Professeur Simon Nyeck : “Le potentiel de l’Afrique dans le luxe”
Professeur Simon Nyeck
Directeur du Centre d’excellence du luxe, des arts et de la culture à l’ESSEC Business School Professeur enseignant à l’ESSEC Cergy, Singapour et Afrique
Le sujet du potentiel africain sur le marché du luxe est très en vogue en ce moment, pourquoi autant d’engouement selon vous ?
Le luxe est effectivement en vogue sur tout le continent, et c’est un levier de développement fort pour l’Afrique qu’il faut pérenniser et développer. Pour cela, il faut prendre en considération la diversité du continent africain qui héberge des sous-parties ayant des problématiques variées. De façon générale, il faut explorer les différentes pistes pour développer des filières, valoriser et étendre les savoir-faire ancestraux qui mettent en lumière la culture des différentes parties de l’Afrique et c’est grâce à cette valorisation du secteur du luxe local que l’on peut avoir une réelle valeur ajoutée. Pour répondre de manière directe à la question, oui, cela me paraît tout à fait normal, car au delà du fait que ce soit en vogue ou à la mode, l’industrie du luxe est un atout fort du développement du continent africain.
Quel est la part du marché du luxe africain dans le marché international ?
C’est toujours très compliqué de mesurer cela de manière exacte. Quand on parle du marché africain, on peut regarder cela du point de vue achat et capacité d’achat ou d’un point de vue offre.Dans le premier cas de figure, il faudrait prendre en compte le fait que les Africains ayant les moyens d’acheter des produits de luxe les achètent souvent à l’étranger, et c’est exactement pour cette raison qu’il est difficile de mesurer la taille du marché. Afin de poser un cadre pour répondre à cette question, il est important de délimiter les secteurs que l’on pourrait analyser : lorsqu’on parle du luxe, cela reste très vague dans le sens où le luxe touche quasiment l’ensemble des secteurs. Si on oriente la question par exemple sur le luxe privé de la consommation de tous les jours, la taille du marché est, à peu près, de 300 milliards dans le monde. Cela comprend la mode, les cosmétiques, les bijoux, les montres, les vins et spiritueux, qui sont là les cinq grands secteurs du luxe privé.
Toutefois, le luxe touche beaucoup d’autres secteurs (l’automobile par exemple). Même si l’on se concentre sur ce marché, déterminer la part du marché de l’Afrique reste encore compliqué. La majorité des marques de luxe se sont très souvent organisées en trois grands marchés les considérant un peu comme trois fuseaux horaires. Il y a l’Europe, qui intègre la Russie et s’étend jusqu’en Afrique du Sud. Cela inclut Dubaï qui concentre une grosse part des achats de luxe. C’est la zone « Europe Middle East Africa ». Il y a ensuite l’Amérique, qui va du Canada jusqu’en Argentine, et enfin l’Asie. Dans le monde du luxe, l’Europe est vue comme un fuseau horaire. Pour répondre à votre question, l’Europe représente aujourd’hui, dans le marché du luxe privé de la consommation de tous les jours, à peu près 30 % du chiffre d’affaires. Dans ces 30 %, l’Afrique est incluse. Très souvent, si l’on ne considère vraiment que le continent africain, sachant que le continent africain achète aussi à Dubai, Paris, Londres ou ailleurs, on tourne autour de 5 ou 6 %, mais c’est très compliqué à affirmer.
Promouvant des marques de luxe, le Morocco Mall témoigne de cette volonté de développer le marché du luxe au Maroc de manière particulière et en Afrique de manière générale, d’où vient cette volonté ? On voit aussi que plusieurs entrepreneurs se prêtent au luxe, certains réussissent leur insertion plus que d’autres, qu’elle est l’approche à favoriser et quels sont les challenges majeurs rencontrés par ces entrepreneurs ?
Le Maroc peut être effectivement une plateforme qui sert de carrefour où le sud de l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe se rencontrent. Le Maroc, par exemple, pourrait être un lieu où on importe et où l’on vend des marques de luxe occidentales. Toutefois, le Maroc peut également être une plateforme intéressante propice au développement de marques de luxe locales, à la promotion des artisans et des designers locaux, maghrébins ou africains de manière générale. Un tel positionnement permettrait une forme de rencontre et d’enrichissement entre les designers de l’Afrique au sens large et éventuellement de nouvelles marques des artisans locaux. Le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant est une donnée essentielle à prendre en compte dans tout projet d’investissement dans l’industrie du luxe. Les études conduites dans le monde entier montrent qu’il faut être aux alentours de 15 000 € par an de PIB par habitant pour que le pays commence à être considéré comme un marché consommateur de luxe. Au regard de cette variable, il n’y a encore que peu de pays africains qui peuvent être considérés comme un marché local pour les produits de luxe. En revanche, on trouve des familles au Maroc ou en Afrique qui ont les moyens mais qui préfèrent plutôt acheter à l’étranger où ils ont beaucoup plus de choix. C’est la raison pour laquelle beaucoup de marques de luxe préfèrent ne pas investir dans leurs propres magasins sur cette zone, puisqu’il n’y aura pas un volume quotidien de ventes suffisant.
En parallèle au PIB, il ne faut pas oublier un autre paramètre très important qui est la taille de la population. C’est pour cette raison qu’il faudrait arriver à combiner ces deux variables pour avoir une vision concrète sur la viabilité d’un projet de luxe sur un marché donné.
Toutefois, si on parle de luxe accessible, de l’entrée « niveau 1 » du luxe, la classe moyenne africaine peut clairement y accéder. On parle de cosmétiques, de mode, prêt- à-porter, bijouterie de marques étrangères, plus accessibles. Mais ce qui serait encore plus intéressant c’est de se pencher vers les créateurs de luxe locaux qui peuvent aussi se positionner de manière très originale au niveau du luxe accessible. Il s’agit là d’une réelle opportunité à saisir sur le plan continental où on peut avoir une cible et un marché local et international très large. Pour répondre précisément à votre question, des plateformes comme le Morocco Mall pourraient représenter une belle exposition pour les designers et créateurs africains, mettre en avant les richesses locales, marocaines et africaines, mais également recevoir la mode accessible qui vient d’Europe ou d’ailleurs.
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