Financements innovants : la belle moisson du Trésor
À défaut de privatisations, le gouvernement a trouvé un filon pour mobiliser les moyens nécessaires au financement de gros chantiers structurels – généralisation de l’assurance maladie et des allocations familiales, notamment – tout en relâchant la pression sur la dette. Les financements dits innovants, via des montages de lease-back des actifs immobiliers de l’État auprès des investisseurs institutionnels, ont rapporté 74,4 milliards de DH depuis leur lancement en 2019. Le Trésor prévoit une levée de 35 milliards l’année prochaine. Mais les autorités monétaires appellent à la prudence face à ces opérations.
Initiées en 2019 sous Benchaâboun alors ministre de l’Économie et des Finances, la mobilisation des ressources par le Trésor via les «financements innovants» (ndlr : c’est la nomenclature officielle) pour financer les dépenses publiques, montent en régime.
Dans les prévisions du Projet de loi de finances 2025, le gouvernement espère mobiliser 35 milliards de dirhams (MMDH) l’année prochaine. C’est de loin le montant le plus élevé jamais levé par ce canal depuis la première transaction. De 2019 à 2023, le Trésor aura au total engrangé 74,4 MMDH dont 25,4 milliards pour la seule année 2023 et presque autant en 2022.
Au ministère des Finances, à défaut de privatisations, les financements dits innovants font désormais partie du lexique de la maison, car ils présentent l’avantage de ne pas gonfler la dette. Le mécanisme consiste à céder à titre onéreux des actifs immobiliers aux OPCI détenus pour la plupart par les investisseurs institutionnels type CDG, CMR, CNSS ou compagnies d’assurance, tout en figeant leur affectation à travers des conventions de location à long terme.
Sur le plan de la technique financière, ce montage ressemble à un lease-back. Ainsi, l’État finance, par exemple, la construction d’un hôpital, d’une université, d’une prison, d’un tribunal, ou de tout autre bâtiment administratif, puis cède cet actif à un investisseur institutionnel en gardant son usage en tant que locataire. En échange, il verse un loyer à l’investisseur (OPCI) convenu entre les deux parties.
À ce jour, l’opération la plus spectaculaire est le montage du lease-back conclu avec la Caisse marocaine de retraite (CMR) sur cinq CHU en 2019. Elle avait rapporté 5 milliards de dirhams aux caisses de l’État. Au ministère des Finances, les responsables justifient le recours aux financements innovants par l’impératif de la «gestion active du domaine privé de l’État». C’est écrit noir sur blanc dans la liasse du Projet de loi de finances. Cet enthousiasme n’est pas partagé par les autorités monétaires. Chaque fois qu’il en a l’occasion, le wali de Bank Al-Maghrib exprime des réserves sur ces opérations en s’interrogeant publiquement sur leur impact réel à long terme.
C’est moins sur le fond que sur la forme que portent les critiques de BAM : «Au même titre que les opérations de privatisation, les financements innovants doivent être rigoureusement encadrés quant à leur affectation ainsi que pour ce qui est des modalités de mise en concurrence des investisseurs».
En rappelant ces fondamentaux, la Banque centrale est dans son rôle légal de conseiller du gouvernement. Pour rappel, une part des ressources issues d’une opération de privatisation est affectée obligatoirement au fonds Hassan II. Du côté des économistes, le grief qui revient souvent concerne le risque de cannibalisation que charrient ces mécanismes car ils mettent à contribution les mêmes investisseurs institutionnels ou presque qui sont sollicités sur le marché des bons du Trésor. L’autre critique porte sur le peu de transparence qui entourerait les opérations de financements dits innovants.
Selon nos informations, les conventions conclues avec les investisseurs institutionnels ne sont généralements jamais publiques. Même les parlementaires doivent se contenter d’une mention sur les recettes attendues de ces deals lors de discussions sur le Projet de loi de finances. Et curieusement, personne ne semble demander à voir les détails.
Dans les milieux financiers, des experts relèvent par ailleurs que l’État concède sans doute plus d’incitations aux investisseurs. Il est plus que probable que ces derniers signent ces conventions à des taux inférieurs à ceux pratiqués sur le marché, ou décrochent un différé d’amortissement, ou une maturité de crédit plus longue. C’est peut-être le prix à payer pour attirer les investisseurs institutionnels.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO