Refonte du système de santé : le Policy center met l’accent sur le grand défi de l’accessibilité
Le Maroc entreprend une réforme majeure pour généraliser la protection sociale à toute sa population. Cette transformation sociétale d’envergure, discutée lors d’une rencontre organisée par le PCNS et l’AFD, soulève des défis importants relatifs à la couverture universelle, à la convergence des systèmes, à l’offre de soins équitable et au financement durable.
Le Maroc s’est engagé dans une réforme ambitieuse visant à généraliser la protection sociale à l’ensemble de sa population. Cette initiative, placée sous l’égide royale, représente un tournant majeur dans la politique sociale du pays. Le Policy center for the new South (PCNS) et l’Agence française de développement (AFD) ont organisé récemment une rencontre pour discuter des enjeux et des perspectives de cette réforme. À cette occasion, les participants ont mis en avant les principaux défis à relever et les recommandations pour assurer le succès de cette transformation sociétale d’envergure.
Les enjeux de la généralisation de la protection sociale
La généralisation de la protection sociale au Maroc représente une réforme sociétale majeure, constituant un pilier fondamental de l’État social et un levier essentiel pour améliorer le fonctionnement de l’État providence. Les intervenants à cette rencontre ont souligné que la mise en place d’un système de protection sociale universel et durable nécessite une approche globale et coordonnée, capable d’équilibrer l’expansion de la couverture, l’amélioration de la qualité des prestations et la viabilité du financement.
Pour Touhami Abdelkhalek, professeur à l’Université Mohammed VI Polytechnique, «la mise en place d’un système de santé accessible incitera une demande de soins claire, car l’accès sera amélioré, ce qui nécessitera une offre de services adaptée. Que ce soit dans les environnements urbains ou ruraux, il est crucial de relever le défi de satisfaire cette demande de manière équitable pour l’ensemble de la population».
Cette réforme doit relever plusieurs défis importants pour atteindre ses objectifs. Le premier concerne la couverture et l’inclusivité. Il s’agit d’intégrer 22 millions de nouveaux bénéficiaires dans le système d’assurance maladie obligatoire, d’étendre les allocations familiales à 7 millions d’enfants en âge de scolarité, et d’élargir le nombre de bénéficiaires d’une pension de retraite à 5 millions de personnes supplémentaires.
Cette expansion massive nécessite une planification minutieuse et des ressources considérables. Un autre enjeu, tout aussi important, porte sur la convergence des systèmes. Le système actuel comprend des prestations spécifiques pour différents groupes, avec une gouvernance fragmentée. Il est essentiel d’unifier cette gouvernance pour consolider les efforts, éviter les pertes et améliorer l’efficacité globale du dispositif de protection sociale.
Les défis de l’offre de soins et de l’accès équitable
L’un des principaux enjeux de la généralisation de la protection sociale est de répondre à la demande croissante de soins de santé tout en assurant l’équité dans l’accès aux services. Cette problématique est particulièrement importante dans un pays où les disparités géographiques et socio-économiques sont considérables.
Pour relever ce défi, plusieurs mesures ont été envisagées ou sont déjà en cours de mise en œuvre. L’une des initiatives phares est l’édification d’un Centre universitaire hospitalier dans chacune des 12 régions du Royaume. Parallèlement, une révision de la structure des centres de santé existants est en cours pour garantir un accès équitable aux soins de base.
Cette restructuration vise à améliorer la répartition géographique des services de santé et à renforcer leur capacité à répondre aux besoins locaux. L’encouragement du secteur privé à s’engager aux côtés du secteur public est également une stratégie clé. En respectant des normes et des référentiels précis, le privé peut contribuer à élargir l’offre de soins tout en maintenant des standards de qualité élevés. Cette collaboration public-privé est essentielle pour répondre à la demande croissante de services de santé.
Les stratégies de financement et de gestion des dépenses
Le financement de la protection sociale repose sur deux mécanismes principaux, un système contributif pour les personnes ayant la capacité de cotiser, et un système de financement solidaire, pris en charge par l’État, pour les personnes ne pouvant pas cotiser. Cette approche duale vise à assurer une couverture la plus large possible tout en maintenant la viabilité financière du système.
«Pour l’année 2024, le budget alloué aux programmes solidaires s’élève à environ 34 milliards de dirhams (MMDH) démontrant l’engagement substantiel de l’État envers la couverture médicale et la protection sociale. Ce montant devrait atteindre 39 MMDH en 2026, reflétant l’expansion progressive du système», rappelle Azeddine Lakbakbi El Yaagoubi, chef de la division Protection sociale à la direction du Budget.
Afin d’assurer la viabilité financière des régimes contributifs, l’État a mis en place des mesures incitatives innovantes. Par exemple, une amnistie a été décrétée en 2024, destinée à effacer les dettes des cotisants sous certaines conditions, encourageant ainsi la régularisation et la participation continue au système. Face à l’augmentation des dépenses de santé, due à l’extension de la couverture, au vieillissement démographique et à la montée des maladies chroniques, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a déployé plusieurs initiatives pour améliorer la gestion des dépenses.
Ces mesures incluent un dispositif de veille et des études internes pour suivre les tendances de consommation des soins, un contrôle médical digitalisé et personnalisé ainsi que des outils de détection de la fraude utilisant l’intelligence artificielle.
Recommandations pour une mise en œuvre réussie
Pour assurer le succès de la généralisation de la protection sociale au Maroc, plusieurs recommandations peuvent être formulées. Ces suggestions visent à adresser les défis identifiés et à optimiser l’efficacité du système en cours de développement. Premièrement, il est crucial de renforcer la confiance entre les citoyens et le gouvernement à travers une communication transparente et efficace sur les progrès et les défis de la réforme. Cette transparence est essentielle pour encourager l’adhésion de la population au nouveau système.
L’optimisation de l’utilisation des ressources disponibles est également primordiale. Cela implique d’éviter la duplication des actes médicaux et de rationaliser les dépenses de l’État. Une gestion plus efficiente des ressources permettra de maximiser l’impact de chaque dirham investi dans le système de protection sociale. Pour assurer la viabilité financière à long terme, il est recommandé d’élargir l’assiette des cotisations et de diriger des impôts spécifiques vers la santé, comme les taxes sur les produits nocifs.
Cette approche permettrait de diversifier les sources de financement et de renforcer la durabilité du système. Un accent particulier devrait être mis sur la prévention et la promotion de la santé. Investir davantage dans ces domaines pourrait réduire significativement les coûts liés aux traitements curatifs à long terme, tout en améliorant la santé générale de la population. Enfin, les participants ont mis l’accent sur la nécessité de poursuivre la digitalisation du système de santé pour améliorer l’efficacité et la collecte de données. Cette modernisation technologique permettrait une meilleure gestion des ressources, une détection plus rapide des tendances de santé, et une amélioration globale de la qualité des soins.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO