Maroc

Réforme de la TVA. On n’est pas sorti de l’auberge !

Depuis longtemps, la nécessité de réformer la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est au coeur des débats. Cette taxe, jadis considérée comme un outil de financement public équitable, a suscité de nombreuses controverses en raison de son impact disproportionné sur les ménages les plus modestes. Jugée inique et souvent perçue comme dévastatrice pour les foyers à faible revenu, elle a mis en lumière un déséquilibre fiscal qui doit être corrigé de toute urgence. Heureux présage, l’État projette une réforme de la TVA dans le projet de loi de Finances (PLF) 2024. Cependant, de nombreuses interrogations demeurent : par où faudrait-il entamer cette réforme ? Quel serait l’impact sur les finances publiques et sur les ménages ? Éléments de réponse.

Le paysage fiscal marocain est sur le point de subir des changements majeurs avec le gouvernement qui se penche sur la réforme de la TVA. Cette réforme découle des recommandations de la troisième édition des assises nationales sur la fiscalité, tenue à Skhirat en mai 2019. Ces recommandations ont été transposées dans la loi-cadre n°69-19 portant réforme fiscale, telle que publiée au Bulletin officiel (BO) le 26 juillet 2021.

L’objectif principal de cette réforme est d’instaurer un système fiscal plus efficace, équitable et équilibré. Pour ce faire, le gouvernement s’est engagé à travailler sur la neutralité de la TVA, en rationalisant les taux et en généralisant le remboursement du crédit de TVA. Actuellement, le Maroc applique cinq taux de TVA (0%, 7%, 10%, 14%, et 20%).

Le gouvernement prévoit de simplifier cette structure en instaurant trois taux : 0% pour les produits de première nécessité, 10% pour la consommation courante et 20% pour les produits de luxe. Cette rationalisation a pour objectif de renforcer la cohésion sociale et d’encourager la compétitivité des entreprises. En passant, toujours dans le cadre de la réforme, le gouvernement s’est aussi engagé à donner le droit de réclamer le remboursement du crédit TVA, actuellement réservé à un cercle restreint de contribuables.

Comprendre le mécanisme d’application

Pour comprendre la problématique qui découle de la TVA ainsi que les difficultés pratiques rencontrées par les différents acteurs, Norah Kourireche, avocate, experte en fiscalité, nous explique qu’il faut tout d’abord assimiler le mécanisme d’application de la TVA.

Selon le premier alinéa de l’article 101 du Code général des impôts, «la taxe sur la valeur ajoutée, qui a grevé les éléments du prix d’une opération imposable, est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée appliquée à cette opération». En d’autres termes, la TVA sur les achats est déduite de la TVA sur les ventes. De ce fait, «la TVA due à l’État = la TVA facturée sur le chiffre d’affaires – la TVA récupérable sur les charges». Par conséquent, les entreprises ne jouent qu’un rôle d’intermédiaires et c’est le consommateur final qui supporte le coût de la TVA, ce qui garantit dans un contexte théorique sa neutralité, explique notre source.

Néanmoins, elle relève que, sur le plan pratique, plusieurs éléments entravent ce principe de neutralité, pour ne citer que les taux multiples existants. L’experte cite un autre exemple. «Une entreprise qui est exonérée de la TVA sur son chiffre d’affaires ne peut pas déduire la TVA sur ses achats, ce qui déclenche une situation de «butoir» ou différentiel de taxe entraînant l’entreprise concernée à avoir un crédit de TVA de façon permanente». Elle ajoute que même si le remboursement du crédit de la TVA est un droit garanti par la loi fiscale pour certains contribuables, les délais de traitement des dossiers de remboursement sont très longs, et la procédure administrative est assez compliquée.

L’impact sur les finances publiques et les ménages

Autre point important, la réduction du nombre des taux de TVA avec le maintien de l’exonération des produits de base, tel que garanti par la loi-cadre portant la réforme fiscale, ainsi que la généralisation du remboursement du crédit de la TVA, auront sans doute un impact considérable sur les finances publiques. «Rappelons que la TVA constitue l’un des impôts générant le plus de recettes pour l’État.

Malheureusement, l’absence d’évaluation des dépenses découlant de la réforme envisagée peut avoir un effet de surprise, ce qui pourrait donner l’occasion aux différents contribuables impactés de contester cette réforme», indique-t-elle. L’avocate juge qu’au final, la TVA est un impôt supporté par le consommateur, c’est le citoyen marocain qui se retrouve réellement pénalisé, du fait que les entreprises ne sont que des intermédiaires qui la collectent et la reversent à l’État. «Le gouvernement compte supprimer les taux 7% et 14% et maintenir les taux suivants : 10%, 20% et 0%. De ce fait, toute revue à la hausse du taux de la TVA impactera directement le pouvoir d’achat du citoyen marocain».

Cependant, selon son point de vue, il existe un élément rassurant. C’est l’engagement pris par le gouvernement de maintenir l’exonération des produits de première nécessité, «à prendre avec des pincettes, étant donné qu’aucune évaluation du coût de la réforme de la TVA n’a été faite». Norah Kourireche rappelle en ce sens la promesse de la révision de la grille de l’IR qui n’a pas été honorée en 2023, et, pour cause, le gouvernement a tardivement constaté que cette mesure allait engendrer des dépenses que l’État ne pourra pas affronter.

Communication et transparence

Afin qu’il y ait une meilleure coordination entre le gouvernement et les parties prenantes, l’experte juge nécessaire que l’administration divulgue les impacts financiers de chaque initiative afin de favoriser un échange constructif avec les divers intervenants.

Pour illustrer cette proposition, Norah Kourireche rappelle le cas de la modification de la TVA pour les avocats, qui a engendré des tensions. En ce qui concerne les différentes possibilités qui pourraient se présenter, notre experte envisage deux scénarios.

Dans un contexte d’inflation et de crise, il est peu probable que le gouvernement opte pour des taux supérieurs aux actuels : 7% et 14%. Cela est d’autant plus improbable, étant donné que ces taux s’appliquent à des produits de base tels que le beurre, le sucre, le lait, la distribution d’eau et les produits pharmaceutiques.

Par conséquent, pour compenser la perte de revenus résultant de la suppression des taux mentionnés et de leur remplacement par des taux plus bas, le scénario le plus plausible pour 2024 implique l’élargissement du champ d’application de la TVA, notamment en ciblant le secteur informel. Cela pourrait également inclure la suppression de certaines exonérations (en épargnant les produits de première nécessité) et une augmentation du taux de TVA sur les produits de luxe.

Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO



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