Finance. Yassine Regragui: “Se focaliser sur un seul service clé, adapté aux besoins locaux est la voie pour construire un écosystème solide”
Yassine Regragui
Expert fintechs
Malgré une infrastructure bancaire parmi les plus développées du continent, très peu de solutions fintech voient le jour au Maroc. Une révolution manquée ou un potentiel encore à saisir ? Yassine Regragui, figure reconnue du secteur, nous éclaire davantage sur les enjeux.
Comment expliquez-vous le retard des fintechs au Maroc, malgré un taux de bancarisation élevé et un cadre institutionnel en constante évolution ?
Le déploiement des fintechs au Maroc se heurte à une série de blocages d’ordre structurels. Bien que des initiatives ambitieuses, portées notamment par Bank Al-Maghrib ou la CDG, aient vu le jour, leur impact reste limité.
Le Maroc demeure profondément attaché à l’usage du cash, une pratique qui freine l’adoption des solutions digitales. Ce poids culturel contraste avec d’autres pays comme le Kenya, qui a su miser sur des modèles d’inclusion financière novateurs, à l’image de M-Pesa. À cela s’ajoute une difficulté persistante :
de nombreuses startups tentent de reproduire des modèles étrangers, sans adapter leur offre aux spécificités locales, qu’il s’agisse des attentes des consommateurs, des commerçants, ou encore des contraintes réglementaires.
Or, copier des solutions venues d’ailleurs, sans prendre en compte le contexte local, s’avère inefficace. Il ne faut pas oublier non plus la faible collaboration entre les fintechs et les banques, dont le rôle prédominant représente, en quelque sorte, un frein à l’essor de l’écosystème fintech.
Renforcer ces collaborations suffirait-il à faire émerger des champions nationaux ? Quels leviers supplémentaires pourraient transformer ces initiatives en moteurs de croissance ?
Force est de constater que les synergies entre les jeunes pousses et les institutions financières n’ont pas encore permis l’émergence de véritables leaders. Des réussites comme celle de HPS, devenu un acteur international de premier plan, demeurent des exceptions.
Pour insuffler un nouvel élan, il est essentiel de concentrer les efforts sur un service spécifique, avant d’envisager une diversification. Les exemples de Revolut ou d’Alipay montrent que leur succès repose sur une spécialisation initiale, qui a servi de tremplin à une expansion progressive.
Parallèlement, la construction d’un écosystème cohérent est essentielle. Celui-ci doit inclure consommateurs, commerçants, banques et partenaires stratégiques, en vue d’apporter des solutions au quotidien des utilisateurs, qu’il s’agisse de réduire les files d’attente, de faciliter les paiements à distance ou de générer des économies.
Faut-il jouer sur des synergies africaines ou dupliquer des modèles existants ?
Le Maroc doit s’appuyer sur les synergies africaines, tout en évitant le piège de la duplication aveugle. Copier des modèles comme Alipay ou M-Pesa sans adaptation est voué à l’échec. Les solutions doivent être pensées en tenant compte des spécificités locales, des besoins des consommateurs et des contraintes des commerçants. Les zones rurales, par exemple, représentent un gisement d’opportunités encore inexploité. Miser sur des solutions adaptées à ces réalités pourrait accélérer l’inclusion financière et positionner le Maroc comme un acteur clé en Afrique.
Quels mécanismes financiers ou éducatifs pourraient accélérer cette mutation ?
Pour accompagner le développement des fintechs, il faudrait miser sur des solutions qui apportent une réelle valeur ajoutée. Réduire les files d’attente, simplifier les paiements ou offrir des incitations attractives sont autant d’éléments qui répondent à des besoins concrets et immédiats.
La confiance joue également un rôle central. Elle se construit à travers des partenariats solides avec des acteurs fiables et un cadre réglementaire qui inspire sérénité et sécurité.
L’éducation, quant à elle, reste un levier indispensable. Former les consommateurs et les commerçants à l’usage des outils digitaux peut considérablement accélérer leur adoption. Enfin, l’innovation technologique, qu’il s’agisse d’intelligence artificielle ou de blockchain, doit s’inscrire au cœur de cette dynamique. Ces technologies, si elles sont intégrées à une stratégie claire, peuvent poser les fondations d’un écosystème fintech durable et compétitif.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO