Exclusif. TVA, PLF, droits de douane, impôt de solidarité…ce que demande la CGEM
Dans cet entretien exclusif, Chakib Alj, président de la CGEM exprime le satisfecit du patronat quant aux mesures retenues par la Commission des Finances. Par ailleurs, il présente et explique en avant-première la portée des différents amendements qui seront portés par le groupe de la CGEM à la Chambre des conseillers.
La Commission des Finances de la première Chambre a adopté, le 11 novembre, la première partie du projet de loi de Finances 2021. En êtes-vous satisfait ?
Je commencerai par dire que la loi de Finances 2021 est incontestablement le principal levier de relance de notre économie. Elle doit impérativement impliquer des mesures fortes et concrètes à même de préserver notre tissu productif et l’emploi, de soutenir la demande, d’apporter un appui au social, de soutenir la trésorerie des entreprises, notamment les TPE-PME , de reconstituer les fonds propres de ces dernières et enfin, de simplifier la relation avec l’administration. Sur les 17 amendements retenus par la Commission des finances et présentés, soit par les partis politiques, soit par le gouvernement, plusieurs représentent des réponses claires aux demandes de la CGEM, que cela soit en matière de préservation du tissu productif, d’appui à la demande ou de reconstitution des fonds propres des entreprises.
Votre satisfecit concerne notamment quelles mesures ? Et sur quels points, le gouvernement aurait-il pu mieux faire ?
Nous saluons l’annulation des pénalités, amendes, majorations et frais de poursuites relatives aux impôts, droits et taxes, dont le principal devra être acquitté avant le 1er juillet 2021, ainsi que la réduction de 50%, pour les redevables uniquement, desdites pénalités, amendes, majorations et frais de poursuites, à la condition de les acquitter dans le même délai. La CGEM appuie également l’amendement relatif à la réduction du droit d’enregistrement de 1% à 0,5% pour les actes de constitution ou d’augmentation de capital des sociétés autres que ceux bénéficiant actuellement de l’exonération totale. Toutefois, nous ne sommes pas satisfaits de la rédaction adoptée concernant l’assujettissement à l’enregistrement des obligations de sommes (tel l’arrêté de compte), des reconnaissances de dettes et des cessions de créances, au cas où ces opérations sont constatées dans un acte écrit. Ces opérations qui sont très courantes dans la vie des entreprises, le sont majoritairement par écrit et leur assujettissement doit demeurer optionnel et non pas obligatoire comme c’était le cas avant 2019. Des opérations de prêts entre entreprises du même groupe et entre clients et fournisseurs sont indispensables pour le maintien et le développement des affaires et ne doivent pas être entravées. Il en est de même de l’arrêté de compte, document obligatoire en cas d’augmentation de capital par conversion de créances qui vont devoir subir un droit d’enregistrement de 1,5%, ce qui est en contradiction avec la volonté d’encourager le renforcement des fonds propres des entreprises et des mesures prises par le législateur, depuis 2018, en faveur de l’exonération desdites augmentations de capital. Aussi, en tant que partenaire du gouvernement pour ses engagements pour la préservation de l’environnement, et dans un souci d’encourager l’investissement dans les équipements nécessaires au développement durable, la CGEM appelle, depuis des années, à harmoniser les traitements fiscaux accordés aux énergies fossiles et ceux liés aux énergies renouvelables, à travers la baisse du taux de TVA sur le matériel photovoltaïque. La mesure adoptée en faveur d’une exonération de la TVA de ces équipements et des chauffe-eaux solaires vient conforter nos demandes et constitue une avancée dans l’effort de notre pays pour honorer ses engagements à l’égard de la communauté internationale en matière de climat. En somme, la CGEM est satisfaite de ces avancées et reste confiante quant au reste des amendements qui seront portés par son groupe parlementaire à la Chambre des conseillers, et qui nous semblent nécessaires pour instaurer les bases d’une économie plus solide et plus résiliente à la crise.
Quels sont les amendements qui seront portés par le groupe de la CGEM à la Chambre des conseillers ?
Tout d’abord, le plafonnement de la cotisation minimale à 100.000 DH. En effet, si la suppression demandée de la cotisation minimale, impôt qui pèse lourdement sur la capacité productive et menace la survie de plusieurs entreprises, ne peut être effective en 2021, nous demandons, à ce que cette cotisation soit, à minima, plafonnée à 100.000 DH et ce, dans le but d’atténuer son impact négatif sur les entreprises qui accusent actuellement de grands déficits amplifiés par la crise sanitaire. Nous estimons également qu’il est important d’élargir la mesure d’annulation totale des pénalités et des intérêts de retard relatifs aux impôts d’État et aux taxes locales impayées, mais aussi de prolonger la date limite au 31 décembre 2021. Par ailleurs, la CGEM prône avec force l’apurement du passif des crédits de TVA. L’année 2021 devra être l’année de l’amorce de la réforme de la TVA tant réclamée par la Confédération et comme convenu lors des différentes rencontres, notamment les Assises nationales sur la fiscalité. L’État devrait donc commencer par apurer tout le passif lié aux remboursements du crédit de TVA et des excédents d’acomptes restituables légalement (PPRF notamment), ce qui constituera une réelle bouffée d’oxygène pour les entreprises, les TPME en particulier, et permettra de rééquilibrer leur structure financière. Les amendements de la CGEM portent également sur le renforcement du respect des garanties données au contribuable lors des vérifications fiscales, l’amélioration de l’indépendance et des conditions de fonctionnement des commissions de recours fiscal, l’encadrement de la déductibilité des abandons de créances et des avoirs consentis et ce, eu égard aux impacts du Covid-19 et enfin, la suppression de la condition du recours judiciaire pour la déductibilité des provisions pour créances douteuses.
Le dispositif prévu dans le cadre du PLF 2021 traduit-il le principe de la protection du produit national ?
Nous saluons les efforts déployés par le gouvernement pour soutenir le tissu productif national structuré. Néanmoins, si la hausse des droits de douane a pour objet de protéger le produit marocain, celle opérée en 2020 a malheureusement impacté les importations d’intrants et de produits non fabriqués au Maroc. En effet, en l’espace de 6 mois, les taux sont passés de 25% à 40%. Nous estimons que le changement des droits de douane est un processus complexe car il doit répondre à plusieurs exigences nationales et être conforme aux accords de libre-échange signés par le Maroc avec des pays partenaires en faveur du développement du commerce extérieur. La hausse des droits de douane ne peut être bénéfique, que si elle ne touche pas les matières premières et les produits non substituables, en évitant d’affecter le pouvoir d’achat qui constitue un facteur de migration vers le secteur informel au détriment de la production interne. Elle devra aussi se faire en concertation avec les fédérations sectorielles pour définir une liste des produits à taxer. La Chambre des représentants a acté, le 11 novembre dernier, le rehaussement du tarif des droits de douanes pour certains produits. Toutefois, ces mesures restent très spécifiques à des secteurs bien définis et il est encore tôt pour mesurer leur impact. Nous attendrons donc les remontées de la part des secteurs concernés par ces mesures et les effets que celles-ci auront sur la production nationale et sur le pouvoir d’achat. La CGEM va aussi lancer, dans les prochains jours, une étude sur la valeur ajoutée cible par secteur pour l’obtention d’un référentiel en vue d’objectiver l’application des droits de douane.
Le groupe parlementaire de la CGEM votera-t-il pour ou contre l’impôt de solidarité ?
La contribution sociale de solidarité est un acte de citoyenneté auquel nous adhérons totalement, surtout en cette période de crise dont les impacts socio-économiques sont dévastateurs. Toutefois, le mode de financement proposé, qui correspond à une ponction sur les revenus et les résultats, ne saurait être maintenu au-delà de cette année et creuserait davantage le fossé existant entre les entreprises citoyennes et celles qui se développent dans l’informel. La CGEM avait ainsi recommandé d’élargir l’assiette des contributions. Nous nous réjouissons donc de l’approbation par la Commission des finances des nouveaux seuils et taux, à savoir la réduction de 5 MDH à 1 MDH du montant du bénéfice imposable pour les sociétés, avec un taux de 1,5% pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires entre 1 MDH et 5 MDH, de 2,5% pour un chiffre d’affaires entre 5.000.001 et 40 MDH et de 3,5% pour un chiffre d’affaires supérieur à 40 MDH. Nous saluons également le relèvement du montant du revenu imposable pour les personnes physiques de 120.000 à 240.000 DH, avec un taux de 1,5%, même si on aurait souhaité sa suppression pour les revenus salariaux.
Comment les patrons d’entreprises seront-ils impliqués dans la stimulation de l’emploi ?
Comme mentionné, pour le maintien des emplois, la CGEM avait proposé deux principales mesures aussi importantes l’une que l’autre. La première est relative à la généralisation de l’exonération de l’IR, sur les 24 premiers mois, à toute première embauche réalisée à partir du 1er janvier 2021, en contrat à durée indéterminée (CDI), à condition que l’âge du candidat ne dépasse pas 35 ans. Cette mesure permettra à un pan de la population jeune d’intégrer facilement le monde du travail, à un coût moindre pour les structures productives. Nous sommes satisfaits de voir que la Commission des finances a non seulement retenu cette mesure mais qu’elle a aussi augmenté la durée d’exonération de l’IR à 36 mois pour toute première embauche de jeune salarié âgé entre 30 et 35 ans.
Cette démarche pourrait-elle avoir un impact significatif ?
Nous estimons cette mesure ne devrait pas être limitée à la seule année 2021 mais maintenue au-delà de 2021 et au moins pour 3 années, si l’on veut réellement encourager le recrutement des jeunes dont le taux d’inactivité devient préoccupant. La seconde mesure concerne l’exonération de l’IR au profit des salariés mis au chômage partiel, jusqu’au 31 décembre 2021, dans les écosystèmes les plus touchés par la crise sanitaire (tourisme, automobile, textile…) dans la limite de 10.000 DH par mois. La prise en compte de cette mesure sera une bouée de sauvetage pour les entreprises pour préserver les emplois et maintenir les compétences en activité, le temps que l’activité économique reprenne.
propos recueillis par Sanae Raqui / Les Inspirations Éco