Prix des Carburants : nouvelle flambée en perspective

Alors que les marchés pétroliers retrouvaient une certaine stabilité, l’escalade militaire au Moyen-Orient ravive les tensions et fait ressurgir le risque d’un choc énergétique mondial. La brusque envolée des cours du brut, nourrie par les craintes d’un blocage du détroit d’Ormuz, par lequel transite 20% du pétrole mondial, fragilise un équilibre déjà précaire. Pour le Maroc, fortement tributaire des importations de carburants, la stabilité des prix à la pompe est désormais menacée, et les pressions inflationnistes pourraient se raviver. Dans ce contexte volatil, la nécessité d’une stratégie nationale de réduction de la dépendance énergétique, fondée sur l’autosuffisance et la sécurisation des approvisionnements, s’impose plus que jamais.
Le calme aura été de courte durée. Après plusieurs mois de relative détente sur les marchés pétroliers, les prix du brut ont brusquement rebondi vendredi 13 juin, à la suite des frappes israéliennes sur l’Iran. En une seule séance, le baril de WTI a grimpé à 75 dollars et celui de Brent à 76, soit une hausse de près de 10%. Une rupture nette avec la trajectoire baissière amorcée depuis plusieurs mois, alimentée par une production accrue des pays de l’OPEP et des perspectives de stabilité relative sur le marché.
L’hypothèse redoutée
Fidèles à leur sensibilité au risque géopolitique, les marchés ont réagi sans attendre des dommages réels aux infrastructures pétrolières. Si, à ce stade, aucune installation iranienne n’a été directement touchée, les craintes abondent.
Le principe bien connu de la «prime de risque» a une fois de plus joué à plein. Le simple soupçon d’un risque d’approvisionnement suffit à faire grimper les cours. En ligne de mire, un scénario redouté : la perturbation du détroit d’Ormuz, passage maritime stratégique par lequel transite près d’un cinquième du pétrole mondial.
Ce corridor, sous contrôle de l’Iran, voit passer chaque jour près de 18 millions de barils de brut ainsi qu’un quart du gaz naturel liquéfié mondial. Un éventuel blocage affecterait directement les exportations de pays clés du Golfe comme l’Irak, le Koweït, Oman ou encore le Qatar. Si cette hypothèse reste pour l’instant théorique, elle suffirait, selon plusieurs analystes, à propulser les cours du Brent au-delà des 100 dollars.
Dans ce contexte d’escalade militaire, les marchés, déjà fébriles, s’ajustent à l’idée d’un choc d’offre. Pour le Maroc, importateur net de produits pétroliers, ce regain de tension mondiale constitue un facteur de fragilité. Jusqu’ici, les prix à la pompe sont restés globalement stables, grâce à un effet de décalage entre les fluctuations des marchés internationaux et la formation des prix domestiques. Mais cette inertie pourrait ne pas durer. Si la pression sur le brut s’installe, les répercussions sur le consommateur marocain pourraient être inévitables.
«Aujourd’hui, la consommation mondiale atteint 100 millions de barils par jour. Avec un éventuel risque de pénurie, l’impact sur les prix est indéniable à court ou moyen terme. Le Maroc ne pourra rester à l’écart indéfiniment. C’est l’affaire de quelques semaines avant de ressentir les effets d’une flambée des prix à la pompe», prévient Mostafa Labrak, directeur général d’Energysium Consulting.
Une augmentation durable des prix du brut affecterait inévitablement les importations marocaines de carburants raffinés, avec des répercussions en chaîne sur l’ensemble des secteurs économiques. Les premiers secteurs touchés seraient ceux du transport et de la logistique, avant que l’effet domino ne prenne dans son sillage l’ensemble de l’économie. À terme, cette dynamique pourrait raviver une nouvelle fois une spirale inflationniste que le pays peine encore à contenir.
Une dépendance structurelle assumée
Pour Omar Kettani, professeur d’économie à l’université Mohammed V de Rabat, cette situation confirme la fragilité structurelle du modèle marocain. «Le Maroc exporte ce qu’il produit, et importe ce qu’il consomme. C’est une équation aberrante, car la priorité est donnée à la devise. Or, c’est justement dans des contextes comme celui-ci que cette dépendance devient un risque systémique. La priorité ne doit pas être de préserver les réserves de change, mais d’éviter d’en avoir besoin pour subvenir à des besoins essentiels.»
L’économiste plaide pour une stratégie de long terme, visant à réduire la dépendance aux produits de base importés, en particulier l’énergie. Par ailleurs, en cas de prolongement du conflit ou d’extension des frappes aux installations pétrolières iraniennes, le choc pourrait être sévère. Un arrêt total de la production iranienne priverait le marché mondial de 1,7 million de barils par jour.
Les voisins du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, disposent certes de capacités inutilisées pouvant atteindre 4 millions de barils par jour. Mais leur mobilisation prend du temps, et rien ne garantit une réaction rapide ou suffisante.
Le Maroc, jusqu’ici protégé par un effet de latence, devra sans doute composer avec une réalité nouvelle dans les semaines à venir. Si les cours poursuivent leur ascension, la stabilité des prix à la pompe deviendra difficile à maintenir.
Mostafa Labrak
Expert en énergie
«Aujourd’hui, la consommation mondiale atteint 100 millions de barils par jour. Avec un éventuel risque de pénurie, l’impact sur les prix est indéniable à court ou moyen terme. Le Maroc ne pourra rester à l’écart indéfiniment. C’est l’affaire de quelques semaines avant de ressentir les effets d’une flambée des prix à la pompe.»
Omar Kettani
Professeur en économie
«Le Maroc exporte ce qu’il produit et importe ce qu’il consomme. C’est une équation aberrante, car la priorité est donnée à la devise. Or, c’est justement dans des contextes comme celui-ci que cette dépendance devient un risque systémique. La priorité ne doit pas être de préserver les réserves de change,
mais d’éviter d’en avoir besoin pour subvenir à des besoins essentiels.»
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO