Maroc

Revenus non déclarés : le fisc va regarder de plus près en 2025

La réforme fiscale 2025 prévoit un ensemble de mesures visant à élargir considérablement l’assiette imposable de l’impôt sur le revenu. L’objectif affiché est de lutter contre la fraude fiscale et l’économie informelle, en appréhendant les revenus occultes ou injustifiés qui échappaient jusqu’alors à l’impôt. Détails.

En 2025, le fisc va vous surveiller de très près ! Dépensez au-delà de vos revenus déclarés et préparez-vous à de lourdes sanctions fiscales. Le projet de Loi de finances 2025 prévoit la création d’une nouvelle catégorie de revenus imposables à l’impôt sur le revenu (IR). Objectif : appréhender les revenus dont la source n’est pas justifiée.

Cette nouvelle catégorie englobe trois types de revenus qui échappaient jusqu’à présent en grande partie à l’impôt : les revenus évalués par l’administration dans le cadre de la procédure d’examen de l’ensemble de la situation fiscale du contribuable, dont la provenance n’est pas justifiée. Il s’agit ici de pouvoir imposer les revenus occultes que le fisc aura pu détecter chez un contribuable en procédant à un contrôle approfondi de sa situation fiscale globale. Comme le précise Abdelbasset Mohandis, expert-comptable et commissaire aux comptes, «le fisc va vérifier la cohérence entre les revenus déclarés et le train de vie. S’il constate des dépenses injustifiées, il pourra taxer la différence».

Cette mesure vise à appréhender les revenus non déclarés, issus par exemple du travail au noir ou d’activités illicites. Ici, la base imposable sera constituée par ces revenus occultes présumés par l’administration. Autres revenus qui échappaient jusqu’à présent, en grande partie, au fisc : les gains issus des jeux de hasard, en argent ou en nature, quelle que soit leur forme. Cela permettra d’imposer fiscalement tous les gains provenant des casinos, paris hippiques, poker, loteries, jeux en ligne, etc. Jusqu’à présent, seuls les gains de certains jeux étaient imposés.

Cette nouvelle disposition les englobe tous. Troisième catégorie de revenus qui échappaient : les revenus et gains divers provenant d’opérations lucratives qui ne se rattachent à aucune autre catégorie de revenus. Il s’agit d’une catégorie résiduelle très large, visant à appréhender tout revenu ou gain en argent ou en nature qui ne rentrerait pas dans les autres catégories déjà existantes (revenus professionnels, salariaux, agricoles, fonciers, mobiliers). Par exemple, les plus-values de cession d’actifs autres qu’immobiliers ou mobiliers.

Après ce qui précède, on peut aisément dire qu’on est ici face à une véritable offensive contre la fraude, l’évasion fiscale et l’économie informelle, en élargissant considérablement l’assiette imposable de l’IR aux revenus occultés ou mal identifiés jusqu’alors. En un mot, les revenus évalués par l’administration dans le cadre de l’examen de l’ensemble de la situation fiscale du contribuable seront désormais imposables lorsque leur provenance n’est pas justifiée.

Le fisc s’immisce dans votre vie privée, préparez vos justificatifs !
Le gouvernement semble vouloir donner les pleins pouvoirs à l’administration fiscale pour traquer les revenus occultes. Un train de vie supérieur à 240.000 dirhams par an suffira à déclencher un contrôle fiscal approfondi et intrusif dans la sphère privée du contribuable. Non seulement le fisc examinera vos comptes bancaires à la loupe, mais il ira jusqu’à passer au crible les comptes de vos proches (conjoints, parents, enfants, etc.).

L’objectif étant de détecter toute entrée d’argent injustifiée par vos revenus officiels. Vous devrez alors fournir les justificatifs détaillés pour chaque mouvement bancaire et chaque dépense importante. Des pièces telles que factures, relevés, contrats, actes notariés, justificatifs d’héritage, de dons etc. Tout manquement ou insuffisance de preuve sera présumé constituer un revenu occulte imposable.

Cette mesure instaure une présomption de culpabilité «choquante», pour plus d’un. C’est au contribuable qu’incombera la charge de la preuve pour démontrer l’origine licite de l’intégralité de ses ressources financières.

«Une atteinte manifeste à la sphère privée et à la présomption d’innocence», régissent d’autres.

Le fisc pourra ainsi s’immiscer dans les moindres détails de votre patrimoine et de votre vie personnelle et familiale. Une intrusion d’une ampleur inédite sous couvert de lutte contre la fraude fiscale. Préparez dès à présent tous vos justificatifs au cas où les inspecteurs sonneraient à votre porte !

Quid du taux d’imposition ?
En l’absence de précision dans le projet de Loi de finances 2025, ces nouveaux revenus imposables devraient logiquement être soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR), à l’instar des trois principales catégories de revenus (professionnels, salariaux et agricoles). Le barème actuel comporte six tranches avec des taux allant de 0% jusqu’à 38% pour la tranche supérieure au-delà de 180.000 dirhams de revenu annuel.

Le projet de loi prévoit d’ailleurs une révision de ce barème, avec un relèvement des seuils des tranches inférieures et une baisse des taux pour les tranches intermédiaires, le taux de la tranche supérieure passant de 38% à 37%.

Ainsi, selon le montant de ces nouveaux revenus imposables, ils seraient donc taxés au taux correspondant de la tranche concernée du barème IR. Plus le revenu occulte ou les gains détectés seront élevés, plus le taux d’imposition sera important, conformément à la logique de progressivité de l’impôt. Cela permettra une imposition cohérente avec le système actuel, sans créer de régime dérogatoire spécifique. Cependant, pour les gains de jeux de hasard notamment, d’autres pays appliquent parfois un taux forfaitaire unique, quelle que soit l’importance des gains.

Cette piste d’un taux fixe pourrait être envisagée au Maroc pour cette sous-catégorie. En tout état de cause, le fait de désormais imposer fiscalement ces revenus représente un élargissement de l’assiette taxable qui devrait se traduire par des recettes supplémentaires pour l’État, l’un des objectifs visés par cette réforme. Comme souligné ci-dessus, les gains des jeux de hasard en argent ou en nature seront taxés comme des revenus. Une disposition qui vise à englober les gains issus des jeux en ligne et du pari sportif, très populaires mais aujourd’hui non imposés.

Cette nouvelle catégorie de revenus imposables rejoint d’autres mesures récentes comme l’obligation de justifier la provenance des fonds lors d’opérations immobilières. Un durcissement qui va inévitablement accroître la pression fiscale sur les ménages, à commencer par les plus aisés disposant de patrimoines importants.

Les classes moyennes perdantes de la réforme de l’IR
La réforme du barème de l’impôt sur le revenu prévue dans le projet de Loi de finances 2025 semble avant tout profiter aux très hauts revenus, au détriment des classes moyennes. Certes, le relèvement des seuils des premières tranches est une bonne nouvelle pour les petits salaires, qui verront leur impôt baisser légèrement. Mais c’est surtout la tranche supérieure, concernant les revenus annuels au-delà de 180.000 dirhams, qui fait un bond en arrière significatif.

Avec un taux ramené de 38% à 37%, les contribuables les plus aisés vont économiser des milliers de dirhams d’impôt chaque année. Une ristourne fiscale substantielle qui va encore accentuer les inégalités déjà criantes.

En contrepartie, ce sont les classes moyennes, situées dans les tranches intermédiaires du barème, qui vont faire les frais de cette réforme. Leurs taux d’imposition vont en effet baisser, mais dans une moindre mesure que pour la tranche supérieure. On se retrouve donc avec un allègement fiscal déséquilibré :  très favorable pour les revenus déjà confortables, insuffisant pour soulager réellement le pouvoir d’achat de la masse des salariés et de la classe moyenne marocaine. Une réforme à rebours des principes d’équité et de redistribution par l’impôt. Les grands gagnants sont une fois de plus les grandes fortunes et les hauts revenus, qui consolident leurs avantages fiscaux indus.

Plusieurs entrepreneurs et patrons s’inquiètent

Les nouvelles mesures fiscales prévues dans le projet de Loi de finances 2025 soulèvent de vives inquiétudes dans le monde entrepreneurial marocain. En ligne de mire : les risques d’abus, d’insécurité juridique et d’arbitraire fiscal à l’encontre des entreprises. Avec l’extension des pouvoirs de contrôle de l’administration fiscale et la création d’une nouvelle catégorie fourre-tout de «revenus occultes», les patrons redoutent une dérive vers un environnement fiscal imprévisible et oppressant.

«Il faudra bien encadrer cette procédure pour garantir les droits des contribuables», plaide un chef d’entreprise.

Un défi de taille pour un fisc souvent critiqué. Le risque est grand de voir ces nouvelles prérogatives mal appliquées, au détriment de la sécurité juridique à laquelle aspirent légitimement les investisseurs. La profession comptable tire d’ailleurs la sonnette d’alarme.

Selon Salaheddine Yatim, expert-comptable réputé, «la sécurité fiscale est un pilier essentiel pour attirer l’investissement».

Or, les incessantes réformes de la fiscalité par à-coups, dictées par des considérations purement budgétaires, sapent toute visibilité et confiance à long terme.

«Comment attirer des investisseurs étrangers dans un environnement aussi imprévisible ?», s’interroge-t-il. «Chaque année, des changements majeurs chamboulant le code fiscal paralysent les initiatives et découragent l’investissement.» Un constat sévère mais justifié. En jouant constamment avec les règles fiscales, le Maroc n’est-il pas en train de se tirer une balle dans le pied en matière d’attractivité économique, quand on sait que l’instabilité fiscale chronique fait fuir les capitaux au lieu de les attirer.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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