Élections législatives françaises : “Aucune voix pour le Rassemblement national au second tour”
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut marocain des relations internationales)
Rappelons qu’a l’issue des élections européennes, le président Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée nationale française au soir du dimanche 9 juin 2024, en constatant la victoire des extrêmes à ces élections. Le premier tour a été fixé au 30 juin et le second tour au 7 juillet 2024. Trois coalitions ont été formées avant le premier tour : le Rassemblement national (FN) avec une partie des Républicains à l’initiative d’Eric Ciotti, le Nouveau front populaire constitué du parti socialiste, de la France insoumise, des écologistes et du parti communiste, et le camp présidentiel «Ensemble», composé des partis Renaissance, Horizons, et Modem.
Outre ces trois grandes coalitions, on trouve les Républicains qui n’ont pas suivi la position d’Eric Ciotti et qui l’ont exclu de la présidence du parti. Sur les 49 millions d’électeurs inscrits, 66,7% ont voté soit directement soit par procuration. Le but de ces élections législatives est d’élire les 577 députés de l’Assemblée nationale, la majorité absolue étant de 289 députés. Les candidats qui ont obtenu plus de 50% des votes sont élus au premier tour, et pour concourir au second tour, il faut disposer de plus de 12,5% des voix. Les résultats officiels du premier tour ont donné le Rassemblement national/LR vainqueur avec 33,15% des voix et l’élection de 37 députés.
Au second rang, le Nouveau front populaire a obtenu 27,99% avec 32 députés, suivi du camp présidentiel «Ensemble» avec 20,04% des voix et deux députés. Les Républicains (LR) n’ont obtenu que 6,75% des voix et un député, et les divers 3 députés.
Le RN au pouvoir ?
Le deuxième tour du dimanche 7 juillet 2024, va connaître au moins 300 circonscriptions triangulaires. D’ores et déjà, aussi bien le premier ministre Gabriel Attal que le fondateur de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, ont recommandé à leurs membres de faire barrage au candidat du Rassemblement national, en se désistant au profit du candidat autre que le FN. Les projections établies par les Instituts de sondage donnent pour le Rassemblement national 270 sièges selon l’IFOP, 280 sièges selon IPSOS et entre 295 et 310 sièges pour Harris.
Selon ces mêmes Instituts de sondage, le Front populaire gagnerait 190 députés, le camp présidentiel 75 députés, et les Républicains 40 députés. Le président du RN Jordan Bordella a indiqué qu’il n’accepterait les fonctions de premier ministre que si son parti obtient la majorité absolue, c’est-à-dire 289 députés. On peut prévoir deux hypothèses, soit que le RN obtienne la majorité absolue, soit qu’il ne dispose que d’une majorité relative. Dans le premier cas, Jordan Bardella sera nommé premier ministre, et mettra en œuvre le programme de son parti. On peut envisager que s’il ne lui manque qu’une dizaine de députés, il pourrait les trouver auprès des Républicains moyennant des compensations.
Par contre, si le RN est loin de la majorité absolue, par exemple s’il lui manque une quarantaine de députés, il lui sera difficile d’obtenir la majorité absolue. Vu les relations multidimensionnelles que le Maroc entretient avec la France, les résultats du second tour seront très importants pour notre pays. En cas d’obtention de la majorité absolue par le RN, ce dernier mettra en œuvre son programme concernant l’immigration.
Ce programme prévoit la suppression du droit du sol, à savoir que les enfants nés d’immigrés en France n’auront pas automatiquement la nationalité française. Ils ne pourront obtenir une naturalisation que sur la base de critères de mérite et d’assimilation. Le programme prévoit également la fin de l’immigration de peuplement et du regroupement familial.
Toutes les demandes d’asile seront traitées à l’extérieur de la France, et les étrangers ne bénéficieront des aides sociales qu’après cinq ans de travail en France. Il est prévu la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi, avec la suppression de l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France. Les clandestins et les criminels étrangers seront expulsés systématiquement, tandis que les idéologies islamistes seront éradiquées sur l’ensemble du territoire national. La sécurité sera érigée en priorité partout et par tous.
Dans l’espace Schengen, la libre circulation sera réservée aux seuls ressortissants des États membres de l’Union Européenne (UE). Enfin, il est prévu l’interdiction de certains emplois dit «sensibles» par les binationaux, notamment en ce qui concerne la sécurité et la défense. Toutes ces mesures sont contraires à la Constitution française, qui prévoit que tout citoyen ayant la nationalité française bénéficie de tous les droits et obligations, notamment l’accès à la fonction publique. Ces droits sont également reconnus par la Convention européenne des doits de l’homme, et la Charte des droits fondateurs de l’UE. Outre ces mesures discriminatoires, le RN risque de perturber le fonctionnement de l’UE avec laquelle le Maroc entretient des relations économiques très fortes.
En effet, il prévoit de réduire la contribution financière de la France à l’Union européenne de 2 milliards d’euros. Il veut transformer l’UE en «Alliance européenne des Nations» avec une forte diminution des compétences. Il préconise la supériorité de la législation française sur celle de l’UE sous forme de «Directives», et l’extension du vote à l’unanimité pour un grand nombre des sujets, notamment la négociation des relations commerciales. Il souhaite également établir un moratoire sur la négociation de nouveaux Accords de libre-échange avec les pays étrangers. En politique étrangère, il n’est pas favorable à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, ainsi qu’aux neufs autres États européens candidats à l’UE.
Le RN a eu un comportement suspect vis-à-vis de la guerre en Ukraine, où il ménage la Russie qui avait accordé deux prêts au Front national en 2014, alors que le président Poutine avait reçu Marine Lepen au Kremlin, le 24 mars 2017. Le seul point positif pour le Maroc serait une éventuelle reconnaissance de la marocanité du Sahara, vu les relations tendues que le FN et le RN ont toujours pratiquées avec l’Algérie.
D’autre part Eric Ciotti, qui a rejoint le RN, a annoncé qu’il rétablirait l’amitié franco-marocaine en cas de victoire de la Coalition RN/LR. Il a ajouté qu’il placerait le Maroc au sommet des priorités de la future politique étrangère de la France. Rappelons que lors de sa visite au Maroc en mai 2023, il avait annoncé son soutien à la marocanité du Sahara. Il faut cependant tempérer ces promesses, car la politique étrangère est en principe le «domaine réservé» du président de la république.
Lignes rouges
En conclusion, on ne peut que condamner les mesures discriminatoires que veut imposer, en cas de victoire, le Rassemblement national vis-à-vis des immigrés et des binationaux. Ces mesures risquent d’impacter négativement la communauté marocaine qui vit en France, et qui est forte de 1,5 million de personnes.
D’autre part, les citoyens marocains auront des difficultés à se rendre en France, si l’obtention de visa est rendue plus difficile. Enfin, certains binationaux maroco-français choisiront le retour dans leur pays d’origine, ce qui est positif pour notre pays du fait de l’expertise acquise pendant leur séjour en France.
D’autre part, la position du RN vis-à-vis de l’UE est inacceptable pour les 26 autres États-membres, et ne sera certainement pas soutenu par Emmanuel Macron, qui est favorable au contraire à une UE plus intégrée et plus forte militairement. On y verra peut être plus clair à l’issue des résultats du second tour, mais en tout cas, la France va connaître, au cours des trois prochaines années, une période mouvementée et pleine d’incertitude.