Maroc

Résilience à la crise, présence du sucre dans les produits Pepsi, concurrence avec Coca… Salahaddine Mouaddib dit tout (VIDEO)

Dans l’échiquier mondial, le Maroc peut jouer un rôle important en devenant le principal fournisseur de l’Europe, notamment. Il faut pour ce faire redoubler d’efforts. C’est en partie ce que pense Salahaddine Mouaddib. Le patron de Varun Beverages Morocco (l’embouteilleur de Pepsico) dans le Royaume, qui vient tout juste d’être élu président de P&G Alumni Maroc, revient dans cet entretien sur les effets du contexte difficile que nous vivons, sur l’économie marocaine en général, et sur le secteur de la boisson en particulier. Il se penche, également, sur les perspectives de croissance de l’activité ainsi que sur d’autres aspects tous plus intéressants les uns que les autres.  Revue de détails.

Le monde a été chamboulé par deux crises successives, le Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui ont mis à mal l’économie mondiale. Comment, en votre qualité d’opérateur de référence, percevez-vous le comportement de l’économie marocaine dans cette conjoncture ?

Le monde est effectivement en chamboulement depuis deux ans et demi. Je pense que le plus grand impact de ces deux crises intervient sur le volet logistique, impliquant des difficultés d’approvisionnement au niveau mondial. L’impact logistique mondial se décline ainsi sur d’autres aspects, via l’augmentation des prix, notamment ceux du fret maritime et la rareté des matières premières. Cela paraît quelque peu paradoxal puisque l’économie mondiale n’a toujours pas repris ses niveaux de 2019.

Aucun pays au monde n’a encore retrouvé le niveau d’avant-crise et pourtant, il y a une pénurie de matières premières alors même que la production n’a pas encore renoué avec ses réalisations de 2019. En réalité, il s’agit d’une perturbation de la logistique et non pas d’un problème de disponibilité des matières premières. Il n’est pas inutile de dire que le coût de logistique est devenu trop élevé.

Je pense, dans ce contexte, que les flux ont changé et vont continuer à évoluer. Compte tenu de la hausse des prix du transport, les pays doivent trouver des alternatives à la Chine, par exemple, qui était, jusque-là le fournisseur mondial des matières premières et produits finis. Le Maroc peut se positionner et transformer ce problème de la logistique en une véritable opportunité.

Le Royaume est proche des grands marchés que sont l’Europe, les États-Unis et, bien évidemment, l’Afrique et peut donc, tout à fait, se repositionner. Je suis convaincu que les décideurs politiques en sont réellement conscients.

Nous observons les efforts du Maroc pour conclure de nouveaux accords de libre échange avec d’autres pays (ndlr: négociations en cours avec le Royaume-Uni). En plus de cette proximité avec les grands marchés, le Royaume dispose d’atouts non négligeables comme sa main-d’œuvre qui reste compétitive par rapport à l’Europe.

Justement, que faut-il faire pour y parvenir ?
Pour démarrer cette transformation, il ne suffit pas, en effet, d’être proche de l’Europe. Le pays doit disposer d’une véritable industrie. Il faudrait donc pousser un peu plus l’investissement vers l’industrie et les plans d’accélération existent dans ce sens. Dans le Nouveau modèle de développement, un accent particulier a été mis sur l’industrialisation du pays. C’est, aujourd’hui, une réelle opportunité.

Pensez-vous que les prix de la logistique vont évoluer à la baisse après le Covid ?
Je n’en suis pas convaincu. Je pense qu’au contraire cette hausse des prix de la logistique va se maintenir pendant une longue période. À titre d’exemple, un conteneur provenant de Chine coûtait 3.000 dollars avant la crise ; aujourd’hui, son prix se situe entre 18.000 et 20.000 dollars. Je ne pense pas que les armateurs et les compagnies maritimes, même sans Covid, puissent revenir aux prix d’avant. Tous devraient profiter de la situation pour garder leurs tarifs élevés. Il faut que le Maroc saisisse cette opportunité et s’interroge sur les moyens pour parvenir à devenir le principal fournisseur de l’Europe. Pour l’Afrique, le travail a déjà démarré. Nous (ndlr: Pepsico) exportons déjà vers le continent sauf que le gros frein, aujourd’hui, reste celui des droits de douane avec les pays africains.

Comment jugez-vous l’action gouvernementale dans la gestion des deux crises (Covid et guerre en Ukraine) ?
En tant qu’investisseur étranger au Maroc (ndlr : filiale de l’embouteilleur indien de Pepsico), également présent pour la partie Afrique, au Zimbabwe, en Zambie, au Kenya, et en Ouganda, notamment, nous avons suivi de très près la réaction de chaque gouvernement au Covid.

Nous estimons très sincèrement, au sein du groupe, que le Maroc était le pays qui a le mieux réagi avec tout le soutien qu’il a mis en place pour les industries et les salariés. Je donne l’exemple de notre société dont l’activité à chuté de 65% au cours des premiers mois de la pandémie. Ce qui pèse lourd dans une entreprise qui emploie 1.000 salariés. Nous avons ainsi dû réduire la cadence.

Toutes les personnes qui ont été mises en arrêt d’activité ont pu bénéficier de l’aide de l’État. Nous étions très contents de pouvoir voir nos salariés protégés qu’on a pu récupérer à 100% en juillet. Il n’y a donc quasiment pas eu d’impact sur les gens. Le gouvernement a, en toute sincérité, fait ce qui fallait pour soutenir l’économie.

Étant donné que toutes les hypothèses de la loi de Finance 2022 ont été largement dépassées, faudrait-il, selon vous, recourir à une loi de Finance rectificative ?
Je n’en vois franchement pas la nécessité, connaissant en plus le processus d’élaboration de la loi de Finances qui nécessite un minimum de 9 mois à compter de la gestation. Ce qui est intéressant, aujourd’hui, c’est le changement qui s’opère au Maroc en la matière puisque le gouvernement commence déjà à parler aux opérateurs à partir de ce mois de mars. Ce qui est une première. Habituellement, au Maroc nous ne commençons à entendre parler de la loi de Finances qu’à partir du mois de juin. En septembre, les choses s’accélèrent et en décembre, elles se précisent.

Comment se porte donc le secteur de la boisson dans ce contexte ?
Le secteur est très impacté par la crise, la pandémie ayant induit une hausse des cours des matières premières. Le prix de la résine utilisée pour la production de l’emballage en plastique de Pepsi a carrément doublé à cause de la hausse des cours du pétrole. D’autres intrants comme l’aluminium ont augmenté de plus de 20% par rapport à 2020. Le prix des matières premières et les coûts logistiques ont fortement impacté le secteur. Vous savez, les marges de l’industrie ne sont pas très fortes, contrairement à d’autres industries comme la cosmétique ou encore le pharmaceutique.

Dès qu’il y a une variation des prix des matières premières, elle est vite répercutée sur les coûts de production. Le volume, par ailleurs, n’augmente pas suffisamment pour compenser les hausses des prix des intrants. Dès lors, deux options se posent devant les acteurs de l’industrie, soit impacter la hausse des intrants sur le prix du produit final, soit être créatif et réduire ses coûts.

Nous avons, au sein du groupe Varun Beverages Morocco, choisi la seconde à travers des plans d’économies. C’est une stratégie d’optimisation qui est, en effet, bien installée chez nous, crise ou pas. D’ailleurs, nous avons pris, cette année, la décision de ne pas augmenter le prix final des boissons. Car nous estimons  que le pouvoir d’achat des consommateurs est déjà sous pression. Et puis, parce que la boisson gazeuse n’est pas un produit de première nécessité, et donc très sensible au prix».

Comment expliquez-vous le fait que ce marché ait du mal à progresser ?
L’un des freins au développement du marché de la boisson gazeuse est justement l’existence de certaines perceptions courantes chez les consommateurs concernant la teneur des boissons gazeuses en sucre. Il faut savoir que la boisson gazeuse représente 5% de la consommation de sucre au Maroc. C’est minime, mais le produit pâtit toujours de cette perception chez le consommateur, avec une image disproportionnée par rapport à la réalité. Il faut aussi savoir que le sucre de bouche représente 75% de la consommation totale du sucre au Maroc, alors que l’industrie agroalimentaire, toutes catégories confondues, ne représente que 25%. Donc, la problématique de santé dont on parle doit être approchée de manière globale. Il est certain qu’il y a encore des efforts à faire pour réduire le taux du sucre dans les boissons gazeuses. C’est, d’ailleurs, ce qu’a fait Pepsi en réduisant jusqu’à 60% de sucre dans ces boissons et ce depuis plus de deux ans. Notre groupe continue ses recherches pour réduire encore plus le taux du sucre dans les boissons gazeuses.

Comment jugez-vous la volonté du gouvernement de vouloir élargir l’assiette de la TIC ?
Concernant la problématique de la TIC, il faut savoir que la boisson gazeuse est la seule industrie qui rembourse une partie de la compensation sur le sucre. En effet, il y a quelques années, il a été demandé au secteur de ne pas prendre la compensation en entier.

Ainsi, nous sommes la seule industrie qui reverse un retour de presque la moitié de la compensation reçue. Je note aussi que le secteur paye déjà une TIC sur la boisson gazeuse, depuis un certain nombre d’années. La nouveauté apportée par le gouvernement, il y a deux ans, est de lier la TIC au taux du sucre. C’est une approche très intelligente, dans le sens où la taxe n’est plus punitive mais incitative. De ce fait, elle encourage les opérateurs à baisser le taux du sucre.

L’élargissement de la TIC, dont on parle actuellement, devrait déjà certainement concerner d’autres industries. Il faut savoir qu’on paye aussi une TIC sur l’eau, ce qui est franchement incompréhensible, puisque l’eau n’est pas un produit de luxe. Il doit y avoir certainement des réflexions au niveau du gouvernement  pour revoir cette position.


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