Réduction des risques liés au tabac : les spécialistes montent au créneau
Le 18 octobre dernier, 100 experts indépendants ont signé une lettre ouverte pour demander aux parties de la Convention-cadre pour la lutte antitabac d’inviter l’OMS à adopter une approche plus ouverte, basée sur la science en matière de réduction des risques liés au tabac. Détails.
À l’occasion de la 9e session de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, qui sera organisée en novembre prochain, 100 spécialistes en science, politique et pratique de la nicotine ont signé une lettre ouverte, le 18 octobre dernier, dans laquelle ils demandent aux gouvernements membres de la CCLAT (la Convention-cadre pour la lutte antitabac) d’encourager l’OMS (Organisation mondiale de la santé) à moderniser son approche de la politique sur le tabac et de supporter et promouvoir l’inclusion de la réduction des méfaits du tabac dans la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Ceci en promouvant, notamment, les alternatives aux cigarettes conventionnelles. Dans ladite lettre, les experts indépendants regrettent que l’OMS n’ait pas tenu compte de la possibilité de transformer le marché du tabac en passant des produits à haut risque aux produits à faible risque. «L’OMS tourne le dos à une stratégie de santé publique qui pourrait éviter des millions de décès liés au tabagisme», martèlent les signataires de la lettre.
Les clés de réduction de dommages du tabagisme
Dans leur lettre, les 100 experts s’appuient sur un essai scientifique, réalisé par la Society for research on nicotine and tobacco (SRNT), plaidant pour un rééquilibrage de la politique en matière de tabac afin d’exploiter les possibilités offertes par les produits à risque réduit. Ainsi, il est demandé à ce que les acteurs publics accordent plus d’intérêt à sensibiliser encore plus les fumeurs adultes au potentiel du vapotage. Plus encore, les signataires avancent des résultats scientifiques qui confirment que les alternatives sans fumée peuvent évincer le tabagisme. Les cigarettes électroniques semblent jouer un rôle majeur dans le sevrage tabagique. «Les cigarettes électroniques stimulent le sevrage tabagique, elles aident probablement les gens à arrêter de fumer pendant au moins six mois».
Réduction des méfaits du tabac et développement durable
Dans le but d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD) visant à réduire d’un tiers, à l’horizon 2030, le nombre de décès prématurés dus aux maladies non transmissibles, la lutte antitabac doit être une priorité pour les gouvernements du monde entier, sachant que la plupart des nations sont en retard sur les progrès nécessaires pour atteindre cet objectif. Les experts affirment dans ce sens que «les mesures de lutte antitabac les plus rapides combineraient la force motrice des mesures Mpower avec l’offre d’une réponse comportementale plus simple pour la plupart des fumeurs : le passage du tabac conventionnel aux produits sans fumée». Une telle approche garantit une réduction importante du risque de maladie sans la difficulté supplémentaire d’arrêter de consommer de la nicotine. La modélisation de l’impact des produits sans fumée sur la morbidité et la mortalité liées au tabac fait apparaître des avantages très importants pour la santé publique.
LA FDA reconnaît l’utilité du tabac chauffé
La Food and Drug Administration (FDA) a procédé à une évaluation approfondie s’étalant sur plus de deux millions de pages de preuves concernant un produit du tabac chauffé fabriqué par une grande compagnie de tabac. L’institution a conclu que le produit est «approprié pour la protection de la santé publique et que la divulgation au public, du fait qu’il a permis de réduire considérablement les expositions humaines aux substances toxiques, est appropriée pour la promotion de la santé publique». Les experts expliquent aussi que la baisse spectaculaire du tabagisme au Japon a suivi l’introduction des produits du tabac chauffé en 2015. Les données du marché montrent une baisse sans précédent de plus de 40% du volume de cigarettes conventionnelles et de cigarillos vendus au Japon entre 2015 et 2020. Pourtant, ces résultats importants ne sont pas reconnus par l’OMS dans son récent document pour la COP9 sur les produits du tabac nouveaux et émergents. «L’OMS ne tiendrait donc pas compte du potentiel évident en matière de santé publique», dénoncent les experts.
