Retrait de la liste grise de l’UE : quelles conséquences pour le Maroc ?
L’Union européenne a décidé de définitivement retirer le Maroc de la liste dite «grise» des paradis fiscaux suite à l’adoption de plusieurs réformes. Le terme «définitivement» a tout son poids dans cette salutaire décision, soutiennent des économistes. Et après ?
Le lundi 22 février, l’Union européenne a mis à jour sa liste de paradis fiscaux et, à la satisfaction de plusieurs institutions, le Maroc se voit retiré de la liste grise à l’instar de la Namibie et de Sainte-Lucie, pays insulaire des Antilles, à l’Est de la mer des Caraïbes. Décidément, les réformes qui modifient le régime fiscal de Casablanca Finance City pour la rendre conforme aux principes de concurrence fiscale loyale ou encore la correction de deux régimes fiscaux préférentiels, à savoir ceux des zones franches d’exportation et des entreprises exportatrices à travers la loi de Finances 2020, ont porté leur fruits.
«C’est une décision qui était attendue, parce que le Maroc a mis à niveau, depuis 2018, ses dispositifs fiscaux et tout ce qui pouvait prêter à confusion avec l’Union européenne. Même si elle intervient un peu tard, cette décision est bienvenue», réagit Ahmed Azirar, économiste, directeur des études du think tank Institut marocain d’intelligence stratégique.
Le Maroc entreprend depuis plusieurs décennies des réformes structurelles profondes pour réussir la mise à niveau de son économie, sa libéralisation financière mais aussi pour donner des gages d’équité dans la taxation et de mise en place progressive de mesures anti-BEPS pour éviter l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Le fait que le royaume est passé de la 115e à la 53e place dans le Doing Buisness, entre 2010 et 2020, n’est pas anodin. Si le Maroc figurait dans la liste grise des paradis fiscaux, il était accompagné de 46 autres pays dont la Turquie, dixième puissance économique mondiale.
À cette date, la liste des pays classés en zone grise comprend neuf juridictions: l’Australie, la Barbade, autre micro-État insulaire situé en pleine mer des Caraïbes, le Botswana, les Maldives, la Thaïlande, la Jordanie, la Turquie et la Jamaïque, qui vient tout juste d’être ajoutée à cette liste. À l’inverse du Maroc, des pays comme la Turquie ou la Jordanie n’ont pas cédé à la pression de l’UE et demeurent dans la liste grise. Pour Azirar, «ces pays ont fait leur choix. De tels pays ne sont pas des exemples à suivre. À titre d’exemple, la Turquie a toujours utilisé les incitations ou les zones grises en matière financière et de change pour pouvoir donner une impulsion à ses exportations. Ce n’est pas le choix du Maroc, qui opte pour une démarche claire. Le royaume applique toujours ses engagements vis-à-vis des organisations internationales et de ses partenaires, en particulier l’UE. Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase d’attrait de nouveaux investissements post-Covid-19, étant donné qu’il présente maintenant de nouveaux projets. Vis-à-vis de l’Europe, il est bon de clarifier les choses, même si cette approche va nous en coûter un petit peu. Mais cela va également nous inciter à plus de compétitivité, y compris procédurale, administrative, etc.». Avec cette décision, le Maroc va être en concurrence avec des partenaires étrangers, mais également des pays européens comme le Luxembourg et d’autres, qui sont indexés comme des paradis fiscaux. Pour Azirar, le Maroc doit clarifier ce point avec l’Europe. Il faut savoir quel traitement sera réservé aux paradis fiscaux situés dans le vieux continent, afin qu’il n’y ait pas «deux poids-deux mesures». Il faudrait aussi faire valoir nos avantages auprès des investisseurs européens, du Moyen-Orient et américains. Nous devons aussi bien présenter nos projets d’investissement, qui sont nouveaux, surtout que les chaînes de valeur mondiales et européennes sont en train de changer, explique l’économiste.
Implications et enjeux
La décision de l’Union européenne aura pour implications de rassurer les personnes morales et physiques étrangères qui peuvent être investisseurs, financiers, industriels ou les trois à la fois. «Cela permettra aux entreprises marocaines de construire des partenariats avec des entreprises européennes sans que ces dernières pâtissent d’un traitement discriminatoire sur le plan fiscal. Puis, sachant qu’il n’y a plus de différence de traitement entre le marché local et étranger, le Maroc intègre désormais le cadre inclusif qui ne considère plus son régime fiscal comme dommageable pour des tiers étrangers. Quant aux enjeux, ils sont majeurs et feront du Maroc un des rares pays de la région MENA et le deuxième en Afrique à réserver le même traitement fiscal aux revenus, bénéfices ou dividendes générés par des clients locaux ou étrangers, et à ne pas exercer d’entraves sur les transferts des excédents nets d’exploitation (ENE)», fait valoir Abdelghani Youmni, économiste et professeur de gestion publique, consultant en évaluation des politiques publiques et intelligence économique.
Leviers à suivre de près pour garder le cap
Cependant, «le Maroc doit veiller sur certains leviers comme ceux du régime de propriété, du fonctionnement des tribunaux de commerce et des délais de traitement des litiges afférents à des questions de discrimination ou d’interprétation d’ordre fiscal, mais aussi à poursuivre sa coopération en matière de gouvernance fiscale. Il doit aussi flexibiliser les opérations de transfert de bénéfices et de capitaux sans jamais entamer la périlleuse phase de convertibilité totale du dirham, qui fait partie des souverainetés du Maroc», explique Abdelghani Youmni. Les challenges et les défis sont certes majeurs, mais le royaume a toujours été à la hauteur et au rendez-vous. «Maintenant, est-ce que le Maroc pouvait rester sur la liste grise et sortir du schéma de développement suivi par les pays européens et ceux de l’OCDE pour se mettre en position d’altermondialiste ? La réponse est oui, mais avec la certitude de ruiner toute chance de progrès et de prospérité et d’accès au partage des chaînes de valeur globales et de la richesse créée par les mécanismes du commerce et de l’échange international, malgré ses imperfections», analyse Youmni.
Modeste Kouamé / Les Inspirations Éco