Maroc

Neet. Soumaya Nouamane Guessous : “Un enfant écrasé dans sa dignité ne peut plus supporter d’être scolarisé”

Soumaya Nouamane Guessous
Sociologue

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est autosaisi, aux fins de préparer un avis sur les jeunes sans éducation, ni emploi, ni formation, connus sous l’acronyme des NEET (not in education, employment or training), et le constat est alarmant.

Le CESE estime, en 2022, à 1,5 million le nombre de Marocains de 15 à 24 ans, qui se trouvent en marge du système d’éducation/formation et du marché du travail (NEET). Quel regard portez-vous sur cette statistique ?
Ce chiffre est très proche de la réalité, même si cela ne m’aurait pas étonné qu’il soit plus élevé. Un tiers de la population habite dans le milieu rural et nous savons les défis pour ces gens-là d’accéder à une scolarisation et une formation. Nous savons également combien d’élèves sont rejetés des établissements scolaires.

Le chiffre de plus d’un million et demi concerne justement la tranche de 15 à 24 ans, où nous recensons les échecs scolaires. Une fois déscolarisés, ces jeunes n’ont souvent pas de chance d’intégrer une formation, surtout dans le milieu rural. Cette absence de qualification fait que ces jeunes ne peuvent pas être insérés dans le milieu professionnel. En plus de l’échec scolaire, le niveau scolaire lui-même est lamentable. Un élève au brevet n’est pas autonome et n’est pas capable d’analyser et de lire correctement.

Le CESE recommande de mettre en place des «mesures de rétention» et de «réinsertion des élèves en décrochage scolaire». Cela vous paraît-il possible ?
L’enfant ou l’adolescent qui quitte l’école a fait un choix et, parfois, ce sont les parents qui l’ont fait. Il y a le dégoût de l’école aussi. L’école marocaine n’est pas attractive. Les élèves sont complètement écrasés par les enseignants. Un enfant qui a complètement été massacré dans sa dignité par l’école ne peut absolument plus supporter d’être scolarisé. L’enfant qui habite à cinq ou six kilomètres de l’école et qui doit s’y rendre à pied malgré les intempéries, on a beau l’obliger, il ne viendra pas, et, s’il vient, il enchaînera les échecs. Il y a aussi un problème de mindset des enseignants, qui ne font pas toujours en sorte de retenir cet élève et rendre l’école plus attractive.

Plus de 50% des concernés sont des femmes au foyer dans le milieu rural. Comment pallier ce phénomène ?
Être femme au foyer est un travail, mais qui n’est pas valorisé. La femme n’est pas autonome, elle reste liée à un pourvoyeur et c’est bien ça le problème. Ces femmes devraient avoir la possibilité d’intégrer le marché de l’emploi si elle le souhaite ou si elles y sont amenées pour diverses raisons.

L’État doit pouvoir prendre en charge ces exclusions du système scolaire, en leur donnant une chance de qualification. La main-d’œuvre dans le milieu rural a complètement été dévalorisée à cause de la sécheresse et des avancées technologiques. Et les femmes jouaient un rôle essentiel, qui bien souvent leur a été enlevé. Les coopératives, qui ont valorisé et donner du travail à ces femmes, peinent très souvent à commercialiser leurs produits.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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