelle est autant une ambition politique qu’un défi logistique. Derrière les statistiques qui balisent son déploiement, la réalité s’avère beaucoup plus nuancée. C’est en substance ce que révèle l’étude d’impact social du programme AMO-Tadamon conduite conjointement par la CNSS et le ministère de la Santé.

Un an après son lancement, cette réforme destinée à remplacer le RAMED montre des avancées notables en matière d’accès aux soins mais laisse subsister pas mal de zones d’ombre. Si la couverture du programme s’est élargie pour atteindre plus de 9,3 millions de bénéficiaires, la dynamique d’adhésion n’est pas linéaire.

En effet, la transition entre le RAMED et l’AMO-Tadamon s’est accompagnée d’un ajustement progressif du nombre de bénéficiaires, marqué par des sorties automatiques du dispositif au fil des échéances administratives. Le nombre d’assurés principaux a chuté de 9% en juillet 2023, conséquence directe de la fin de la période de grâce pour les ex-bénéficiaires du RAMED. Une contraction plus marquée encore en décembre (-21%), liée cette fois à l’expiration des droits de certains ménages.

Faible prise en charge
La nouvelle mouture est loin de faire l’unanimité auprès des affiliés, en témoigne la perception des bénéficiaires :
à peine plus d’un tiers affirme avoir constaté une amélioration tangible dans la prise en charge.

Certes, la simplification de la méthode renversement (33%) et des frais de soins (23%) figure parmi les avancées les plus citées dans la prise en charge de dossiers de remboursement. Quoique un répondant sur trois estime que rien n’a changé, tandis qu’une proportion équivalente ignore tout simplement qu’un ajustement du dispositif a été opéré.

Ce décalage entre l’intention de la réforme et sa perception par les assurés pose une question plus large. L’adhésion à une couverture maladie garantit-elle un recours effectif aux soins ? L’étude révèle que seulement 36% des bénéficiaires ont consulté un professionnel de santé depuis leur inscription au programme.

Parmi eux, 94% ont entamé une demande de remboursement, signe d’une appropriation du dispositif mais aussi d’une sélection implicite. Ceux qui activent leur assurance sont souvent ceux qui en ont une nécessité immédiate, tandis que d’autres restent en marge, par manque d’information ou en raison d’obstacles administratifs. Ces disparités dans l’accès aux soins traduisent une réalité plus large où disposer d’une couverture maladie ne signifie pas forcément pouvoir se soigner.

L’assurance est là, mais l’accès aux soins reste conditionné par la capacité des patients à avancer les frais médicaux avant remboursement. Cette contrainte pèse particulièrement sur les ménages aux revenus les plus modestes, pour qui la consultation d’un spécialiste ou l’achat de médicaments représente un effort financier immédiat. Car au-delà du volume, la répartition des soins interroge puisque près de 52% des patients ont privilégié le secteur privé, contre 48% pour le public.

Cette parité apparente cache une réalité plus fragmentée. L’engorgement des structures publiques pousse certains assurés vers les cabinets privés, à condition qu’ils puissent avancer les frais avant remboursement. Les ménages les plus précaires, jadis couverts par le RAMED, se retrouvent ainsi confrontés à une accessibilité parfois réduite, faute d’infrastructures adaptées.

Dépendance aux circuits bancaires
Cet enjeu dépasse le seul cadre de la santé. L’AMO-Tadamon ambitionne aussi de renforcer l’inclusion financière. Pourtant, seul un tiers des bénéficiaires dispose d’un compte bancaire, un prérequis pour percevoir les remboursements. Parmi eux, 72% sont domiciliés dans des banques classiques, tandis que 26% sont affiliés à Al Barid Bank.

Cette dépendance aux circuits bancaires traditionnels interroge sur l’accessibilité du dispositif pour les assurés qui n’ont ni compte ni moyens de paiement adaptés. Pour assurer la pérennité du programme, plusieurs défis restent à relever. L’automatisation des remboursements, la réduction des délais de traitement et une meilleure communication figurent parmi les axes d’amélioration identifiés dans le rapport.

Plus largement, la viabilité financière du dispositif demeure une question clé. L’extension de la couverture sociale est une avancée, mais encore faut-il garantir un accès effectif aux soins.

Manque de digitalisation, les files d’attente aux guichets restent la norme

L’ambition d’une assurance maladie universelle repose aussi sur la fluidité des démarches. Mais si le basculement vers l’Amo-Tadamon a simplifié l’accès à la couverture, la digitalisation des procédures laisse encore à désirer. Seuls 24% des bénéficiaires ont utilisé les plateformes en ligne pour s’informer ou effectuer une demande, un chiffre qui révèle une fracture numérique persistante.

Les files d’attente aux guichets et les recours aux intermédiaires restent la norme, ce qui est de nature à alimenter les frustrations et lenteurs administratives. Derrière l’élargissement du filet social, l’adoption des outils numériques demeure, en l’état actuel, un enjeu crucial pour éviter que l’accès aux soins ne dépende encore d’un parcours semé d’embûches.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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