Hydrogène vert : la rentabilité avant tout !

Loin de l’élan initial qui avait porté le complexe Noor au rang d’emblème mondial du solaire, l’Exécutif affiche à présent une volonté plus mesurée de débloquer le financement public pour l’hydrogène vert.
Le Maroc, longtemps salué pour ses avancées en matière d’énergies renouvelables, entame un tournant déterminant dans sa politique énergétique. En effet, lors de son intervention à la Chambre des représentants le 22 janvier janvier dernier, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, a réaffirmé l’ambition du Royaume en matière d’hydrogène vert tout en insistant sur la compétitivité comme condition sine qua non.
«Si l’offre marocaine en hydrogène vert ne répond pas aux standards de compétitivité d’ici 2030, nous cesserons sa production. Nous ne produirons pas pour le simple fait de produire, ni pour rester à la traîne par rapport à nos concurrents», a-t-elle prévenu.
Loin de l’élan initial qui avait porté le complexe Noor au rang d’emblème mondial du solaire, l’Exécutif affiche à présent une volonté plus mesurée de soutenir financièrement les projets relevant de la filière hydrogène. Il s’agit, en l’occurence, d’une inflexion notable dans la doctrine énergétique du pays, qui mise dorénavant sur la compétitivité économique et la quête des synergies à l’efficacité avérée.
Dans son intervention, la ministre a souligné que l’État ne mobiliserait ses ressources qu’à la condition d’un équilibre financier avéré. Autrement dit, si l’hydrogène ne parvient pas à un coût de production suffisamment bas pour concurrencer les sources d’énergie fossiles, il ne bénéficiera pas du soutien de l’Etat.
Cette prise de position tranche avec la période où le déploiement de l’énergie solaire, notamment via la technologie CSP (Concentrated Solar Power), ayant nécessité un investissement considérable de fonds publics et mobilisés divers dispositifs de financement.
«Le Maroc entend désormais sortir de ce schéma pour éviter de grever davantage ses finances, tout en restant un pays phare des énergies propres», constate Oussama Ouassini, spécialiste en intelligence économique.
Transfert de risque
En attendant, le Maroc a consenti d’importantes concessions dans son offre hydrogène, avec l’ambition de mobiliser à terme jusqu’à 1 million d’hectares de terrains publics, avec une première phase de 300.000 hectares, destinés à accueillir des projets intégrés combinant énergies renouvelables et production d’hydrogène vert.
Ces efforts s’inscrivent dans une stratégie visant à faire du Royaume une plateforme majeure pour l’exportation d’hydrogène vers l’Europe, capitalisant sur sa position géographique stratégique et ses ressources solaires et éoliennes abondantes.
Ainsi, le défi pour l’Etat consiste à garantir des coûts de production suffisamment compétitifs, ce qui implique, in fine, un transfert du risque économique vers le secteur privé. Les enjeux liés à l’hydrogène vert sont multiples et suscitent l’intérêt croissant de grands groupes internationaux, dont certains ambitionnent de transformer le Maroc en une plateforme de production tournée vers l’exportation européenne. La proximité géographique, la qualité de l’ensoleillement et la présence de couloirs venteux en font un terrain privilégié pour les énergéticiens en quête de solutions décarbonées.
Toutefois, pour que l’hydrogène vert réalise son potentiel, il est impératif que l’électricité nécessaire à sa production soit proposée à un tarif hautement compétitif. Les standards internationaux fixent cet objectif entre 2 et 3 centimes de dollar par kilowattheure, un seuil qui reste ambitieux dans de nombreuses régions, malgré la dépréciation des coûts de production photovoltaïque et de l’éolien ces dernières années.
Par ailleurs, le coût de l’électrolyse, couplé aux défis liés à la logistique et au stockage, constitue autant d’obstacles à même de peser sur l’équation économique de cette filière prometteuse.
Préserver l’équilibre des comptes
Pour de nombreux observateurs, le parallèle avec le programme Noor saute aux yeux. Malgré ses réussites technologiques, Noor a pâti de dérapage budgétaire et de choix techniques audacieux.
«Il est désormais question d’une approche plus pragmatique, où l’État agit comme facilitateur pour l’accès au foncier, tout en préservant l’équilibre de ses comptes», souligne Ouassini.
Les partenaires industriels seraient appelés, par conséquent, à innover tout en supportant une partie substantielle du risque. Cette évolution de la doctrine énergétique traduit une volonté de consolider la souveraineté énergétique du pays, tout en répondant aux exigences du marché mondial de l’hydrogène, appelé à se développer rapidement sous la pression des stratégies de décarbonation adoptées par l’Europe et d’autres grands blocs économiques.
Le Maroc, qui a déjà su valoriser son potentiel éolien et solaire, dispose d’atouts pour réussir son pari, à condition de rationaliser son montage financier et de veiller à ce que le prix du kilowattheure soit suffisamment bas pour assurer la rentabilité des unités d’électrolyse. Les premiers chantiers législatifs devraient confirmer la tendance, avec la mise en place d’un cadre juridique spécifique à l’hydrogène, ainsi que des incitations ciblées qui se substitueront aux subventions massives du passé.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO