Santé : par où commencer la réforme ?
La nouvelle réforme du secteur de la Santé tend à opérer une véritable rupture avec les réformes partielles précédentes. Le financement, à lui seul, ne suffit pas, selon Khalid Ait Taleb qui mise sur la régionalisation du secteur pour relever le pari. Les ressources humaines sont le pilier essentiel de la réforme escomptée.
La mise en oeuvre du grand chantier de la protection sociale reste tributaire de la réforme du secteur de la santé. Les enjeux sont de taille, car il ne suffit plus de mettre à niveau le système de santé, mais il faut plutôt prendre le taureau par les cornes et revoir de fond en comble le secteur, comme l’a laissé entendre le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, devant les députés. Fini les révisions partielles et les plans qui ne prennent pas en considération l’ensemble des paramètres et qui n’ont d’ailleurs pas permis de traiter efficacement les multiples dysfonctionnements qui minent la santé au Maroc. Les réformes partielles, si multiples soient-elles, ont démontré leurs limites. Force est de constater qu’elles n’ont pas pu atteindre les objectifs escomptés en raison de la « saturation » du système, pour reprendre les propos du chef du département de la Santé. On peut citer, entre autres, l’initiative de formation de 3.300 médecins par an à l’horizon 2020, le RAMED, le programme de mise à niveau des infrastructures (2016/2021), le programme d’appui à la gestion du secteur de la santé (2007/2011), le programme de gestion et de financement du secteur de la santé (2001/2005) et le programme de mise à niveau de l’offre hospitalière, depuis 2006.
Un vrai traitement de choc
Il faut opérer une véritable rupture avec le passé en vue de construire un nouveau système de santé, basé sur une nouvelle vision. Toutefois, le Maroc a-t-il les moyens de ses ambitions ? Le gouvernement débloquera-t-il les moyens financiers nécessaires pour mettre sur les rails le nouveau plan de réforme ? Des questions on ne peut plus légitimes vu que le budget du secteur ne dépasse pas 6 % du budget général de l’Etat, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande d’allouer à ce secteur une quote-part de 12 %. À cet égard, le ministre de la Santé a lancé un pavé dans la mare : même si on gonfle le budget, le système de la santé ne peut pas se développer sans s’attaquer en profondeur à la problématique des ressources humaines. Cette question constitue, en effet, un véritable handicap pour le développement du secteur en raison de l’énorme déficit structurel quantitatif et qualitatif dont il souffre. Les besoins se chiffrent à 97.566 professionnels, dont 32.522 médecins et 65.044 infirmiers. Le taux de densité en personnel de santé ne dépasse pas 1,7 pour 1.000 habitants, soit un déficit énorme qui atteint 2,75 pour 1.000 habitants. Le taux d’utilisation des postes budgétaires des cadres médicaux et infirmiers ne dépasse pas parfois le seuil de 30 %. S’ajoute à cela, la mauvaise répartition territoriale des ressources humaines. En clair, il est impossible de résoudre la problématique des cadres médicaux du jour au lendemain. La formation d’un médecin nécessite, en effet, de longues années d’études. C’est pour cette raison que l’on entend ouvrir la porte aux médecins étrangers qui pourront, après la révision du cadre juridique, pratiquer la médecine au Maroc avec les mêmes conditions que leurs collègues marocains. On s’attend à ce que cette mesure ait un impact positif sur l’infrastructure de santé et sur la disponibilité des équipements de haute qualité et incite les compétences marocaines établies à l’étranger à revenir à leur pays. Il faut agir aussi sur la situation des médecins qui exercent dans le secteur public, lequel n’est plus attractif pour les jeunes lauréats, notamment en raison des salaires qui sont en deçà des attentes.
Création de la carte de santé régionale
La nouvelle stratégie vise à mettre en place une fonction publique spécifique pour le secteur de la santé à travers la révision de la loi-cadre 34-09 relative au système de santé et à l’offre de soins, en vue d’adapter la gestion des ressources humaines du secteur de la santé à la spécificité des professions de la santé. Les rémunérations doivent être liées au rendement pour inciter le personnel de santé à travailler davantage et pour attirer de nouvelles compétences, d’après Ait Taleb. Ce n’est pas tout, car l’offre de soin doit également être renforcée pour mettre fin à la faiblesse d’accès au système et aux disparités régionales et spatiales ainsi qu’à l’obsolescence des infrastructures, à la faiblesse de la maintenance, au non-respect de la carte de santé en matière de création des établissements de santé publics et à l’absence d’incitations pour le secteur privé pour l’amener à investir en fonction des critères de la carte de santé.
La réforme tend à renforcer l’offre de soins à travers plusieurs mesures, dont la création de la carte de santé régionale qui permettra de résoudre plusieurs problématiques avec l’implication des acteurs locaux et régionaux. Le programme médical régional sera aussi activé.
Il s’agit aussi de la mise à niveau des établissements de santé et de l’adoption d’une nouvelle approche en matière de maintenance des bâtiments et des équipements médicaux. En outre, le capital des cliniques sera ouvert aux investisseurs étrangers. Par ailleurs, le gouvernement compte s’attaquer à la gouvernance du secteur qui est marquée par plusieurs lacunes, dont la faiblesse de la complémentarité et de la coordination entre les composantes de l’offre de soins régionale à cause de l’absence d’un circuit intégré et de liaison entre les différents niveaux des soins de santé ( CHU, hôpitaux, structures de santé de proximité) ainsi que de la faiblesse de gouvernance et des ressources propres des hôpitaux. La nouvelle vision vise à renforcer les mécanismes de régulation, à contrôler l’action des acteurs concernés et à renforcer la gouvernance hospitalière et la planification territoriale de l’offre de santé à travers la création de nouvelles instances de gestion et de gouvernance.
Par ailleurs, et en vue de faciliter l’exploitation des données relatives au système de santé dont celles du secteur privé, un système informatique sera développé. Il permettra une gestion commune du patient et contribuera à l’amélioration de la facturation dans les établissements hospitaliers.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco