Niveau de vie au Maroc: ce qui a changé en 14 ans
Certes, le niveau de vie au Maroc a continué à évoluer positivement au cours des 14 dernières années (2006 -2019), mais le rythme est moins élevé depuis 2013. En effet, d’un taux annuel de 3,6% entre 2007 et 2013, il est passé à 2,7% entre 2013 et 2019, soit une perte annuelle moyenne de 0,9 point de croissance sur les 7 dernières années. Cette décélération risque d’être alourdie par la crise de la Covid-19 en 2020 où plusieurs centaines de milliers de pertes d’emplois ont été enregistrées.
Le Haut-Commissariat au plan (HCP) vient de rendre publics les résultats de l’enquête nationale sur les sources de revenus. Une enquête qu’il a réalisée, du 1er décembre 2019 à fin mars 2020, auprès d’un échantillon de 3.290 ménages. Ces derniers ont été questionnés sur leurs niveaux de revenus et de dépenses au cours de la période allant de 2013 à 2019. Publiée sous le titre «Evolution du niveau de vie des ménages et impact de la pandémie Covid-19 sur les inégalités sociales», l’enquête fait ressortir que le niveau de vie au Maroc a continué à évoluer positivement au cours des 14 dernières années (2006-2019), mais à un rythme moins élevé vers la fin de cette période.
En effet, le niveau de vie a augmenté en dirham constant à un taux annuel de 3,6% entre 2007 et 2013 contre 2,7% entre 2013 et 2019, soit une perte annuelle moyenne de 0,9 point de croissance sur les sept dernières années. Ceci équivaut à une nette décélération sur cette période, qui sera suivie par 2020, année inédite de la crise sanitaire qui a causé une perte massive d’emplois suite aux fermetures d’entreprises. Le HCP détaille que cette modeste progression du niveau de vie a aussi bien concerné le milieu urbain que rural. Le niveau de vie par tête a, ainsi, augmenté de 2,4% en milieu urbain et de 2,7% en milieu rural entre 2013 et 2019. Par ménage, la dépense de consommation annuelle moyenne de biens et services est ressortie, au niveau national, à 86.094 DH, soit 7.175 DH par mois, à 95.950 DH en zone urbaine (8.000 DH/mois) et à 64.530 DH en zone rurale (5.378 DH/mois).
Plus de 66% des ménages en dessous de la moyenne nationale
Tirant les conclusions de ces premières données, le HCP constate que près de 66,1% des ménages ont un niveau de vie inférieur à la moyenne nationale. Plus précisément, il s’agit de 59,9% des ménages vivant en milieu urbain et 79,6% des ménages vivant en milieu rural. Rapporté aux personnes qui composent les ménages, le niveau de vie par tête, qui est mesuré par la dépense annuelle de consommation par personne, a également connu une évolution, passant de 15.900 DH en 2013 à 20.389 DH en 2019. Et selon le HCP, cette amélioration a aussi bien profité aux citadins qu’aux ruraux, puisque le niveau de la dépense annuelle de consommation par tête en milieu urbain est passé de 19.500 DH en 2014 à 24.500 DH en 2019, tandis que celui en milieu rural a évolué de 10.425 DH à 13.360 DH au cours de la même période. Ceci étant, le HCP fait savoir qu’au niveau national, la moitié des ménages dépensent moins de 67.500 DH par an, soit 5.625DH par mois. Cette valeur médiane s’élève à 74.090 DH par an en milieu urbain (6.174 DH/mois), et à 54.900 DH/an en milieu rural (4.575 DH/mois). Mesuré par personne, le niveau de vie médian montre qu’un Marocain sur deux vit avec une dépense annuelle inférieure à 15.187 DH en 2019 (1.266 DH/mois). Par milieu de résidence, le niveau de vie médian est de l’ordre de 18.040 DH/personne dans les villes (1.503 DH/mois) et de 11.233 DH à la campagne (936 DH/mois).
De même, la note remarque que la progression du niveau de vie entre 2013 et 2019 a profité à l’ensemble des ménages, particulièrement aux catégories les plus modestes, et est moins inégalitaire. Par catégories sociales, le niveau de vie par habitant a connu, au cours de cette période, une amélioration en termes réels de 3,5% pour les 20% des ménages les plus défavorisés, de 2,9% pour la catégorie sociale intermédiaire et de 2,5% pour les 20% des ménages les plus aisés. A cet égard, le schéma de la répartition sociale du niveau de vie fait ressortir que la moitié la plus aisée de la population (50 % de la population appartenant au haut de l’échelle sociale) réalise 75,1 % de la masse totale des dépenses (contre 75,8 % en 2014), alors que la moitié la plus modeste ne représente que 24,9 % des dépenses totales (24,2% en 2014).
10% des personnes les plus aisées sont celles qui consomment le plus
Les 10 % des personnes les plus aisées ont un niveau de vie supérieur à 37.631 DH et réalisent près de 30,9% des
dépenses totales de consommation, alors que les 10% les plus modestes, avec un niveau de vie inférieur à 7.402DH, n’effectuent que 2,9% de ces dépenses. Les 20% des personnes les plus aisées totalisent 46,1% de la consommation totale des ménages (47% en 2014), contre 7% pour les 20% les moins aisées (6,7% en 2014). Dans ces conditions, signale le HCP, les inégalités du niveau de vie, mesurées par l’indice de Gini, affichent une nette baisse de 39,5% en 2013 à 38,5% en 2019, dénotant une croissance économique qui aurait été pro-pauvres, précise le HCP. Côté pauvreté et vulnérabilité monétaires, le HCP indique qu’en 2019, ces phénomènes ont poursuivi leur baisse. Au niveau national, l’incidence de la pauvreté absolue a reculé de 4,8% en 2013 à 1,7% en 2019. Par milieu de résidence, elle a baissé de 9,5% à 3,9% en milieu rural et de 1,6% à 0,5% en milieu urbain. Parallèlement au recul de la pauvreté absolue, la vulnérabilité économique a également connu une baisse notable. C’est ainsi que la part des personnes économiquement vulnérables est passée de 12,5% en 2014 à 7,3% en 2019 au niveau national, espectivement de 7,9% à 4,6% en milieu urbain et de 17,4% à 11,9% en milieu rural.
Une nouvelle démarche
À propos de ces données sur les inégalités, le HCP nuance ses conclusions en déclarant que «cette approche, que nous avons toujours privilégiée, nous est apparue comme ne rendant pas compte suffisamment de la réalité du poids des inégalités de répartition du revenu selon la composition des ménages et les réalités vécues par ces derniers. En effet, les ménages peuvent avoir, à revenu par tête égal, des consommations différentes selon le pouvoir d’achat réel, dépendant des charges assumées qui pèsent sur le ménage selon l’âge de ses membres, le partage des biens et services et les économies d’échelle qui peuvent en résulter». Ainsi, «pour corriger ces biais, nous sommes convenus, conformément aux orientations adressées par le Haut commissaire au plan aux cadres de l’Observatoire des conditions de vie de la population, d’approcher le niveau de vie par la dépense déflatée par les unités de consommation au lieu de la dépense par tête. Aussi sommes-nous tenus de recourir aux unités de consommation, représentées par des coefficients établis selon le nombre de personnes dans le ménage et leur âge», poursuit l’institut de sondage. Et de préciser que «ces coefficients ont été utilisés comme déflateurs de la dépense et du revenu d’un ménage pour obtenir des niveaux de vie en équivalent-adulte. Ainsi, si le revenu ou la dépense par personne est le même, les ménages de plus grande taille auraient un niveau de vie supérieur. Cette approche a aussi l’avantage d’établir la comparaison des niveaux de vie à l’échelle internationale, notamment avec les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ». Bref, comme signalé plus haut, la décélération enregistrée sur le rythme d’évolution du niveau de vie risque d’être alourdie par la crise de la Covid-19 en 2020 où plusieurs pertes d’emplois ont été enregistrées.
L’effet Covid-19 sera lourd !
L’effet de la crise sanitaire sur le niveau de vie au Maroc risque d’être lourd, voire très lourd. En effet, la décélération enregistrée sur le rythme d’évolution du niveau de vie à fin 2019 risque de se transformer en «une descente aux enfers », une fois les données de 2020 intégrées. Pour rappel, la crise a entraîné près de 1,5 million de pertes d’emplois, soit plusieurs milliards de dirhams de revenus qui se sont retrouvés, du jour au lendemain, hors du circuit économique. Certes, l’informel occupe un pan consistant de ce topo, mais il n’est pas sûr qu’il soit pris en considération dans les enquêtes de revenus. Quant aux aides de l’État, elles n’ont pas permis de régler le problème global de perte de revenus.
Aziz Diouf / Les Inspirations Éco