Maroc

Agriculture : les “Lyali” balayées par le changement climatique

Les conditions actuelles de sécheresse ne favorisent pas le développement des plantations arboricoles qui voient leurs rendements décliner sous l’effet des changements climatiques, au grand désarroi des agriculteurs et de la communauté scientifique.

Depuis toujours, la nature impose ses rythmes aux cultures, mais les bouleversements climatiques redistribuent désormais les cartes. Le climat, qui était jadis un allié prévisible pour les plantations arboricoles, devient un facteur d’incertitude. C’est ce que constatent, non sans une certaine appréhension, les conseillers agricoles, en contact permanent avec les agriculteurs, qui peinent à dissimuler leur désarroi face aux effets engendrés par les perturbations observées durant les mois de décembre et janvier.

«Au-delà du déficit pluviométrique, nous relevons un impact notable sur le développement de l’arboriculture, en raison des variations de températures et, plus précisément, du retard accumulé en termes d’heures de froid», nous a-t-on confié à la direction provinciale de l’Agriculture de Marrakech.

Variation de températures
Le constat s’applique à plusieurs variétés cultivées dans diverses régions du Royaume, qu’il s’agisse des oliviers, où la picholine (variété d’olive) prédomine, aux côtés de Menara et Haouzia, ou des arbres fruitiers tels que les noyers, les amandiers et les pommiers, cultivés dans des zones semi-montagneuses comme Al Haouz, Beni Mellal ou Azrou.

En effet, ces variétés dépendent d’un seuil spécifique d’heures de froid pour enclencher le processus de fructification et garantir une production de qualité. Les pommiers, par exemple, requièrent environ 700 heures de températures inférieures à 5 °C pour garantir une floraison optimale. À défaut, les arbres restent partiellement en dormance, ce qui affecte directement leur production.

Ce phénomène est accentué par des variations de température marquées entre le jour et la nuit, un différentiel qui perturbe les cycles biologiques des arbres. Sur le terrain, des comportements anormaux sont observés dans les oliveraies, où certains arbres présentent une moitié en floraison et l’autre en fructification. Ces anomalies, liées à des températures imprévisibles, désorientent les agriculteurs.

Selon un conseiller agricole interrogé sur le sujet, «ces déséquilibres nécessitent des interventions différenciées qui augmentent la complexité et les coûts des traitements». Les changements climatiques ne se limitent pas à des rendements imprévisibles. Ils affectent aussi profondément les itinéraires techniques des cultures.

Les apports d’engrais et les traitements phytosanitaires doivent être adaptés en fonction des besoins de l’arbre à chaque stade, ce qui complique la tâche des agriculteurs. Ces derniers doivent ainsi ajuster leurs pratiques en continu, mais, comme le souligne un spécialiste en agronomie, «même si la prise de conscience est là, les cultuvateurs ne s’en rendent pas toujours vraiment compte».

Les «Lyali» face à l’épreuve du climat
Cette difficulté à percevoir pleinement les impacts des dérèglements climatiques est accentuée par la constante remise en cause des «Lyali», ces périodes de quarante jours de froid intense s’étendant généralement du 25 décembre au 2 février.

Ancrée dans l’imaginaire collectif comme la «quarantaine d’hiver», elle a longtemps été bénéfique pour les cultures arboricoles. Ces nuits «glaciales» jouent un rôle déterminant dans la floraison, en particulier pour des variétés comme la picholine, dont elles favorisent l’induction florale indispensable à une production optimale.

Cependant, le changement climatique perturbe cet équilibre. Avec des températures nocturnes devenues moins régulières, le processus de floraison est compromis, entraînant des rendements instables, parfois en baisse. Les régions oléicoles, comme les plaines de Meknès et les piémonts d’Al Haouz, sont particulièrement affectées, avec des producteurs rapportant diverses anomalies : floraisons précoces, cycles décalés ou encore désynchronisation des arbres avec le calendrier agricole, compliquant ainsi la gestion des vergers.

Sujet clivant
Pour sa part, la communauté scientifique peine à s’accorder sur les causes exactes des décalages et sur les rendements erratiques des cultures arboricoles. Certains attribuent ces phénomènes à une carence en heures de froid, d’autres au dérèglement global des cycles climatiques, tandis qu’une troisième hypothèse pointe une gestion irrégulière des sols et des apports nutritifs.

Autant dire que ces bouleversements climatiques bousculent les pratiques agricoles et interrogent sur la capacité d’adaptation des filières arboricoles.

Au moment où les agriculteurs s’efforcent de réagir rapidement pour atténuer les impacts à court terme, la viabilité de ces cultures repose désormais sur une meilleure anticipation des cycles biologiques et, probablement, sur des innovations à même de répondre aux caprices d’un climat devenu imprévisible.

Les variétés marocaines Haouzia et Menara peinent à s’imposer auprès des agriculteurs

Développées par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), en particulier par les équipes du professeur Boulouha à Marrakech, les variétés Menara et Haouzia ont occupé une place stratégique dans l’ancienne feuille de route agricole du pays, le Plan Maroc Vert, notamment pour le développement de l’oléiculture dans les régions arides et semi-arides.

Issues de la picholine marocaine, ces deux variétés ont été conçues pour remédier à l’alternance biennale, une problématique fréquente des anciennes variétés, tout en offrant des rendements élevés et une résistance accrue. Bien que leur mise à fruit nécessite entre cinq et six ans – un délai supérieur à celui de variétés comme arbequine – elles se distinguent par une productivité remarquable dès leur entrée en production.

Cependant, cette exigence de temps, malgré des rendements élevés, freine leur adoption. Les agriculteurs, confrontés à des impératifs économiques immédiats, se tournent souvent vers des variétés à croissance rapide, mieux adaptées aux contraintes du marché. Menara et Haouzia proposent néanmoins une alternative durable, pensée pour résister aux aléas climatiques, tout en exigeant une stratégie agricole tournée vers le long terme.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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