Réforme des Établissements et entreprises publics : Zaghnoun expose les chantiers structurants de la réforme

Le 13 mai dernier, Casablanca a été le théâtre d’un échange de haut niveau sur la transformation du secteur public marocain. À l’invitation de Finances News Hebdo, dans le cadre de ses «Nuits de la finance», Abdellatif Zaghnoun, directeur général de l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État et de suivi des performances des établissements et entreprises publics (ANGSPE), a exposé sans langue de bois les avancées, les défis et les ambitions liés à la refonte du périmètre des établissements et entreprises publics (EEP). Une réforme de fond, pensée pour repositionner l’État en actionnaire stratégique et non plus en simple gestionnaire.
Une refondation assumée du rôle de l’État actionnaire
Créée en 2022, l’ANGSPE ne s’est pas contentée d’exister sur le papier. En deux ans, l’Agence a pris à bras-le-corps les orientations stratégiques de la Politique actionnariale de l’État qui ont été approuvées par le Conseil des ministres présidé par SM le Roi, le 1er juin 2024 : rationaliser, piloter et valoriser le patrimoine public dans une logique de performance et de transparence. Le credo est clair : passer d’un modèle de contrôle préalable à une logique d’accompagnement, alignée sur les intérêts économiques du pays.
De nouveaux standards pour les entreprises publiques
L’un des piliers visibles de cette réforme réside dans la transformation de certains établissements publics en sociétés anonymes (SA). Trois cas concrets ont été cités lors de la rencontre : l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM), dont le projet de transformation en SA est finalisé et déjà soumis au secrétariat général du gouvernement ; l’Office national des aéroports (ONDA), dont le texte est prêt à être déposé ; et Maghreb arabe presse (MAP), en phase finale de bascule. Des évolutions juridiques majeures qui doivent préparer ces entités à une plus grande agilité financière et opérationnelle, tout en renforçant leur attractivité pour de potentiels partenariats privés.
Gouvernance, transparence, performance : la triple exigence
Mais la transformation ne se joue pas uniquement sur le terrain juridique. L’ANGSPE entend bâtir une véritable culture de la performance au sein des EEP. Cela passe par la professionnalisation des conseils d’administration, l’introduction d’administrateurs indépendants choisis sur la base de critères objectifs et la mise en place de comités spécialisés (audit, stratégie, gouvernance…) Des efforts bien entamés, certains établissements ayant déjà entériné ces changements, preuve que la dynamique est enclenchée.
Dans le même esprit, l’Agence a déployé un système de pilotage de la performance basé sur des indicateurs clairs et des objectifs contractualisés. L’idée est de créer un lien direct entre l’État, les organes de gouvernance et les directions exécutives, pour mieux évaluer les résultats et orienter les décisions. Une évolution vers un modèle plus exigeant, où la transparence et la redevabilité deviennent la norme.
Comptes consolidés avec des normes internationales
Autre avancée structurante, saluée comme un tournant par les acteurs financiers : la consolidation des comptes de l’État actionnaire, selon les normes comptables internationales IFRS. Un chantier de fond, aujourd’hui achevé pour les exercices 2022 et 2023, et en cours pour celui de 2024.
Cette consolidation permet enfin de disposer d’une image fidèle et globale de la situation financière du périmètre public, condition sine qua non pour renforcer la crédibilité de l’État auprès des investisseurs, notamment internationaux.
Un État «pas concurrent» du privé
Au cœur de la stratégie de l’ANGSPE, un autre pari s’affirme : faire du secteur des EEP un catalyseur de l’investissement privé. L’Agence défend une approche complémentaire, où les ressources de l’État et les capacités du privé convergent au service de projets structurants.
Ce repositionnement est pleinement cohérent avec la nouvelle Charte de l’investissement qui vise, d’ici 2035, à inverser la tendance actuelle pour aboutir à deux tiers d’investissements privés contre un tiers d’investissements publics.
L’État, via l’Agence, entend donc céder progressivement le terrain dans les secteurs où il n’est pas à même de créer plus de valeur, tout en maintenant une présence stratégique dans les domaines sensibles liés à la souveraineté nationale.
Ingénierie financière et capital-investissement public
Pour soutenir ces ambitions, l’Agence mise résolument sur les marchés financiers. Une convention stratégique a été signée avec l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) pour faciliter l’accès des EEP à des sources de financement alternatives et innovantes : émissions obligataires, titrisation, appels au marché… Des mécanismes que l’ANGSPE a déjà activés, comme en témoigne l’accompagnement du financement de l’extension de la Ligne à grande vitesse (LGV) entre Kénitra et Marrakech, le programme de modernisation des aéroports par l’ONDA ou encore le plan d’investissement d’ADM à l’horizon 2032.
Structurer pour mieux coordonner
Enfin, l’Agence s’attelle à une autre tâche critique : la structuration de pôles stratégiques dans le paysage public. Un exemple emblématique : le regroupement progressif des acteurs du secteur audiovisuel sous l’égide de la SNRT, avec l’intégration de MEDI1TV, Radio Medi1 et prochainement SOREAD-2M.
Ce travail d’orfèvre permet de clarifier les rôles, d’éviter les doublons et de renforcer les synergies sectorielles. Le même effort de structuration est en cours dans d’autres domaines, comme le pôle financier public ou la réorganisation de l’ANP et de l’OMPIC.
Une réforme systémique
Ce que retient surtout l’observateur averti, au-delà des annonces, c’est la méthode adoptée : celle d’une démarche participative, fondée sur la transparence, l’écoute et la co-construction. Car comme le rappelle Zaghnoun, la réforme est aussi culturelle : il s’agit d’installer une nouvelle manière de gérer l’intérêt général, avec rigueur et pragmatisme.
Loin d’un big bang désordonné, la transformation engagée par l’ANGSPE s’apparente à une réingénierie maîtrisée de l’État actionnaire. Une réforme qui ne fait pas de bruit, mais qui pourrait bien remodeler, durablement et en profondeur, le paysage institutionnel et économique national.
S.N. / Les Inspirations ÉCO