Reporting de durabilité : un défi réglementaire pour les entreprises marocaines
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La directive européenne sur le reporting de durabilité (CSRD) ne concerne pas uniquement les entreprises du Vieux Continent. De nombreuses sociétés marocaines, en lien avec l’UE, doivent aussi s’y conformer. Cette réglementation impose des exigences strictes, mais ouvre aussi des perspectives stratégiques.
L’Union européenne, par l’adoption de la Corporate sustainability reporting directive (CSRD), impose un nouveau standard aux entreprises opérant sur son marché. Cette réglementation ne se limite pas aux sociétés européennes, elle concerne également les entreprises marocaines ayant des liens économiques avec l’UE.
Si cette directive introduit des exigences complexes en matière de reporting de durabilité, elle ouvre aussi des perspectives pour structurer les démarches RSE et renforcer la compétitivité des acteurs marocains.
Salah Eddine Bennani, Partner-strategy, Management & Sustainability Consulting chez Forvis Mazars, apporte un éclairage sur les implications de cette directive pour le Maroc.
Une réglementation aux exigences renforcées
Adoptée en 2022, la CSRD remplace la NFRD (Non-financial reporting directive) en instaurant des obligations de transparence accrues sur la durabilité.
«La directive impose une analyse de double matérialité, c’est-à-dire à la fois l’impact de l’entreprise sur son environnement et la manière dont les enjeux environnementaux et sociaux influencent son activité», explique Salah Eddine Bennani.
À cela s’ajoutent douze normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) encadrant la publication des informations ESG. Ces normes détaillent près de 80 exigences de publication et environ 1.100 points de données, imposant aux entreprises une rigueur nouvelle en matière de reporting extra-financier. Un autre volet structurant de la directive concerne la certification des informations.
«Les données publiées devront être auditées par des organismes indépendants, sous peine de sanctions civiles et pénales en cas de non-conformité», précise Bennani.
Ce cadre exigeant vise à renforcer la crédibilité des engagements des entreprises et à lutter contre le greenwashing.
Qui est concerné au Maroc ?
La portée de la CSRD dépasse les frontières européennes. Elle s’applique aux entreprises marocaines dès lors qu’elles ont des interactions économiques significatives avec l’UE. Selon Salah Eddine Bennani, plusieurs configurations peuvent soumettre les entreprises marocaines aux exigences de la CSRD. C’est le cas des filiales de groupes européens, qui relèvent directement de la directive, mais aussi des entreprises marocaines cotées en bourse en Europe.
Par ailleurs, les sociétés réalisant un chiffre d’affaires significatif dans l’Union européenne, que ce soit de manière directe ou via des succursales, doivent également se conformer à cette réglementation. L’effet domino de la CSRD entraîne des obligations pour les sociétés consolidées par un groupe soumis à la directive, même si elles ne réalisent aucun chiffre d’affaires en Europe.
«Dans les faits, un grand nombre d’entreprises marocaines, tous secteurs confondus, doivent évaluer leur exposition à la directive et anticiper leur mise en conformité», insiste Bennani.
Pour aider ces entreprises à s’y retrouver, Forvis Mazars a développé un outil en ligne permettant d’évaluer en quelques minutes si une société est soumise à la CSRD.
Un cadre en évolution, faut-il s’attendre à des ajustements ?
Si la CSRD marque une avancée majeure en matière de transparence, elle n’échappe pas aux débats. En Europe comme aux États-Unis, la mise en œuvre des normes ESG suscite des interrogations, notamment en raison des coûts et de la lourdeur administrative qu’elles impliquent.
«La Commission européenne réfléchit à une simplification, notamment via un «paquet Omnibus» attendu fin février», note Salah Eddine Bennani.
Parmi les ajustements envisagés, la Commission européenne pourrait introduire une distinction plus marquée entre grandes entreprises, ETI et PME, afin d’adapter les exigences à leur taille. Une révision du calendrier d’application, notamment pour les ETI et PME, est également à l’étude.
D’autres pistes incluent une harmonisation de certaines normes environnementales avec d’autres cadres réglementaires existants, une réduction du nombre d’exigences de publication (Disclosure requirements) et d’indicateurs de performance (Data points), ainsi qu’une simplification des modalités de publication du reporting. Toutefois, aucun bouleversement majeur n’est à prévoir.
«Les évolutions en discussion concernent davantage les modalités techniques que les principes fondamentaux de la directive», tempère Bennani.
«Pour les entreprises marocaines, il est donc essentiel de poursuivre leurs efforts de mise en conformité sans attendre d’hypothétiques assouplissements.»
Une charge réglementaire ou une opportunité stratégique ?
Face aux exigences accrues de la CSRD, certaines entreprises pourraient redouter un fardeau administratif supplémentaire. Pourtant, cette directive offre une occasion unique de repenser les stratégies d’entreprise sous l’angle de la durabilité. «Le reporting n’est que la finalité d’un processus bien plus structurant», explique Bennani.
«Se mettre en conformité avec la CSRD, c’est avant tout intégrer les enjeux ESG dans la stratégie d’entreprise, cartographier les risques extra-financiers et identifier des opportunités de développement durable.» En obligeant les entreprises à évaluer avec rigueur leur impact sociétal et environnemental, la directive les incite à aligner leur modèle économique sur des critères de durabilité reconnus. Elle leur permet également d’anticiper les attentes croissantes des investisseurs, clients et partenaires en matière de responsabilité sociétale et de renforcer leur attractivité ainsi que leur compétitivité sur les marchés internationaux.
Dans un contexte où la durabilité devient un facteur clé de différenciation, la mise en conformité avec la CSRD ne doit pas être perçue comme une contrainte, mais comme un levier de transformation stratégique. Comme le souligne Salah Eddine Bennani, «les entreprises qui adoptent une approche proactive auront une longueur d’avance sur leurs concurrents, notamment en matière d’accès aux financements verts et de conquête de nouveaux marchés».
Avec l’entrée en vigueur progressive de la CSRD, les entreprises marocaines concernées doivent dès maintenant se préparer.
«Le délai peut paraître lointain, mais la mise en conformité nécessite une adaptation profonde des processus internes et de la gouvernance ESG», rappelle Bennani.
«Il est essentiel d’identifier dès aujourd’hui les obligations spécifiques à son entreprise et d’initier une transition structurée vers une gestion durable et transparente.»
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO