Intelligence artificielle : la disparition inéluctable des lignes métiers
À l’heure où des entreprises multiplient un peu partout les proof of concept, plusieurs interrogations persistent sur la place qu’occupera l’Homme dans cette nouvelle ère, façonnée par les technologies cognitives.
De tout temps, le progrès technique a toujours eu pour corollaire direct de redéfinir les contours des dynamiques sociales, mais jamais autant qu’avec l’avènement des technologies cognitives. Des pans entiers de l’économie succombent à la tentation, au moment où les opérateurs commencent, eux aussi, à prendre conscience des bouleversements induits non seulement sur les modes de production, mais aussi sur la nature même du travail et du savoir-faire «humain».
«L’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives, mais elle engendre aussi des défis énormes. Il n’y a pas d’alternative, nous devons nous adapter. C’est à nous, en tant que pays, de développer une IA propre à notre culture, avec notre propre base de données. Il y a des opportunités à saisir, mais si nous ne le faisons pas, nous nous exposons à des risques», souligne Ghita Mezzour, ministre chargée de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, lors d’un panel en marge de la 2e édition des Assises des industries culturelles et créatives, tenue les 2 et 3 octobre à Rabat.
Rupture systémique
À l’heure où des entreprises multiplient un peu partout les proofs of concept pour tirer profit des gains de productivité que peuvent générer, notamment, les modèles cognitifs en IA, plusieurs interrogations persistent sur la place qu’occupera l’Homme dans cette nouvelle ère, façonnée par les technologies cognitives. Telle a été, en tout cas, la réflexion centrale amorcée en marge des assises des industries culturelles et créatives qui intervient une semaine après le lancement de la nouvelle feuille de route du digital. Le tissu économique n’échappe pas à la frénésie de l’IA, notamment, sous sa forme générative.
Toutefois, cette effervescence ne doit pas occulter une réalité plus nuancée, comme le rappelle Jalal Charaf, chief digital officer à l’UM6P: «L’IA n’est pas une affaire de jeunes. C’est une technologie à usage général, comme l’électricité, et non une simple tendance passagère». Une perspective partagée par Nabil Haffad, CEO d’Archipel Group, qui explique pour sa part qu’il s’agit bien là d’une rupture systémique. «Les chefs d’entreprise, par la force des choses, devront licencier. Mais cette décision ne viendra pas d’eux. Personnellement, je suis convaincu que l’IA détruira plus d’emplois qu’elle n’en créera».
Homme «augmenté»
Dans sa dernière livraison autour des enjeux liés à l’IA, l’OCDE insiste sur la nécessité de repositionner l’humain au centre des systèmes d’intelligence artificielle. Au cœur de cette démarche, l’organisme supranational souligne l’importance de maintenir un contrôle humain sur les processus critiques.
L’OCDE met en avant le concept de «capital humain augmenté», où l’automatisme et l’IA n’entendent pas se substituer aux compétences humaines, mais les amplifier, «optimisant ainsi la prise de décision et l’efficacité opérationnelle».
L’institution met en garde, cela dit, contre les risques potentiels d’une automatisation excessive, susceptible d’engendrer, in fine, des disparités sociales criantes au sein de la société. Toujours est-il que la transformation des métiers induite par cette modernisation forcée redéfinit en profondeur les dynamiques de travail. Si la plupart des observateurs persistent à croire que cette vague augure d’une disparition inéluctable des lignes métiers, d’autres anticipent un déplacement progressif d’un nombre non négligeable d’activités et services à plus haute valeur ajoutée.
«Chaque métier sera affecté par l’IA. On passera d’une intelligence rationnelle à une intelligence émotionnelle, plus axée sur le social», observe Zouheir Lakhdissi.
Face aux bouleversements provoqués par l’automatisation, la tentation de fuir la réalité est grande. Pourtant, certains analystes, plus optimistes, choisissent de l’affronter de manière constructive. En s’appuyant sur ses recherches sur l’IA, Nadim Sadek considère cette technologie, «la plus rapide de l’histoire de l’humanité», comme un miroir de nos propres spécificités.
Pour lui, l’IA, loin d’automatiser des tâches, nous offre, paradoxalement, la possibilité de mieux comprendre ce qui fait de nous des êtres humains.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO