Entrepreneuriat : pourquoi le bilan est-il encore mitigé au Maroc ?
En trente ans de soutien à l’entrepreneuriat au Maroc, plusieurs programmes ont été lancés parmi lesquels le Crédit jeunes promoteurs, Moukawalati, les programmes mis en place par Maroc PME et l’AMDIE, et dernièrement Forsa, ainsi qu’une série de réformes. Malheureusement, l’impact de tous ces efforts est mitigé et le Royaume a du mal à passer d’une société de salariat à une société d’entrepreneuriat. Selon Tarik El Malki, directeur de l’ISCAE Rabat et du nouvel incubateur du groupe ISCAE, voilà les freins sur lesquels il faut agir pour changer la donne.
L’importance de l’émergence d’une dynamique entrepreneuriale explique les différentiels de développement économique dans le monde. Toutes les études montrent, en effet, que les sociétés entrepreneuriales sont celles qui créent le plus de richesse et de valeur. Ce sont les sociétés où la propension à innover est la plus importante et où les rythmes de croissance sont les plus soutenus et surtout les plus pérennes.
C’est notamment l’exemple des sociétés des pays d’Asie (Extrême-Orient), d’Europe du Nord (Scandinavie) et d’Amérique du Nord (États-Unis et Canada). Ces sociétés ont compris que la dynamique entrepreneuriale n’a pas seulement un impact sur la création de valeur économique, elle a aussi un impact sur la réalisation de soi et l’affirmation de soi.
C’est pourquoi elles ont œuvré à l’émergence d’un certain nombre de valeurs comme l’autonomie, la prise de risque, la responsabilisation accrue, bref tout ce qui concourt à ce qu’on appelle la création destructrice, à travers la modernisation de leurs structures économiques, la transformation structurelle de leurs économies et, de manière beaucoup plus large, la démocratisation de leurs sociétés, ce qui a contribué à l’émergence d’une culture entrepreneuriale.
L’entrepreneuriat pas seulement pour lutter contre le chômage
Au Maroc, l’entrepreneuriat a été également mis au cœur des stratégies de politique publique, surtout ces dernières années. L’objectif premier étant, entre autres, d’en user pour lutter contre le chômage des jeunes, qui devient malheureusement un chômage de masse. En effet, avec la crise du Covid-19, le taux de chômage des 15-24 ans est passé, entre 2010-2020, de 17,6% à plus de 31%, celui des 25-34 ans de 13 à 18,5%.
Face à cette situation alarmante, la promotion de l’entrepreneuriat a été donc mise au cœur du Nouveau modèle de développement (NMD), qui a été présenté l’été dernier au Souverain. En plus des nouvelles recommandations du NMD, plusieurs initiatives ont été prises pour soutenir l’entrepreneuriat dans le pays.
C’est ainsi qu’en trente ans de soutien à l’entrepreneuriat au Maroc, on a eu droit aux programmes emblématiques tels que le Crédit jeunes promoteurs, Moukawalati, les programmes mis en place par Maroc PME, l’AMDIE, dernièrement Forsa, la mise en place du statut d’auto-entrepreneur en 2015, la réforme du cadre réglementaire et institutionnel pour améliorer le climat des affaires au Maroc, le guichet unique, la réforme du code de commerce, la dématérialisation des procédures, plus tout ce qui est lié à l’amélioration de l’offre de financement, à travers des mécanismes de financement dédiés, pour accompagner toute cette mutation de notre économie. Malheureusement, l’impact de tous ces efforts est mitigé.
D’un côté, cela a permis d’améliorer le classement international du Maroc au niveau de l’environnement des affaires, notamment dans le Doing Busines, puisque entre 2008 et 2019, notre pays est passé du 129e rang au 53e, soit un gain de 76 places. Mais, de l’autre, malgré toutes ces réformes, on ne peut dire que la mutation entrepreneuriale de l’économie marocaine ait eu lieu.
Un taux d’activité entrepreneurial de seulement 4,2%
En effet, selon le rapport Global Entreprenership Monitoring de 2018, le taux d’activité entrepreneurial, c’est-à-dire le rapport nombre d’entrepreneurs sur la population active, est de 4,2% uniquement. C’est l’un des taux les plus faibles au monde, alors que l’intention entrepreneuriale, à savoir le passage à l’acte, est de 25%. Par ailleurs, en scrutant les créations et les défaillances d’entreprises, on a constaté une augmentation plus rapide, ces dernières années, de la création d’entreprises.
Puisqu’il y a plus de 100.000 entreprises qui ont été créées entre 2017-2019, et plus de 58.000 en 2021, ce qui est un chiffre record. Mais, parallèlement, le nombre de défaillances a également fortement augmenté. Entre 2019 et 2021, on a recensé 10.000 défaillances. Toutefois, le rapport nombre de créations sur nombre de défaillances ne cesse d’augmenter, ce qui est une bonne chose.
Ceci étant, le bilan de l’entrepreneuriat demeure encore mitigé au Maroc. Qu’est-ce qui explique cette situation ? Selon Tarik El Malki, directeur de l’ISCAE Rabat et responsable de l’incubateur Blue Space du groupe ISCAE, qui s’exprimait lors du panel organisé à l’ISCAE, vendredi 8 mars dernier, en marge de la cérémonie d’inauguration de l’incubateur Blue Space du groupe ISCAE, créé par l’école et Bank Of Africa, «il y a trois familles de freins qui empêchent le Maroc de passer d’une société salariale à une société entrepreneuriale, que tout le monde appelle de ses vœux».
Le système éducatif a un important rôle à jouer
L’universitaire distingue, d’abord, les facteurs dits de compétitivité, qui augmentent les coûts des facteurs de production (le travail, le capital…). Il s’agit notamment de la difficulté d’accès à beaucoup de ressources comme le foncier, le financement, «qui pose de moins en moins de problème parce que les taux ont baissé, les garanties collatérales ont également diminué, mais, malheureusement, les entrepreneurs marocains ont une faible propension à recourir au crédit bancaire, préférant l’autofinancement», et l’énergie dont le coût grève la compétitivité des entreprises.
A cela s’ajoutent la persistance d’un certain nombre de contraintes réglementaires, le fonctionnement et la lenteur de la justice, l’absence de système de médiation, les éternels délais de paiement, l’accès aux marchés publics par les PME et le poids de la fiscalité, la persistance de la corruption, la concurrence déloyale de l’économie informelle et le coût du transport et de la logistique qui demeure extrêmement élevé au Maroc, comparativement à des pays à niveau de développement similaire.
Dans la seconde famille de freins, El Malki parle de «l’accompagnement des entreprises, c’est-à-dire de l’écosystème entrepreneurial, qui demeure peu structuré, peu performant, faible en quantité, ceci sans oublier que l’impact de cet écosystème sur la performance des entreprises est extrêmement limité, malgré l’existence de plus de 60 structures au Maroc».
Selon lui, il y a aussi un autre problème et non des moindres, c’est qu’il y a une inadéquation entre les besoins exprimés par les entreprises et les offres de ces structures d’accompagnement, qui souffrent également de manque de moyens financiers suffisants.
Enfin, la troisième et dernière famille de freins qui empêchent le Maroc de construire une société entrepreneuriale est liée à sa culture et à son système éducatif. Pour le patron de l’ISCAE Rabat, «les Marocains ont culturellement une certaine aversion au risque, parce qu’ils ont peur de l’échec».
Qu’est-ce qui a contribué à ce mindset? «L’école et le système d’enseignement dans sa globalité ne dispensent pas le savoir pédagogique nécessaire pour l’émergence d’un esprit entrepreneurial», a-t-il expliqué.
«Les enseignants et les cursurs sont là pour délivrer des savoirs théoriques et techniques, plutôt que pratiques. Bref, tout le dispositif fonctionne en silos alors que l’entrepreneuriat requiert des complémentarités, des synergie», a-t-il ajouté.
Aziz Diouf / Les Inspirations ÉCO