Élections européennes de 2024 : quel impact sur le Maroc ?
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut marocain des relations internationales)
Les principales institutions de l’Union européenne sont le Conseil européen qui est l’autorité suprême, et représente les Chefs d’État et de gouvernement, à ne pas confondre avec le Conseil de l’Union européenne (UE) qui représente les gouvernements au niveau des ministres. La Commission européenne représente les intérêts communs en dehors des intérêts de chaque pays membre. Elle est chargée de la mise en œuvre des décisions des autres institutions et c’est le véritable moteur de l’Union.
La Cour de justice européenne concerne le volet judiciaire, la Banque centrale européenne est chargée de tracer la politique monétaire, et la Cour des comptes veille à la régularité des dépenses des organes de l’Union. La dernière institution importante de l’UE est le Parlement européen qui partage les pouvoirs législatifs et budgétaires avec le Conseil de l’Union. Il ne dispose pas de l’initiative législative, dont la Commission européenne a le monopole, mais doit donner son accord aux lois proposées par la Commission (appelés «Directives»). Le Parlement européen siège à Strasbourg, mais d’éventuelles séances additionnelles se tiennent à Bruxelles.
Cartographie du Parlement européen
Les élections européennes de 2024 ont eu lieu du 6 au 9 juin 2024 dans les 27 États membres de l’Union européenne. Elles ont eu pour but d’élire les députés du Parlement européen au suffrage universel, pour un mandat de cinq ans. Le système électoral utilisé est proportionnel, chacun des États formant le plus souvent une circonscription plurinominale unique. Le 23 septembre 2023, le Conseil de l’UE a adopté un règlement approuvé par le Parlement européen, fixant le nombre de députés à 720 pour la législature 2024-2029.
La répartition des sièges dans ce Parlement, entre les différents pays, se fait en fonction de leur poids démographique au sein de l’Union. Les pays les plus représentés dans cette instance sont l’Allemagne (96 députés) suivie par la France (81) et l’Italie (76). Les pays les moins peuplés comme Malte, Chypre, et le Luxembourg disposent chacun de six députés.
À l’issue des élections, les députés se regroupent non pas par nationalité, mais par affinité politique, formant des groupes politiques transnationaux. Il faut un minimum de 23 députés issus d’au moins sept États membres pour créer un groupe. Les résultats de l’élection qui s’est déroulée par groupe, du 6 au 9 juin, donnent la position suivante : PPE (Conservateurs) : 186, S&D (Sociaux démocrates) : 134, Renew (Centristes) 79, ECR (souverainistes) : 73, ID (Identité et démocratie) 58, Verts/ALE (Verts et Alliance libre européenne) : 53, The left (gauche) : 36, Non-inscrits : 46, Autres : 55. Il en résulte que les droites européennes voient leur poids dans l’hémicycle strasbourgeois renforcé, tandis que la poussée des nationalistes semble un peu moins importante que prévu. Les partis traditionnels conservent une majorité au Parlement. C’est ainsi que les conservateurs, les socialistes et les libéraux totalisent 399 sièges sur les 720 que compte le nouveau Parlement.
De leur côté, les deux groupes d’extrême droite et les conservateurs et réformistes européens gagnent 13 sièges à eux deux. Dans ces groupes figurent le Rassemblement national et le parti Reconquête. Les partis écologistes accusent un net recul en perdant 19 sièges, tandis que la gauche radicale, où siège la France insoumise, perd de son côté un siège.
Percée de l’extrême droite
Pour la France – qui est notre premier partenaire pour les investissements et le second pour les échanges commerciaux, et où vit une importante communauté marocaine -, la liste «la France revient» du Rassemblement national, menée par Jordan Bardella, a réalisé une percée historique en recueillant 31,37% des suffrages exprimés avec l’élection de 30 eurodéputés. Loin dernière, la liste de la majorité présidentielle, portée par Valérie Hayer, ne rassemble que 14,6% des suffrages et l’élection de 13 eurodéputés. Elle est talonnée par la liste du parti socialiste «Réveiller l’Europe», dirigée par Raphael Glucksman, qui enregistre 13,83% des voix et 13 eurodéputés élus.
Les quatre autres listes, qui ont dépassé le seuil des 5% qualificatifs, sont la France insoumise, représentée par Manon Aubry avec 9,89% et neuf eurodéputés, les Républicains de François-Xavier Bellamy (7,25% de voix et six eurodéputés). Les deux dernières listes sont celles des écologistes, portées par Marie Toussaint et qui n’a obtenu que 5,5% de voix, et cinq eurodéputés, et Reconquête portée par Marion Maréchal avec 5,47% de voix et cinq eurodéputés.
À la surprise générale, le président Macron, conformément à l’article 12 de la Constitution, et pour répondre à la victoire de l’extrême droite, a décidé le soir du dimanche 9 Juin de dissoudre l’Assemblée nationale. C’est une décision risquée qui rend les Français juges d’une situation politique inédite. Le premier tour est fixé au 30 juin et le second au 7 juillet. Trois scénarios sont possibles : le plus favorable au président Macron est le renforcement de sa majorité, en lui donnant une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Pour ce faire, le Chef de l’État mise sur un scrutin uninominal à deux tours, moins favorable au Rassemblement national, à condition que le front républicain fonctionne. Le second scénario est une Assemblée nationale dominée par une nouvelle majorité relative ou absolue autre que le Rassemblement national, soit le front de gauche soit une coalition de la droite. Le troisième scénario est la victoire du Rassemblement national avec une majorité absolue. Dans ce dernier cas, Macron devra nommer un premier ministre issu du Rassemblement national et constituer un gouvernement de cohabitation.
To worry or not to worry ?
Le Maroc a des relations historiques avec l’UE. Celles-ci ont débuté par un Accord commercial en 1969, qui a été élargi en 1976. Un Accord d’association prévoyant une zone de libre échange, signé le 26 février 1996, est entré en vigueur le 1er mars 2000. Enfin, le Royaume a obtenu le Statut avancé en 2008 qui lui permet de bénéficier de tous les avantages de l’UE sauf la participation à la gouvernance de l’Union. L’Union est le premier partenaire économique du Maroc avec 56 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2023. Plus de la moitié des investissements directs étrangers au Maroc proviennent de l’UE.
Suite aux résultats des élections européennes du 9 juin 2024, il n’y a pas d’inquiétude à avoir concernant les relations avec l’Union européenne, puisque les conservateurs, les sociaux-démocrates et les centristes, qui nous sont favorables, constituent la majorité du Parlement européen avec 55% de voix.
Par contre, en ce qui concerne la France, il y a un risque si le Rassemblement national forme le nouveau gouvernement. Ce parti a bâti depuis de nombreuses années son fonds de commerce sur les problèmes de l’immigration. Son programme prévoit une réduction des visas accordés aux étrangers pour l’immigration légale, et une lutte sans merci contre l’immigration illégale avec la fermeture des frontières et l’expulsion des étrangers sans papiers.
Il prévoit également d’interdire les transferts des travailleurs étrangers vers leur pays d’origine, si les Consulats ne fournissent pas les autorisations de retour aux pays d’origine. Il a l’intention également de conditionner les prestations sociales pour les étrangers, et de stopper la libre circulation des étrangers disposant d’un visa Schengen entre les pays européens membres de l’UE. On ne peut que condamner ces propositions racistes du Rassemblement national, et espérer qu’il ne parviendra pas à prendre le pouvoir en France.