Des décisions qui accentuent le tabagisme
Dans leur lettre, les experts affirment que «l’OMS continue de plaider en faveur de l’interdiction des alternatives au tabac à faible risque et applaudit les pays qui interdisent ces produits». Et d’ajouter que «l’OMS plaide régulièrement en faveur de l’interdiction pure et simple des alternatives sans fumée aux cigarettes conventionnelles ou de la réglementation et de la taxation de produits sans fumée équivalents aux cigarettes conventionnelles». Le danger de cette approche est qu’elle constitue une protection réglementaire, de facto, du commerce des cigarettes conventionnelles et qu’elle causera des dommages en perpétuant le tabagisme. Il est de plus en plus évident que l’utilisation des cigarettes électroniques remplace le tabagisme et que les mesures visant à contrôler l’utilisation des cigarettes électroniques peuvent déclencher une augmentation du tabagisme.
Des résultats probants chez les adolescents
Aux États-Unis, le déclin anormalement rapide du tabagisme chez les adolescents a coïncidé avec l’adoption du vapotage. Certains jeunes utilisent les cigarettes électroniques pour arrêter de fumer des cigarettes conventionnelles ou comme alternative aux cigarettes conventionnelles. «En conséquence, le vapotage est en train de supplanter la cigarette conventionnelle chez les jeunes et les fumeurs invétérés», affirment les experts dans ce sens. La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte contre le tabagisme reconnaît la réduction des risques comme une composante de la lutte antitabac. «Pour des centaines de millions de personnes qui luttent pour arrêter de fumer ou qui veulent continuer à consommer de la nicotine, ces produits représentent une voie supplémentaire importante pour échapper aux modes d’utilisation les plus mortels de la nicotine», affirme-t-on. Cependant, selon l’OMS, la réduction des risques liés au tabac est vue comme une stratégie de l’industrie visant à saper la lutte antitabac. «Mais cela ignore le soutien substantiel des experts en faveur de la réduction des méfaits du tabac dans les domaines de la santé publique et de la lutte antitabac ainsi que l’expérience de millions de fumeurs qui ont réussi à changer de mode de vie et qui sont en meilleure condition physique, sociale et économique», déplorent les experts.
Les principales recommandations des experts
• Faire de la réduction des méfaits du tabac une composante de la stratégie mondiale visant à atteindre les objectifs de
développement durable en matière de santé.
• Insister pour que toute analyse politique de l’OMS évalue correctement les avantages pour les fumeurs ou les fumeurs potentiels, y compris les adolescents, ainsi que les risques pour les utilisateurs et les non-utilisateurs de ces produits.
• Exiger que toute proposition de politique, en particulier les interdictions, reflète les risques de conséquences involontaires, y compris les augmentations potentielles du tabagisme et d’autres réactions négatives.
• Appliquer correctement l’article 5.3 de la CCLAT afin de lutter contre les véritables abus de l’industrie du tabac, mais pas pour créer un obstacle contre-productif aux produits à risque réduit qui présentent des avantages pour la santé publique ou pour empêcher l’évaluation critique des données de l’industrie sur la base stricte de leurs mérites scientifiques.
•Rendre les négociations de la CCLAT plus ouvertes aux parties prenantes ayant des perspectives de réduction des
dommages, y compris les consommateurs, les experts en santé publique et certaines entreprises ayant des connaissances spécialisées importantes qui ne sont pas détenues par la communauté traditionnelle de la lutte antitabac.
• Lancer un examen indépendant de l’OMS et de la CCLAT sur la politique du tabac dans le contexte des ODD. Cet examen pourrait porter sur l’interprétation et l’utilisation de la science, la qualité des conseils politiques, l’engagement des parties prenantes, la responsabilité et la gouvernance.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO