Droit de grève : la loi verra-t-elle le bout du tunnel ?
Malgré la relance des concertations, les syndicats campent sur leurs positions sur le projet de loi organique relatif au droit de grève. Tout porte à croire que ce texte, au point mort depuis 2016, ne passera pas au cours de ce mandat gouvernemental. Les partenaires sociaux plaident pour un dialogue tripartite et la priorisation de certains dossiers, notamment la situation des travailleurs dans cette conjoncture et la protection sociale.
Le bras de fer entre le gouvernement et les syndicats se poursuit concernant le projet de loi organique sur le droit de grève. Le ministre du Travail et de l’insertion professionnelle, Mohamed Amekraz, a reçu vendredi dernier les représentants de l’Union marocaine du travail (UMT) et hier ceux de la Confédération démocratique du travail (CDT). Il doit se réunir aujourd’hui avec une délégation de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), et demain avec les syndicalistes de l’Union nationale du travail du Maroc (UNTM).
Il s’avère difficile de rapprocher les points de vue des deux parties et de calmer les esprits échauffés des partenaires sociaux après la décision du gouvernement d’entamer le débat sur cette législation de la discorde au sein de l’institution législative. Amekraz, rappelons-le, a dû faire machine arrière après les protestations syndicales et relancer aussitôt les concertations sur cet épineux dossier. Tout porte à croire que cette loi organique ne verra pas le bout du tunnel au cours de ce mandat gouvernemental. Il faut dire que les divergences sont nombreuses sur ce texte entre, d’une part, les syndicats et, d’autre part, le gouvernement et le patronat.
Les centrales syndicales appellent à traiter ce dossier dans le cadre du dialogue social tripartite en vue de trouver un terrain d’entente sur les points de discorde, tout en estimant que ce texte n’est pas prioritaire dans la conjoncture actuelle, marquée par les répercussions de la crise sanitaire sur le marché du travail. Le gouvernement est appelé à discuter avec les partenaires sociaux le plan de relance du secteur de l’emploi, heurté de plein fouet par la crise sanitaire, ainsi que le chantier de la protection sociale qui doit être entamé dès janvier 2021, selon nombre de syndicalistes. Amekraz, lui, semble déterminé à faire passer ce projet de loi organique stipulé dans la Constitution. Rappelons à cet égard qu’il a souligné, mercredi dernier, aux députés de la Commission des secteurs sociaux -qui l’ont vertement critiqué pour le retard accusé dans l’adoption de ce texte et l’ont interrogé sur les raisons de sa programmation après des années de blocage- que le Parlement a le pouvoir de programmer les projets de loi indépendamment des accords entre le gouvernement et les syndicats. Le responsable gouvernemental a ajouté que «si tous les projets de loi devaient faire l’objet de consensus en dehors de l’institution législative, il faudrait fermer le Parlement».
Des propos fustigés par les syndicalistes qui accusent le gouvernement de vouloir leur «tordre le bras» en vue de soutenir le patronat au détriment des salariés. La CGEM n’a cessé de plaider, au sein du Parlement lors de la session printanière, pour la nécessité de faire passer ce texte inscrit à l’ordre du jour du dialogue social du 25 avril 2019. On s’attend à ce que les réunions entre le ministre du Travail et de l’insertion professionnelle et les représentants des centrales syndicales soient infructueuses, selon les pronostics des syndicats. Parmi les requêtes syndicales figure la nécessité de mettre en place des préalables avant tout amendement de la législation sur le droit de grève, à commencer par la ratification de la convention internationale 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et l’abrogation de l’article 288 du Code pénal, jugé restrictif au droit de grève.
Réglementation de l’échiquier syndical
Par ailleurs, un autre champ de bataille s’annonce à l’horizon entre le gouvernement et les partenaires sociaux: le projet de loi régissant les syndicats. Le gouvernement entend passer, au cours du présent mandat, ce texte qui est au point mort depuis 2009 car redouté par certaines centrales syndicales.
L’Exécutif a récemment relancé les syndicats sur ce texte qui leur a été soumis il y a un an, après plusieurs années de tergiversations. Certains syndicats, notamment l’UMT, se sont toujours prononcés contre l’adoption d’une loi réglementant l’échiquier syndical, estimant d’une part que l’action syndicale est déjà régie par le Code du travail et le dahir de 1957 et, d’autre part, qu’il faut en premier lieu assainir le climat social avant de mettre en place un nouveau texte. Des arguments qui ne sont pas partagés par l’Exécutif qui fait prévaloir la nécessité d’implémenter les dispositions de la loi fondamentale. L’article 8 de la Constitution stipule en effet que la loi détermine les règles relatives notamment à la constitution des organisations syndicales, aux activités et aux critères d’octroi du soutien financier de l’État, ainsi qu’aux modalités de contrôle de leur financement. Globalement, le texte sur les organisations syndicales, qui est en cours d’examen par les partenaires sociaux, est jugé lacunaire et en deçà des dispositions du Code du travail et de la Constitution. Quelques dispositions sont considérées par certains syndicalistes comme une ingérence dans les affaires internes des syndicats. Quoi qu’il en soit, il s’avère nécessaire de restaurer la confiance perdue dans l’action syndicale face à la situation actuelle, marquée par la perte de vitesse du syndicalisme.
Des discussions sur de nouvelles bases
Les syndicats plaident toujours pour le retrait du projet de loi organique qui a été soumis à la Chambre des représentants par le gouvernement de Benirane en 2016, appelant à l’engagement d’un dialogue social tripartite sur le projet en conformité avec les principes de l’OIT et les normes internationales fondamentales (conventions 87 et 98). Les partenaires sociaux estiment qu’il est difficile de considérer ce texte comme une plateforme de négociations «car tous ses articles doivent être revus de fond en comble». Pour les syndicats, le texte vide le droit de grève de sa substance par ses multiples restrictions, à commencer par le délai de préavis fixé à 15 jours (la CGEM avait proposé 10 jours dans sa proposition de loi déposée en janvier 2016 à la Chambre des conseillers). Le projet de loi stipule aussi que les salariés ne peuvent observer une grève qu’après des négociations avec l’employeur sur le dossier revendicatif en vue de trouver des solutions consensuelles dans un délai ne dépassant pas trente jours. Les partenaires plaident plutôt pour l’application des dispositions du code du travail et le renforcement des institutions de médiation pour éviter les causes des débrayages. Ils appellent aussi à supprimer la mesure ayant trait aux prélèvements sur le salaire des grévistes.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco