Les clubs nantis diminués : le Raja en crise
La crise du RCA football ne peut guère passer inaperçue. Il s’agit cependant d’un bon test, un miroir pour évaluer la dimension footballistique et sociétale, dans un pays «en mutation» dans tous les secteurs, particulièrement celui du football.
La situation du football se reflète à travers ses clubs, dont ceux qui ont une longue histoire et se retrouvent l’objet d’une rupture subite, qui revêt un aspect générationnel, faute d’alternance. De quoi s’agit-il, à un moment où, faute de solutions au chômage, on constate un allongement de l’âge de la dépendance vis à vis de la famille et où «l’adolescence» se prolonge jusqu’à la trentaine d’années, voire plus ?
Les supporters ou le pouvoir de la rue
Il a recours au budget familial du père, généralement employé dans les petits métiers, ouvrier, «ferrach», ou encore conducteur de triporteur ouvert à toutes les besognes, y compris certaines qui sont répréhensibles, aux yeux de la loi. Ou bien à celui de la mère qui exerce en tant que femme de ménage ou «bonne»…
Lui, c’est le fils mordu de foot qui devient un composant inactif, acculé au chômage et à la fragilité socio-économique. Viennent, ensuite, les mineurs, qui, en renfort de leurs aînés immédiats, forment l’essentiel de ce qu’on appelle grossièrement les Ultras, les supporters ou encore le public des stades de football.
Après plusieurs années d’activités «stadières», ils ont été sollicités par les clubs et les dirigeants, pour servir de soutien et de relais aux présidents de clubs. Et cela a marché, surtout dans les grands clubs, où on est allé jusqu’à brandir des banderoles, pour solliciter le dégagisme, à travers la fameuse expression «Irhal», qui a intégré la langue du foot.
Les millions de fans du Raja et les 30 à 50.000 supporters, fidèles soutiens du club, vont au stade en quête de la «Forja», le spectacle, la fête et au-delà, la danse voire la transe. L’arène des temps modernes devient un lieu de défoulement collectif, pour des «socios» inconditionnels et totalement dévoués au club et à ses couleurs. Ils réclament le recrutement des meilleurs joueurs, d’encadreurs de haut niveau et arrêtent leur jugement en fonction du résultat et de la manière.
Autrement, c’est le rejet et la sollicitation du changement radical, en réclamant le départ de tout le monde, le coach en premier ainsi que celui des dirigeants et des joueurs qui, selon eux, n’honorent pas leur contrat… Y compris pour les stars, dont Mohcine Metouali, le capitaine, en l’occurrence.
Comment en est-on arrivé là ?
Pourquoi une majorité de la grande masse des supporters optent-ils pour le «supportérisme» au Raja ? On ne remontera pas jusqu’aux premières générations de Rajaouis, qui s’engageaient dans la vie du club en tant que bénévoles… et parfois en mécènes ! Ainsi, le Père Jego, par exemple, payait de sa poche et on raconte qu’il aurait consacré toute sa fortune au Raja et au ballon rond. Il avait d’ailleurs rendu l’âme, pauvre et démuni, après qu’on ait coupé son alimentation en électricité, pour non règlement de plusieurs factures.
L’exemple même du mythe générateur du modèle sacrificiel, quand le jeune supporter, lui, s’exhibe torse nu. Il faut dire que la reconversion des supporters rajaouis en «tifosis» a eu lieu à l’arrivée de l’ODEP, comme parrain. Le club, qui s’était transformé, en optant pour une organisation inspirée de modèles européens, avec Salahedine Mezouar aux commandes de la direction générale, a réussi en quelques années ce qu’il n’avait pas pu réaliser depuis sa création en 1949. Et ce, sous la conduite du Portugais Cabrita, auteur d’un bon comportement en Coupe d’Europe des clubs champions, avec le Portugal de Chalana.
Une année plus tard, le Raja allait disputer et remporter sa première Coupe des clubs champions à Oran, sous la direction technique du duo Rabeh Saâdane et Houmane Jarir. À noter que le Raja fut le deuxième club à réussir cet exploit, après l’AS FAR en 1985. Les supporters des Diables Verts ont compris l’importance du «supportérisme», en accompagnant l’équipe dans ses déplacements, pour assurer l’animation et c’est à cette époque que sont nées les premières chansons destinées à stimuler les joueurs.
C’était l’époque de «Allah Y’a Rabbi Allah Y’a Rabbi Allah» et «Yallah Ndahkou, Yallah Nchathou…», l’aigle avait pris son envol de champion ! Ces premières compositions, anonymes, vont être suivies par «Dalmony» qui fera le tour du monde. Ce bref rappel permet de comprendre l’importance du public et son impact sur les choix et les stratégies des comités.
Beaucoup plus, d’ailleurs, que les adhérents, dont le nombre est insignifiant et atteint les 200 dans le meilleur des cas. En plus, l’adhérent est considéré comme associé aux divers choix qui ont échoué, surtout pour ce qui concerne la constitution du comité actuel et les recrutements ! Les supporters, eux, ont gagné le droit de manifester et se servir de la pression de la rue et du stade pour changer le cours des choses.
On a vu les «Ultras» rajaouis réclamer la tête du coach Jamal Sellami, malgré un bilan largement positif. Et à force de pression, ils ont fini par obtenir gain de cause et mettre un terme au parcours réussi de l’un de nos meilleurs cadres locaux. Les supporters ont récidivé et réussi à débarquer le Belge Wilmots et s’attaquent désormais à Rachid Taoussi, nouvellement investi sur un banc éjectable…
Ils ont dénoncé les transferts de Ben Malongo, de Rahimi et Hafidi et s’en sont pris à leurs successeurs, avec neuf choix, dont des ratés flagrants de certains joueurs. Surtout que le club n’a plus le droit au «gaspillage», après un endettement qui a affecté négativement son image, vis à vis de ses partenaires et empêche toute planification sur le long terme. Au Raja, cela a débouché sur le «suicide» et la valse des responsables.
Le scrutin de liste favorise le clanisme
Le système des adhérents semble avoir fait son temps, au moment où le public a montré qu’il était capable de faire pression pour imposer ses choix. Et il a réussi à déstabiliser les comités et imposer les assemblées générales, sans y prendre directement part.
Le public avait en face de lui la Commission des sages, constituée des anciens présidents, Mhamed Aouzal, Rhalam, Hamid Souiri, Abdeslam Hannat et Ahmed Ammour, auxquels on a adjoint Abdelkader Retnani et Abdellah Ferdaous, en attendant de connaître le sort qui sera réservé au président actuel Anis Mahfoud. On ne le répétera jamais assez, le modèle de scrutin retenu est inadapté et inadaptable aux réalités du football national et particulièrement au Raja !
Pour une raison très simple, il divise les potentialités, en répartissant les compétences sur trois listes, comme dans le cas de la dernière AG. Mais une fois les choix opérés, les animateurs des listes perdantes se voient contraints de passer dans «l’opposition», sitôt le dépouillement achevé. C’est ce qui s’est passé avec Me Anis, acculé à la démission avec son équipe, à laquelle on dénie toute qualité et qu’on charge de tous les maux du Raja… d’hier et d’aujourd’hui !
Me Anis a donc démissionné, passant la main à des successeurs dont certains ne lui ont pas rendu la vie facile. Va-t-il s’éclipser ou rester dans le giron de la contestation, après la tenue de la prochaine AG ? À moins, et cela ne semble guère vraisemblable dans les structures actuelles, qu’on ne passe au professionnalisme et à l’entreprise.
Et cette reconversion, qui ne sacrifie pas l’association, est-elle possible sans président fort, dépositaire de tous les pouvoirs ? Le Raja, certainement fidèle à son passé syndical, a toujours assuré une gestion collégiale. Ce qui est devenu impossible de nos jours, y compris dans les pays périphériques, séduits par le modèle du «Foot Business» arabo-européen.
Peut-être que le moment est venu pour cette reconversion, après la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Surtout si le Maroc réussit un bon parcours (et si Rahimi est titularisé), pour promouvoir l’image du football marocain et celle du Raja. Faut-il rappeler que Vahid Halilhodzic a découvert le foot marocain, à travers une expérience réussie du côté du complexe de l’Oasis. Où gît un club, le Raja, qui navigue désormais à vue, sans destination précise !
Belaid BOUIMID / Les Inspirations ÉCO