Hooliganisme. Comment expliquer ce qui s’est passé dimanche à Rabat ?
Abderrahim Bourkia
Sociologue, écrivain, consultant en déviance et contextes sociaux, et professeur à l’Institut des sciences du sport à l’Université Hassan 1er de Settat
Beaucoup de Marocains, qui avaient accueilli avec enthousiasme la récente ouverture des stades au public, risquent de déchanter. Le hooliganisme est, en effet, de retour avec son lot de dégâts. Abderrahim Bourkia, sociologue, écrivain, consultant en déviance et contextes sociaux, et professeur à l’Institut des sciences du sport à l’Université Hassan 1er de Settat, tente d’exorciser ce phénomène.
Que vous inspirent les violences qui ont entaché la rencontre opposant, dimanche à Rabat, l’AS FAR et le MAS de Fès ?
Tout d’abord, ce sont des images qui portent atteinte au football, et plus exactement à une certaine idée des passionnés du ballon rond, pacifiste et plus «civilisée», des supporters au Maroc. Et aussi des nouvelles normes sociales partagées par une grande partie de la jeunesse marocaine qui se présente comme «marginalisée, exclue et stigmatisée», et qui fait allégeance à une autre forme d’appartenance. Une jeunesse en proie à de vives inquiétudes et ne trouvant pas de place au sein de la société, adoptant des valeurs d’une sous-culture aux antipodes du reste des composantes sociales. Les règles sociales sont tellement inversées qu’aujourd’hui une personne qui a écopé d’une peine de réclusion sera bien vue par ses acolytes. Nous nous trouvons devant la mise en avant de nouvelles valeurs, à savoir l’apologie de la violence, la virilité et l’agressivité. Ces jeunes subissent une mauvaise influence et s’adonnent à de nouvelles pratiques d’échange social et à d’autres formes de communication. Et ce que l’on a vu hier n’est que le reflet des maux qui rongent notre société depuis des années.
Qu’est-ce qui aurait dû être fait pour éviter cet indicent qui a occasionné une centaine de blessés, selon la police ?
Il y a de la prévention au départ et une cellule compétente pour gérer ce genre de situation. Ce qui s’est passé à Rabat nous laisse pantois. Ne pouvait-on pas prévoir et anticiper, compte tenu des incidents passés, en devançant les événements, avec la mise en place des mesures nécessaires pour empêcher de tels débordements ? Et on est en droit de se demander quel coté ce débordement arrange et à qui profite ce genre d’agissements.
Qui veut vraiment «surfer» sur ces actes de violence ?
Loin de verser dans le complotisme de bas étage, on n’accuse qui que ce soit. Mais nous devrions chercher les raisons ce ces incidents. Est-ce qu’on a affaire à des voyous, des gens qui ne décolèrent pas vu la crise actuelle après le covid, à des bandes informelles ? Sommes-nous en présence d’entités organisées, manipulées et instrumentalisées ou d’un mouvement de foule sporadique qui s’est vengé de la défaite et a «explosé» en exprimant sa haine aux autres supporters rivaux ainsi qu’aux agents d’autorité… C’est regrettable d’en arriver là et de porter atteinte à l’intégrité physique de l’autre supporter rival, ou d’un agent d’autorité qui assure sa mission de gardien de paix et de l’ordre public. Je pense que ces incidents ne sont qu’une suite logique à l’enchaînement d’un processus d’incivilités, déjà entamé sur les réseaux sociaux et à une série de règlements de compte d’une ancienne rencontre. Un processus où les groupes antagonistes s’inscrivent dans une logique de comptabilisation, avec une recherche de réparation pour les uns et un nouvel affrontement pour d’autres.
Le Maroc dispose-t-il d’une stratégie efficace, d’infrastructures adéquates et d’un arsenal juridique adapté, à même de permettre de lutter contre ce phénomène ?
Certes, l’arsenal juridique est là, mais hélas, il demeure insuffisant. Aussi, il serait préférable de combiner le sécuritaire au social. La prévention socioculturelle est recommandable, voire capitale, pour endiguer cette violence autour des stades, laquelle n’est que le reflet des maux de notre société. Et il est malheureux de voir ce genre d’incidents ternir l’image du football national. Il faut appréhender cela comme la manifestation du dérèglement social. Certains de ces individus n’en sont pas à leur coup d’essai, et trouvent leurs motivations dans un autre espace-temps. Les facteurs sociaux sont nombreux : chômage, situation familiale, échec scolaire, habitat insalubre, absence de perspectives, etc. Tout cela appelle à une démarche qui s’appuie davantage sur l’éducation, la responsabilisation, et surtout, l’accompagnement et l’encadrement des supporters. D’où le rôle capital des agents de la socialisation, à savoir famille, école, maison de jeunes. Tout cela passe par une véritable politique vers et pour les jeunes.
Doit-on s’inquiéter d’une recrudescence du hooliganisme après l’ouverture des stades suite à une fermeture de deux ans ?
Non, pas du tout. En tout cas, je ne pense pas. Il serait incongru de lier le retour des groupes de supporters et les actes de violence. Cela porte préjudice aux ultras et les diabolise davantage. D’autres groupes de supporters ainsi que des ultras sont retournés aux stades sans provoquer d’incidents. Donc non, nous ne devons pas condamner tous les groupes. Il est temps de statuer sur la présence de fauteurs de troubles et surtout trier le bon grain de l’ivraie. On pourra ainsi en finir avec tous ceux qui instrumentalisent et manipulent le football et son spectacle à des fins propres. Il faut préciser aussi que les groupes impliqués hier ont déjà récidivé plusieurs fois.
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO