Réforme de la mutualité : le processus en panne ?
Les dysfonctionnements qui émaillent le secteur de la mutualité nécessitent l’adoption d’un nouveau cadre législatif. Si le gouvernement espère l’accélération du processus législatif du projet portant Code de la mutualité qui traine, depuis 2016, chez les Conseillers, d’autres parties plaident pour l’élaboration d’une nouvelle législation avec une vision claire de l’avenir du secteur.
Le secteur de la mutualité pâtit de nombreux dysfonctionnements ayant trait à la gouvernance et à l’obsolescence du cadre légal le régissant, qui date de 1963. De graves anomalies et insuffisances ont été constatées dans la gestion des mutuelles par l’Inspection générale des finances (IGF) ainsi que par les commissions de contrôle des mutuelles des secteurs public et semi-public. Bien que le constat soit unanime à propos de la situation actuelle, la réforme se fait toujours attendre.
À cet égard, le gouvernement estime que la balle est dans le camp de la Chambre des conseillers pour sortir des tiroirs de la Commission des finances le fameux projet de loi portant Code de la mutualité. Le texte a été adopté par la Chambre haute, après amendement, en juillet 2015, puis a été approuvé par les Représentants en août 2016 et transféré aux Conseillers pour deuxième lecture.
Cependant, il n’a jamais été programmé pour réexamen au sein de la Commission des finances de la deuxième Chambre, en raison des divergences autour des amendements ayant été introduits en première lecture (surtout l’abolition de la disposition visant l’interdiction d’activités de prestations de soins à quelque titre ou sous quelle forme que ce soit), puis supprimés par les députés. Les syndicats pèsent, en effet, de tout leur poids pour maintenir le statu quo, selon une source interne, car ils savent pertinemment que même en cas de réintroduction des amendements au projet de loi, les députés statueront en dernier ressort. C’est pour cette raison que la deuxième lecture n’a jamais été programmée, même si l’Exécutif a appelé, à plusieurs reprises, au parachèvement du circuit législatif du texte.
Au sein du parlement, certains députés de la majorité sont pour le déterrement de ce dossier. Le groupe parlementaire du PJD vient d’appeler à l’accélération du processus législatif du texte pour permettre de mettre fin aux différentes irrégularités qui entachent la gouvernance du secteur. Quant au ministre du Travail et de l’insertion professionnelle, Mohamed Amakraz, il estime que la réforme du secteur mutualiste reste tributaire de l’amendement du cadre législatif le régissant et de la mise en œuvre des dispositions du projet de loi portant Code de la mutualité.
Il est anormal, selon le responsable gouvernemental, de recourir chaque fois aux dispositions de l’article 26 du Dahir n° 1-57-187 (12 novembre 1963) portant statut de la mutualité qui stipule que «le ministre délégué au Travail et aux affaires sociales et le ministre des Finances peuvent, en cas d’irrégularité grave constatée dans le fonctionnement d’une société mutualiste, confier, par arrêté conjoint motivé, les pouvoirs dévolus au Conseil d’administration, à un ou plusieurs administrateurs provisoires qui doivent provoquer de nouvelles élections dans un délai de trois mois».
En trois ans, cet article a été actionné trois fois à l’égard de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques (MGPAP) en 2019, la Société fraternelle de secours mutuels et orphelinats du personnel de la sûreté nationale en 2019 et la Mutuelle nationale des artistes en 2021. Tout porte à croire que le projet de loi portant Code de la mutualité ne verra pas le jour au cours de ce mandat.
Pour pouvoir avancer sur le plan législatif, le prochain Exécutif est appelé à retirer le texte et à le réviser à l’aune des nouveaux objectifs du grand chantier de la protection sociale, avant de le soumettre à nouveau aux parlementaires. Ceux-ci devront, logiquement, entamer le processus législatif depuis son début et non sur la base de discussions déjà engagées par leurs prédécesseurs, selon un parlementaire de l’opposition. Ceci, d’autant plus qu’il s’agit d’un texte controversé. En tête des reproches, figure l’absence d’une vision claire du rôle du secteur mutualiste dans l’économie nationale ainsi que dans le secteur de la santé. Cette vision, dit-on, devra tenir compte des acquis et du développement du secteur.
Rappelons que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait émis nombre de recommandations ayant trait au projet du Code de la mutualité, à commencer par la nécessité d’activer le processus législatif de réforme du secteur de la mutualité en intégrant les contributions convergentes et les accords conclus entre les partenaires sociaux dans le cadre du dialogue social ainsi que les points de vue et les éclairages tirés de l’expertise des sociétés mutualistes existantes.
Le texte gagnerait à être amélioré, selon le CESE, à travers l’introduction de plusieurs amendements, dont notamment celui incluant, dans le champ d’application du futur statut, les mutuelles dites communautaires travaillant actuellement en marge de toute réglementation. Il s’agirait aussi de réintégrer l’activité médicale parmi le champ d’activité des mutuelles, sans discrimination et dans les mêmes conditions et avec les mêmes règles régissant les autres acteurs. Un autre amendement autoriserait, pour sa part, les mutuelles à créer des filiales pour leur permettre d’assurer la séparation de leurs métiers et des risques qu’elles couvrent. Ceci, sans oublier de garantir les règles de la démocratie interne, notamment par l’obligation d’organiser les élections et le renouvellement des instances et supprimer la référence à la limite d’âge de 75 ans envisagée pour les membres du Conseil d’administration.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco